3. Crier

En média "Scream" de Mickael et Janet Jackson

Depuis ce premier samedi où Manoé et moi nous nous sommes confrontés sur le seuil de mon havre de paix, je fuis la maison chaque samedi matin. Non pas parce que je n’ai pas suffisamment de répondant pour lui faire face, mais parce que sous mes allures de grande gueule se cache malgré tout un coeur fait de chair et je sais qu’il ne lui en faudra pas beaucoup pour qu’il s’attendrisse face à “gueule d’amour”. 

Mais pour ma défense, comment ne pas fondre devant ce mec beau comme un dieu grec quand il fait preuve d’autant de bienveillance et de patience face à ma grand-mère qui ne se prive pas pour combler de corvées les deux heures dont il nous gratifie de façon hebdomadaire depuis 3 semaines maintenant ? 

Si à la maison, il tente une approche dès que l’on se croise, au lycée, aussi bizarrement soit-il, il m’ignore. Et ça a le don de m’énerver. Qu’il se montre indifférent ou que ça m’affecte ? J’en sais rien. Peut être un peu des deux en fait. 

Lui et sa bande continuent de traverser les couloirs comme en terrain conquis. Les autres filles tombent toujours en pamoison sur son passage. Mais le regard glacial de son chien de garde, la dénommée Carla Delacourt, refroidit les ardeurs mêmes des plus téméraires.

Cette peste a intégré la bande l’année dernière et depuis, elle agit comme si Manoé était chasse gardée. Ce qui est franchement ridicule de sa part puisque celui-ci ne se gêne pas pour emballer ses coups d’un jour quasi sous son nez. Elle ne peut que se contenter de les fusiller de ses yeux pareils à des balles d’argent. 

A ce que je sache, elle n’a jamais dépassé le stade de l’amitié avec lui. Pourtant c’est une belle blonde bien proportionnée à la longue chevelure de rêve. Son joli visage de poupée ne suffit pourtant pas à séduire le coeur de pierre de la star locale.

Quant au reste du groupe, il se compose de Sébastien, grand brun dégingandé dont les vêtements griffés ne suffisent pas à masquer le fait qu’il n’assume pas totalement sa subite poussée de croissance de l’été dernier.

Il y a aussi Quentin, l’intello à lunettes. Je suis sûre qu’il sert de faire valoir au groupe et qu’il compense leur médiocre intérêt pour la chose scolaire.

Anne-Sophie, deuxième et dernière fille du groupe, est dans le style et le tempérament, à l’opposé de ce que son doux prénom laisse entendre. Fréquentant les mêmes classes que cette bande de mecs depuis l’élémentaire, elle impose avec son look décalé où moitié du crâne rasé et piercings à gogo suscitent autant la fascination que l’effroi. Et si l’air patibulaire tatoué sur sa face ne refroidit pas certaines ardeurs, ce ne sont pas ses larges baggy et ses éternelles chemises de bûcheron qui pousseront les mecs du bahut à tenter quelque approche. D’un autre côté, je ne suis pas sûre que ses protecteurs personnels laissent ne serait-ce qu’un doigt traîner près de sa culotte. J’ai entendu dire que c’était la meilleure amie de Manoé depuis l’enfance et que depuis la fois où un écolier avait fini la face en sang après avoir été odieux avec elle quand ils étaient au CE2, plus personne ne cherche des noises à cette fille de peur de subir le courroux du grand “maître”. Même Carla n’a jamais essayé de s’y frotter, se contentant de baver discrètement dans son coin.

Enfin bref, ces cinq là sont aussi indissociables que les doigts de la main. Je vous laisse deviner quel doigt pour moi représente le mieux ce cher Manoé !

Oui, encore une fois, je ne cesse de penser à lui, me demandant quel pari stupide il cherche à remporter en se montrant si aimable avec Mamie et en  nous sortant son char de bon garçon bien éduqué. Je connais la bête et son soudain intérêt pour ma personne alors que cela fait trois ans que nous fréquentons le même établissement me laisse à penser qu’il y a anguille sous roche. 

De plus, je n’ai aucune envie de me faire fusiller par son cerbère blond ni piétiner sous les boots de sa punkie délurée. Je ne les crains pas outre mesure mais j’ai un minimum d’instinct de survie malgré tout.

C’est pourquoi, en ce samedi, après m’être encore une fois enfuie de chez moi comme une voleuse qui avait le diable aux trousses, je me retrouve à traîner au cimetière. J’y retrouve un semblant de paix intérieure. Parler avec Loly me fait du bien. Je sais que cela semble bizarre vu de l’extérieur puisqu’il s’agit plus d’un monologue que d’un dialogue mais nous nous connaissions si bien, étions si fusionnelles qu’à l’époque déjà l’une arrivait à finir les phrases de l’autre. 

Face aux autres membres de notre petite bande d’amis, nous réussissions même à entretenir des dialogues silencieux. 

En parlant, de mes autres amis, Suzelle, Fanny et Stanislas, ce sont avant tout les amis de Loly. Ils se connaissaient depuis la maternelle. Moi, j’ai intégré le groupe en arrivant en classe de 5ème quand ma mère et moi sommes venus vivre chez Mamie. Grâce à Loly, j’ai très vite été acceptée mais c’est avec elle qu’un lien fort s’est créé. 

Cette jolie et gentille fille inspirait la joie et la gaieté à tous ceux qui l’approchaient. Une longue chevelure raide, ébène aux reflets bleutés et des yeux en amande d’un noir d’encre, qu’elle tenait des origines asiatiques de sa mère, contrastaient avec sa jolie peau porcelaine. Son visage rond toujours souriant lui donnait des airs de petite poupée….ma poupée chinoise.

Grâce à elle, j’ai vécu ces cinq dernières années, les plus merveilleux moments de ma jeune existence. Même quand la maladie qui la prenait en otage depuis sa naissance s’est rappelée à elle, la condamnant à une vie éphémère, elle n’a rien laissé paraître. Elle était forte, une “samouraï” comme elle aimait le dire. Elle s’est battue jusqu’au bout, jusqu’à ce que le mal qui la rongeait se montre plus insidieux, plus fort. Fichue maladie de crohn !

Maintenant, je vis pour nous deux. Je lui fais partager chaque instant qu’elle aurait dû vivre à mes côtés. Mes joies, mes peines, et même mes amours inexistants.

C’est un craquement de bois dans mon dos qui me fait comprendre que nous ne sommes plus seules. Je me retourne et tombe sur le visage souriant de Paul.

De huit ans l’aîné d’Eloïse, il était déjà parti de la maison pour ses études quand je suis arrivée dans le coin. Pourtant, cela ne m’a pas empêché de développer un béguin pour lui. C’était il y a bien longtemps. Je crois que le fait de l’avoir vu carrément bouffer la bouche de Lydie, sa copine de l’époque, a mis un terme définitif à mes lubies d’adolescente de 15 ans qui se voyait déjà sur le parvis de l’église, enrubannée de tulle blanc fêtant joyeusement mon entrée officielle dans la famille Sarault.

Si Loly a hérité des traits asiatiques de leur mère, Paul lui a tout pris du type caucasien du père, si ce n’est sa chevelure noir corbeau indomptable. Ses yeux clairs où apparaissent de petites pattes d’oie dévoilent une sagesse acquise précocement. Il a toujours accompagné sa soeur, même à distance, lors de ses nombreuses crises.

Puis, quand au printemps dernier, la maladie de Loly a évolué en cancer du côlon, il a tout abandonné de sa vie aux Antilles pour soutenir sa famille. Quand la mort a foudroyé sa soeur à peine un mois après l’annonce, il a décidé de rester en France pour s’assurer que leurs parents se relèveraient ; mais aussi parce que lui aussi se sent plus proche d’elle en ce lieu, devant sa tombe.

C’est ainsi que nous avons noué, de façon maladroite, une franche amitié. Je lui rappelle la soeur qu’il a perdue et moi le grand frère que je n’ai jamais eu.

— Salut Mel ! Quoi de bon aujourd’hui ? 

— Oh, comme d’hab, je me suis dit que j’allais commencer cette journée par rendre une petite visite à ma copine. Donc…. me voilà ! Je lui réponds faussement enthousiaste.

— Ok. Et ça donne quoi avec la vraie version ? Tu ne changes jamais tes habitudes, et toi et moi savons bien que si tu te retrouves ici un samedi matin plutôt qu’à baver sur ta couette, c’est que quelque chose te tracasse au point que tu en ressentes le besoin de te confier à Loly. Tu sais que tu peux tout me dire, ma grande. Si je peux aider…

— Non, c’est rien j’t’assure, lui réponds-je en époussetant mon jean et m’apprêtant à détaler comme un lapin pris dans les phares d’une voiture.

— Tu en es sûre ? insiste-t-il. Ce n’est pas parce qu’au lycée, je préfère que personne ne sache ce qui nous lie que cela signifie que je ne t’observe pas. Depuis quelque temps, on dirait que tu rases les murs. C’est à cause du jeune Beauchamp ? Du fait qu’il vienne s’occuper des espaces verts chez toi ? Tu me le dirais s’il te cherchait des ennuis ?

— Mais non, qu’est-ce que tu vas pas t’imaginer encore. Moi, des comme le Beauchamp et sa troupe, j’en mange tous les soirs au dîner. Y’a rien qui se passe. C’est juste que j’ai décidé de sortir un peu de ma tanière le week end. D’ailleurs, justement j’ai rendez-vous avec les autres au centre ville pour un brunch d’enfer. Tiens, feins-je de regarder mon portable, je suis déjà très en retard.

— Ok. Je te dépose alors. Je voulais me recueillir un moment, mais je pense que je reviendrai plus tard avec les parents, me dit-il tandis qu’il se dirige comme moi vers la sortie du cimetière où je repère sa voiture garée dans la zone de stationnement.

Punaise ! Voilà que je vais devoir improviser un brunch avec les autres si je ne veux pas me faire griller. Je n’ai aucune envie que Paul se pose des questions ou s'intéresse plus à ma vie. Pas envie de mettre des mots sur ce qui me tracasse concernant Manoé Beauchamp. 

Il serait capable de prendre le petit merdeux entre quatre yeux, et je ne veux pas que ça lui ôte ses chances dans l’établissement. Je m’en voudrais de l’éloigner de ses parents et de Loly.

Donc c’est discrètement que je sors mon portable et envoie un message groupé. 

Moi : Salut les copains ! Partant pour un brunch ? Rdv dans vingt minutes à la Brasserie Lamartine.

Pourvu que tous soient déjà réveillés et qu’ils n’aient rien de prévu pour la matinée !

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Coucou à tous !

Nous retrouvons, dans ce chapitre, une Mélissa sous pression qui préfère fuir son domicile plutôt que de céder à la délicieuse tentation du jardinier.

Ici, on en apprend davantage sur leur entourage respectif qui sera très présent tout au long de cette première partie.

Mais peut-on réellement se fier à l'avis plus que subjectif de notre abeille ?

Selon vous, les amis de Mélissa répondront-ils présents à ce brunch improvisé ?

À mercredi pour la suite !

Bisous bourdonnants
Namsra

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