28. À la croisée des chemins

En média "Try sleeping with a broken heart" d'Alicia Keys

Les épreuves de notre baccalauréat scientifique se sont enchaînées à une allure folle. Le hasard de nos noms de famille a fait que Manoé et moi étions dans la même salle d'examen à chaque fois. C'est peut être pour cela que Mme Beauchamp avait spécifiquement demandé que nous n'échangions pas non plus lors des épreuves. Elle devait déjà connaître l'organisation et craignait que je ne perturbe son fils.

Manoé ne m'a que rarement regardé avec toujours autant de mépris dans les yeux. Je me suis fait violence pour ne pas l'approcher. Je ne comprends pas ce qu'il lui arrive. S'il n'en avait rien à faire de moi, il serait déjà passé à autre chose et je ne percevrais pas autant d'animosité à mon égard. Comment peut-on éprouver des sentiments pour quelqu'un pour le détester sans raison valable par la suite ? Parce que oui, je reste persuadée que mon faux bourdon m'a aimée. Peut être comme le phénix, nous pouvons renaître de nos cendres ? Je ne vais pas tarder à le savoir car j'ai décidé de lui parler aujourd'hui.

Nous sommes le jour des résultats, et les candidats au bac se bousculent devant les tableaux d'affichage. Les filles et Stan ont tenu à ce qu'on s'y rende ensemble.

Sans surprise, Suzelle l'a obtenu avec la mention très bien. Stan et Fanny l'ont sans mention. Je me fige quand je ne vois mon nom nulle part. J'essaie de garder le sourire et donner le change face à la joie de mes amis. Même Manoé et son groupe l'ont obtenu. J'en suis là à ruminer ma nouvelle défaite quand Stan me prend dans ses bras et me soulève en me félicitant. Je ne comprends pas sa joie et lui fait remarquer que je passerai certainement au second tour quand il m'indique une feuille à part, que je n'avais pas remarqué avec le nom des trois candidats admissibles et majors de promo. Mon nom y figure. Je suis soudainement envahie par une joie immense. Vu tout ce qui m'est tombé dessus ces dernières semaines, jamais je n'aurais imaginé réussir aussi bien les épreuves. J'ai beaucoup douté, trop.

Je remarque Manoé au loin, un peu à l'écart de son groupe qui se dirige vers le parking. Je décide que c'est le moment de l'aborder et poussée par l'euphorie de notre réussite commune, je le suis à mon tour vers le parking. J'y croise Paul qui sort à peine de son véhicule et l'informe rapidement de ma réussite ainsi que de celle du reste de nos amis. Il profite que nous soyons à l'écart des autres lycéens pour me féliciter chaleureusement et me prendre dans ses bras. Je me libère aussitôt en lui signalant que je voulais rejoindre quelqu'un avant que cette personne ne se volatilise.

Je balaie le parking du regard et retrouve Manoé du côté du stationnement des deux roues, se débattant pour enfiler un casque, debout près d'une... moto ?

_ Manoé, attends ! le hélé-je

Il stoppe son mouvement et même s'il me gratifie d'un regard hautain, je devine qu'il accepte de m'écouter. Puisant dans tout le courage qu'il me reste, je m'adresse à lui, un peu intimidée mais bien déterminée à crever l'abcès purulent qui nous gangrène.

_ Salut ! Je... Félicitations pour ta mention ! Tu l'as mérité j'en suis sûre. Enfin, je veux dire que tu as certainement dû travailler très dur pour l'obtenir. Quoique tu n'as pas besoin de fournir beaucoup d'effort pour réussir, m'embourbé-je face au châtain qui ne pipe mot et me dévisage comme s'il cherchait à résoudre une équation compliquée. Parce que tu es doué, enfin je...

_ Merci. Qu'est ce que tu veux, Mélissa ? m'interrompt-il abruptement.

_ Je voudrais te parler de quelque chose, lui dis-je rapidement.

_Vas-y je t'écoute !

_ J'aurais préféré un endroit plus tranquille, moins public...

_ Y'a plein de choses que moi aussi j'aurais préféré mais, tu vois, on n'a pas toujours tout ce qu'on veut dans la vie. J'suis pressé donc soit tu me dis ce que tu as à me dire ici, soit je me casse, me coupe-t-il la chique de nouveau.

_ Très bien, soufflé-je avant de me lancer. Je ... Je suis enceinte.

Je le vois ciller légèrement, les yeux écarquillés, puis il se reprend et recule d'un pas quand je m'avance vers lui.

_ Tu rigoles ? Hein ? Dis moi que c'est un foutu gag ! Et puis d'abord, il est de qui ?

C'est à mon tour de ciller sous le choc de sa question insultante.

_ Tu ne me le demandes pas sérieusement, Manoé ? Tu n'oserais pas ? Tu sais bien qu'il ne peut être que de toi. Tu es le seul avec qui j'ai couché, lui rappelé-je la gorge nouée.

_ Je ne sais rien du tout, justement. Et ce n'est pas ce que ton attitude des derniers mois laisse entendre. Qui me dit que tu ne t'es pas faite engrosser par le prof et que tu essaies de trouver un pigeon pour lui refiler la responsabilité que l'autre refuse certainement ? grince-t-il entre ses dents.

_ Tu ne penses pas ce que tu dis. Je ne te reconnais plus, tu deviens odieux avec moi et je ne mérite pas le mépris que tu me jettes continuellement à la figure pour quelque chose que je n'ai pas fait mais que ta jalousie aveuglante t'oblige à croire, tenté-je de le raisonner des sanglots dans la voix.

_ Je ne crois rien, je vous ai vus à plusieurs reprises. Il vient chez toi et vous êtes toujours aussi intimes. De plus, comment pourrais-je être le père du bébé, si bébé il y a vraiment, puisque nous avons toujours utilisé des préservatifs, à ta demande, je te rappelle.. Donc n'essaie pas de me prendre pour un con, encore une fois.

_ Tu ne crois tout de même pas que je te mentirais sur un tel sujet, non ?

_ Tu ne serais ni la première ni la dernière à utiliser des tentatives désespérées pour faire oublier ses erreurs. Tu ne m'as pas l'air d'être plus enceinte que moi.

_ C'est comme ça que tu me vois ? Jamais je n'essaierai de te piéger Manoé. Que tu me croies ou non. Je tenais juste à t'en informer car j'estime que tu as le droit de savoir que je porte notre enfant. Je voulais qu'on prenne le temps de discuter de ce qu'on voulait pour nous, pour lui. Je ne t'oblige à rien. Mais je tiens à connaître ton avis sur la question. Prends le temps de réfléchir et tu me diras ce que tu en penses. Mais ne tarde pas trop, il y a des délais à respecter pour... , lui indiqué-je d'un geste vers mon ventre ce à quoi je fais référence sans réussir à prononcer le mot.

_ Tu veux une réponse rapide ? Je vais te la donner. Il n'y a plus de nous, Mélissa. Tu fais ce que tu veux, ça ne me concerne pas. Et entre nous, c'est par respect pour ce que nous avons vécu toi et moi, que je ne vous ai pas dénoncé Sarault et toi. Mais faites gaffe tous les deux, d'autres seront peut être moins scrupuleux que moi, vu que vous ne cherchez même plus à vous cacher. Soyez heureux !

Sur ce, il enfourche sa bécane, enfile son casque intégral et démarre en me laissant une fois de plus anéantie par son rejet. Je réalise que le motard qui m'avait fait sursauter lors de la visite de Paul était certainement Manoé qui, au lieu de me laisser m'expliquer, préfère encore une fois tirer des conclusions hâtives. Je me doute que voir en plus mon ami me féliciter sous ses yeux a renforcé ses croyances erronées. Malgré tout, s'il respectait notre amour comme il le dit, il m'accorderait le bénéfice du doute, non ?

A ce moment, je le déteste de me faire ça, de nous faire ça. Il me rejette et il rejette notre enfant. Je ne m'attendais pas à ce qu'il saute de joie, mais quand même ! Je pensais qu'on en discuterait, qu'il me laisserait lui expliquer toutes les options qui s'offrent à nous, qu'il me permettrait de lui dire qu'à aucun moment je ne voulais qu'il renonce à ses rêves. Qu'on pouvait décider ensemble, ce qui serait le mieux pour nous deux.

J'envoie un message groupé à mes amis pour leur signaler que je suis partie pour une urgence familiale et que je les rejoindrai plus tard chez Suzelle pour fêter ça.

Prise d'une envie soudaine de m'épancher, je prends le bus en direction du cimetière où repose Loly. Ma meilleure amie a toujours su me réconforter, me redonner le sourire même quand la vie s'acharnait sur elle. Aujourd'hui, je me dis, qu'elle pourra encore une fois apaiser ma souffrance.

Je suis meurtrie dans mon âme. Mon coeur en lambeaux peine à battre normalement. Il est prêt à imploser. C'est la sensation que j'ai quand je m'allonge sur l'herbe près de la stèle de Loly, au plus près d'elle et lui livre ma peine.

" Je t'envie Loly. Tu as la chance de ne pas avoir connu ça. Comme je l'ai toujours dit, l'amour ça craint ! Je m'en veux d'être aussi égoïste car je suis sûre que tu aurais aimé, même de façon éphémère, ressentir cela pour un garçon. Et moi je suis là à me plaindre de mon sort alors que je continue de respirer et que mon coeur douloureux et bien amoché continue de battre dans ma poitrine.

Pourtant, j'ai mal, ma Loly, au point de vouloir que tout cesse pour de bon afin de ne plus souffrir. C'est bizarre de me sentir si seule alors que nous sommes deux dans mon corps. J'attends un enfant et je ne sais pas si je pourrais lui offrir ce qu'il mérite. Comment mon coeur brisé pourra l'aimer, lui, le fruit de celui qui me fait tant souffrir ?

On ne doit pas faire des enfants pour leur faire subir le malheur et la désolation. Je devrais peut être avorter et épargner à cette pauvre âme les misères de ce monde !

Mais cette partie de moi, de lui, ne devrait-elle pas vivre justement pour me rappeler qu'un jour, mon coeur a battu d'amour ?

Je suis perdue, Loly. Aide- moi ! Souffle-moi ce qu'il faut que je fasse ! S'il te plaît, je t'en supplie, indique-moi le meilleur chemin à emprunter !"

"As-tu déjà essayé de dormir avec un cœur brisé ?"

Je me recroqueville sur moi-même et pleure de tout mon saoul jusqu'à ce que mes yeux bouffis se ferment de fatigue et je me laisse emporter sur les flots de mon désespoir. J'émerge un bon moment plus tard, après m'être assoupie au pied de la stèle de mon amie. Je ne sais plus ce qu'elle m'a soufflé dans mes songes mais quand je me redresse, ma décision est prise. Elle est douloureuse mais nécessaire. Il n'y a qu'ainsi que j'aurai une chance de faire table rase du passé et repartir de zéro.

"Alors, plutôt que de me raccrocher à un rêve brisé, je me raccrocherai simplement à l'amour"

Quand j'arrive à la maison, je retrouve Mamie, inquiète de ma longue absence. A ma tête, elle devine que le moment est grave. Je lui demande de s'asseoir et lui fais part de ma décision. Nous pleurons toutes les deux, dans les bras l'une de l'autre ; moi pour ce que je perds après l'avoir effleuré du bout des doigts, et elle pour moi, pour tout ce que je vais traverser. Malgré tout, elle m'assure de son soutien et prend les choses en main pour que les démarches soient effectuées dans les meilleurs délais.

Le soir venu, je me rends chez Suzelle, mais m'invente vite une migraine pour ne pas avoir à rester longtemps. j'essaie de donner le change mais le coeur n'y est plus. Ce que je m'apprête à faire me détruit à petit feux. Et je ne veux pas plomber l'ambiance de sa fête. J'aurai tout le temps de lui expliquer plus tard.

"Ce soir, je vais trouver un moyen de faire sans toi"

Le lendemain, je traîne ma carcasse au lit et quand je descends, Mamie me dit que tout est organisé et que je dois me préparer car c'est prévu pour cet après-midi. Je réalise à peine l'enchaînement de tout ceci. Ma grand-mère s'est montrée d'une réactivité sans égale, et je sais tout ce que ceci lui coûte. Mes parents sont informés et me soutiennent eux aussi dans ma décision.

Tout se déroule tellement vite que je n'ai même pas le temps de prévenir mes amis. Dans la salle d'attente, je décide de leur adresser à chacun une lettre dans laquelle je leur explique la situation et la raison de mon choix. Je n'aurais jamais pu le leur dire en face, ils auraient réussi à me faire changer d'avis. Après les vacances, chacun va poursuivre son petit bonhomme de chemin et c'est mieux ainsi.

J'ai une pensée pour Paul, le chauffeur que Mamie a embauché pour nous conduire car elle n'a pas voulu quitter mes mains. Il n'a pas compris ce qu'il se passait. Je lui ai fait promettre de ne rien tenter contre Manoé, que c'est ainsi et que ça ne pourra pas changer le cours des choses. Je ne lui ai pas clairement dit ce que j'allais faire, mais je pense qu'il s'en doute ; il n'est pas stupide. J'espère qu'il comprendra mon choix. Je lui écris aussi une lettre pour tout lui expliquer. C'est bien plus simple et moins douloureux que de le faire de vive voix.

Quand on nous appelle, Mamie et moi nous levons.

"Je vais trouver un moyen de le faire sans toi"

Après ce jour, ma vie ne sera plus jamais comme avant....

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Coucou mes BeeLoved !

Triste chapitre hein ?! 😢
Sur ce coup, Manoé a merdé dans les grandes largeurs (oui encore plus que ce dont il avait été capable jusqu'ici ! 😫)

C'est une petite abeille aux ailes brisées qui prend une décision cruciale.
Mais quelle est-elle ? 🤔🧐🕵️‍♀️

Manoé aura-t-il le temps de rattraper sa bêtise monumentale ?
Essaiera-t-il au moins ?

Le final (de cette 1ère partie) en 2 publications est imminent !
On se retrouve samedi pour l'avant dernier post avant ma petite pause programmée !
Séquence émotions en prévision ! 😘

Bisous brisés 💔
Namsra

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