20. Dis que tu m'aimes

En média "Say you love me" de Jessie Ware

Les jours qui suivent, Manoé et moi devenons des élèves exemplaires. Nous ne loupons aucun cours, profitons de nos moments ensemble pour réviser et ne faisons aucune vague.

Dans les couloirs, quand je croise la CPE, machinalement, je baisse les yeux et essaie de me faire la plus petite possible.

Je suis encore morte de honte de la situation dans laquelle elle nous a surprise chez elle. Et même si Manoé minimise en me certifiant que sa mère a déjà oublié et est passée à autre chose, je reste mortifiée à chacune de nos rencontres. Raison pour laquelle, je n'ai plus accepté de mettre un orteil chez lui. Du coup, maintenant, c'est l'intimité de ma chambre qui accueille tous nos corps à corps, essayant d'être le plus silencieux possible pour nous épargner les railleries de Mamie.

Je n'ai pas eu le courage de raconter notre mésaventure à mes amis. C'est quelque chose de trop intime pour être divulgué à d'autres. Surtout qu'en ce moment, tous les élèves n'ont à la bouche que l'incident qui est survenu dans l'autre lycée de la ville, où un jeune prof de physique-chimie a été retrouvé en fâcheuse posture avec l'une de ses élèves. Du coup, malgré la fascination des lycéens pour échanger dessus, des ragots aussi vrais que faux, on sent une certaine tension parmi les professeurs et le personnel du nôtre.

Nous sommes chez les Sarault avec les filles pour organiser notre randonnée des vacances de pâques qui débutent la semaine prochaine, quand Paul débarque dans le salon de ses parents et demande à nous parler à toutes les trois. Ça fait un moment que l'on ne se croise qu'au lycée puisqu'il se fait rare en dehors. Je le soupçonne d'avoir rencontré quelqu'un. Je suis contente de savoir que tout comme moi, il ouvre son cœur à une autre.

Je n'ai pas encore eu le courage de parler de lui à Manoé. Non pas qu'il y ait quelque chose à cacher mais je n'ai pas envie qu'il pense que mes notes sont le résultat d'un passe-droit. Je sais qu'il n'est pas comme les autres à vouloir juger sans savoir mais je préfère juste attendre le bon moment. Déjà quand je lui ai dit que je partais en randonnée avec les filles et les parents de Loly, il n'a pas été ravi que je ne l'inclus pas dans mes vacances. J'ai dû user de beaucoup de diplomatie et de câlins sensuels pour lui faire entendre que c'est une coutume à laquelle nous ne pouvons pas déroger, surtout pas cette année où, pour la première fois, mes voisins et amis vont la vivre sans leur fille.

Mon petit copain s'est révélé si possessif à craindre que nous soyons peut être entourées d'une cohorte de garçons, que je n'ai pas osé lui avouer la présence de Paul. Je sais, c'est lâche de ma part, mais pour une fois, je ne sais pas comment concilier ma vie lycéenne et ma vie personnelle.

Paul me fait revenir au présent quand il s'installe près de moi.

- Vous avez toutes entendu ce qu'il s'est passé au lycée professionnel ? commence-t-il. Avec l'ensemble des profs du Corbusier, nous avons reçu des directives strictes. Nous ne devons pas interagir avec nos élèves en dehors des heures de cours et sans motif pédagogique. Le conseil d'administration est très strict à ce propos et ne dérogera sous aucun prétexte. C'est la raison pour laquelle, cette année, je ne prendrai pas part à la randonnée familiale.

- Quoi ? Mais non ce n'est pas juste ! nous exclamons nous en choeur.

- Les filles, j'ai bien conscience que ça va être bizarre cette année, d'autant pour les parents qui seront privés de leurs deux enfants. Mais je compte sur vous pour faire de ce séjour un souvenir inoubliable. La perte de Loly est encore fraîche pour eux, et ils ont besoin encore un peu, de vivre dans son souvenir. Vous pouvez faire ça pour moi, s'il vous plaît ? nous demande-t-il sincèrement.

- Oui, pas de souci, tu peux compter sur nous, lui réponds-je au nom de nous trois. Mais ça ne va pas te causer de problème, le fait que tu nous connaisses et que nous soyons tes élèves de Terminale ?

- A ce propos, je vais devoir vous demander de rester discrètes sur ce point, encore plus maintenant. Je ne veux pas que des ragots naissent sur une prétendue liaison entre moi et l'une d'entre vous, nous informe-t-il.

- Mais je ne peux pas cacher ça à mon petit ami, interviens-je malgré tout.

- Justement Mélissa, je ne veux surtout pas que l'information circule parmi Manoé Beauchamp et sa bande. Je me méfie de ce qu'ils pourraient en faire, me dit-il catégorique.

- Manoé n'est pas comme ça Paul ! m'insurgé-je.

- Lui, peut être pas, mais peux-tu être aussi catégorique concernant ses amis ? C'est bien ce que je me disais, poursuit-il devant mon incapacité à le contredire. Plus qu'un trimestre ; vous serez diplômées et moi je ne serai plus votre enseignant. C'est un tout petit sacrifice à consentir, non ? Un gars véritablement amoureux ne s'arrête pas à ce genre de futilité, Mélissa.

Je jette un regard aux filles qui sont restées silencieuses durant cet échange entre notre ami et moi. Suzelle me prend la main pour me témoigner son soutien, qu'elle verbalise une fois que Paul prend congé en nous laissant sur le cul, face à ses demandes. La brune et la rousse me rassurent en me disant que ça ne changera pas beaucoup de ce qu'il se passe déjà puisque je n'ai toujours pas révélé au châtain de mon coeur, mon lien avec notre professeur de français. Moi, je reste sceptique car je me dis qu'un mensonge, même par omission, reste un mensonge. Comment puis-je exiger une totale honnêteté de Manoé si je ne le suis pas moi-même ?

***

Nous sommes samedi soir, premier week end des vacances de pâques. Parce qu'il sait que nous ne nous verrons pas durant une bonne partie des vacances, puisqu'il est censé rejoindre sa mère déjà partie pour Nice, et moi, je ferai ma rando dans le Jura à compter de demain dimanche, pour une semaine, Manoé a décidé d'organiser une fête chez lui. Il a tellement insisté pour que j'y participe et l'aide à tout préparer que je n'ai pas pu refuser. Il a recommencé à intervenir sur notre jardin ce matin et demeure dans les petits papiers de ma grand-mère. Je vais du coup finir la nuit chez lui puisque de toutes les façons, Mamie est de sortie avec sa bande de sexagénaires délurées et il est prévu qu'elle découche, elle aussi.

Nous sommes dans le salon, et la fête bat son plein. Énormément de jeunes ont répondu à l'invitation et se frottent les uns aux autres sur la piste de danse improvisée. Mais Manoé et moi sommes dans notre bulle ; plus rien n'existe en dehors de nous. Même pas Carla qui, arrivée bien plus tôt avec le reste de la bande afin de donner un coup de main, n'a eu de cesse de me regarder de travers.

Je mets un point d'honneur à l'ignorer de toutes mes forces tout en lui assurant un spectacle des plus divertissants, en entamant une danse lascive et sensuelle dans les bras du beau châtain. Nous sommes soudain interrompus et notre bulle éclate quand il détache sa main de mes fesses avant de l'enfoncer dans la poche de son jean et d'en extraire son portable. Celui-ci devait être sur vibreur car avec le bruit et la musique ambiante, impossible d'entendre la sonnerie.

- Allô, Maman ? décroche-t-il avant de me faire signe qu'il s'éloigne pour mieux entendre ce qu'elle lui dit.

Je hoche la tête pour lui montrer mon assentiment, puis pour ne pas faire le pied de grue au beau milieu du salon, je décide de monter me rafraîchir à l'étage dans sa salle de bain. Je dois slalomer entre les différents couples qui s'enlacent par-ci par-là. Je croise Suzelle, la seule de mes amis qui a pu venir ce soir. Elle est en charmante compagnie et quand je surprends Théo s'approcher encore plus d'elle avant de prendre sa bouche en otage, je lui fais un clin d'oeil et disparaîs dans l'escalier.

Je finis de m'asperger le visage, prête à descendre retrouver mon faux bourdon, quand la porte que j'avais oublié de fermer à clé s'ouvre. Si au départ, je pense qu'il s'agit de Manoé venu me rejoindre, je déchante vite quand une tête blonde apparaît dans l'encadrement.

Carla entre dans la pièce et repousse la porte pour nous isoler du bruit. Ne comprenant pas ce qu'elle cherche ni ce qu'elle fait là, je le lui demande. Au lieu de répondre à ma question, elle se met à ricaner.

- Je dois admettre que tu es forte, Dicken, très forte même ! me dit-elle tout en me toisant de la tête aux pieds.

- Je vais te le répéter une seconde fois au cas où tu n'aurais pas compris la première : tu n'as rien à faire ici. Sors de cette pièce ! grincé-je.

- Forte et audacieuse, poursuit-elle sans entendre ma menace sous-jacente. Ça fait quoi ? Un mois ? et tu penses avoir dèjà des droits sur ce qui appartient à Manoé ? Ton audace est à la hauteur de ta naïveté, très chère ! Mais je suis quand même épatée de voir que tu as tenu aussi longtemps. D'habitude, Manoé éjecte ses plans cul beaucoup plus rapidement.

- Je ne suis pas son plan cul ! Tu...

- Détrompe-toi, Mélissa, tu n'es rien de plus que les autres, m'interrompt-elle. Un vulgaire pari, un challenge. Ta seule originalité est que tu as fait grimper les enchères car personne ne le croyait capable de te séduire et encore moins de jouer cette parodie de couple jusqu'à l'échéance de la fête de ce soir. On doit justement valider le défi. Il va empocher un max. Il est malin. Il a réussi à te garder jusqu'aux vacances de pâques.

- Je ne te crois pas. Tu n'es qu'une sale vipère menteuse ! me rapproché-je d'elle prête à lui faire ravaler toutes ses inepties.

- Je suis sûre qu'au fond de toi tu le savais, hein ? A ton avis, pourquoi n'a-t-il pas voulu que les autres sachent pour vous ? Il avait peur que quelqu'un fasse foirer ses plans. Sans compter le nombre de fois où il nous demandait de le couvrir pendant qu'il séchait les cours afin de te sauter. Tu ne t'es jamais demandée pourquoi on ne le dérangeait pas durant vos têtes à tête ? Pas un message, pas un appel. Réfléchis Mélissa. Tout était calculé.

Sentant les larmes prêtes à couler, je me détourne d'elle et me raccroche au lavabo. Mes phalanges blanchissent sous la pression qu'exercent mes doigts sur la faïence mais je m'en sers comme d'une ancre pour éviter de partir en vrille en donnant foi à son venin. Mais elle m'achève d'un coup.

- Tu crois qu'il ne sait pas pour le prof de français et toi ? Il vous a grillé un jour et c'est de là qu'est parti le pari. Il s'est dit que si Mr Sarault pouvait avoir droit à tes faveurs, il y arriverait aussi. Mais je dois admettre que sous tes dehors de petite sainte, tu es une vraie chaudasse en fait, te faire le prof et Manoé ! J'en serais presque admirative. Mais je vais devoir aller empocher ma part. Moi j'avais parié sur le fait que tu étais du genre à desserrer les jambes rapidement, fuit-elle hors de la pièce quand je m'apprête à lui faire bouffer ses paroles.

Je prends le temps de m'observer dans le miroir et ce sont toutes mes craintes qui me font face en lieu et place de mon reflet. Elles m'éclaboussent et salissent la beauté de ce que mon Faux bourdon et moi, nous vivons. Je sors de la pièce et me stoppe en haut des marches, bien décidé à retrouver Manoé et lui révéler les horreurs que sa très chère amie vient de me balancer. Il me faut un moment pour le repérer, tout sourire, récupérer une liasse de billets dans les mains de Sébastien quand Carla rejoint le groupe et félicite le châtain. A voir la tête des autres, et la façon dont Manoé parade, on comprend qu'il s'agit de la mise d'un pari qu'il vient d'empocher. Carla aurait-elle raison ? Tout ça, notre histoire, n'était-elle que l'illusion d'un stupide pari ? Ai-je été aveugle au point de ne rien vouloir voir des signes ?

Je sens les premières larmes dévaler mon visage. Je ne peux pas rester là, je ne veux pas leur donner raison, leur offrir cette victoire supplémentaire. Je décide de fuir au plus vite. Dans ma fuite, je percute Suzelle qui apparemment me cherchait. Quand elle voit mon visage en larmes, elle m'attire à l'extérieur à l'abri de tous les regards. J'ai juste le temps de lui dire que Carla m'a tout révélé concernant le pari, avant de prendre mes jambes à cou, trop pressée de fuir ce lieu.

Je cours, je cours, à en perdre haleine. Je dépasse l'arrêt le plus proche de la maison de Manoé et décide d'attendre le prochain bus pour chez moi à l'arrêt le plus éloigné.

Je ne sais pas par quel miracle j'arrive à destination. Face à mon porche dans la pénombre, tout me revient comme un boomerang et je m'affale au sol dans des sanglots bruyants, tant ma peine et ma désillusion sont immenses. Les sanglots me déchirent la poitrine mais ce n'est rien face à mon coeur qui implose.

Deux bras forts me redressent et me soulèvent. Je me recroqueville dans la chaleur bienvenue de cette présence tant mon corps frissonne de chagrin. Des mots tendres et apaisants me sont chuchotés. On fouille mes poches, récupère la clé de la maison et m'entraîne à l'intérieur, vers ma chambre à l'étage. C'est quand j'atterris délicatement sur mon lit que j'ouvre mes yeux rougis et croise, dans la faible lueur de ma lampe de chevet, ceux plein de compassion de Paul qui m'ôte mes chaussures.

Il doit lire toute ma détresse car quand je lui tends la main, il la saisit et me rejoint sur le lit, me prend dans ses bras et me berce jusqu'à l'endormissement.

Demain, je prendrai le temps de m'expliquer avec Manoé.

Demain, je comprendrai ce qui nous arrive.

Demain, je reprendrai ma vie en main.

Demain...

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Coucou mes BeeLoved,

On se retrouve aujourd'hui pour un long chapitre à la saveur amère.

Carla a lancé sa bave venimeuse qui malheureusement n'a pas loupé les ailes de notre petite abeille. Et c'est la chute en plein vol !
Ayayaïe !!!!
Manoé nous aurait-il donc berné ?
A-t-il joué au bilboquet avec notre cœur ?
Il paraît que le diable prend le plus séduisant des visages !
Et le sexy prof qui joue au preux chevalier...

Hâte de faire tomber les masques !

Je vous dis à mercredi (oui, je sais, ça va être super long d'attendre 😈😈😈) mais avec la reprise du boulot, j'aurai moins de temps pour l'écriture et je ne veux pas sacrifier ma passion première : lire vos histoires et celles d'autres jolies plumes !

Et puis, plus c'est long plus c'est bon, non ?

Quoique beaucoup doivent actuellement rêver d'un sac à main en peau d'anaconda ! 😂😂😂

Bisous larmoyants (petit sourire sadique en coin)
Namsra

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