14. Le manque de toi

En média "le manque de toi" d'Amel Bent

De toutes les représentations que je pouvais me faire de mes dix-huit ans, ce que je vis en est bien la dernière. Mon accession à la majorité et le champs des possibles que cela sous-entend devrait me mettre dans une euphorie folle. Pourtant, depuis dimanche, je suis là à me morfondre, m’isolant petit à petit des autres. Les filles me laissent de l’espace, le temps que je digère ma déception et mon premier chagrin d’amour. 

Je savais déjà que l’amour, ça craignait, mais je ne pensais pas qu’à peine y avais-je tremper les lèvres qu’on me l’arracherait et que cette saveur douce-amère ne quitterait plus mes papilles, en créant cette sensation de manque que seuls les addicts en sevrage forcé connaissent. 

Manoé me manque. Ce vide est tel que je lui en veux de m’infliger son silence. Et je m’en veux encore plus de ressentir autant de choses pour quelqu’un qui s’en fout.

Cela fait trois jours maintenant. Trois jours que je me désespère d’obtenir un signe de lui. Trois jours que je touche le fond à rester cloîtrée chez moi, écoutant inlassablement sa voix dans l’enregistrement de sa messagerie. J’ai même réussi à avoir raison de la patience sans limite de Mamie qui m’a sommée ce matin d’aller prendre un peu l’air. Elle me conseille d’extérioriser tout ce qui m’accable. Mais comment extérioriser quelque chose que l’on ne comprend pas ? Il y a une semaine encore, Manoé et moi profitions l’un l’autre d’instants de bonheur volés. Aujourd’hui, mon complice a disparu, emportant avec lui notre petit butin de moments partagés. Et moi, je suis là, coupable de ma peine. 

En ce mercredi, je me décide à me rendre à ma visite hebdomadaire au cimetière. J’ai toujours trouvé du réconfort à me livrer à ma meilleure amie. Elle a toujours su trouver les mots pour m’aider à y voir plus clair, me faire relativiser et apprécier chaque petit bonheur à sa juste valeur. Peut être qu’aujourd’hui encore, m’enverra-t-elle un signe pour m’indiquer la marche à suivre. Je m’installe dans l’herbe près de sa stèle, admirant comme à chaque fois sa photo scellée dans le marbre. Prenant une grande inspiration, je lui livre ma peine espérant que de là où elle est elle pourra l’alléger.

“ Salut, ma Loly ! Aujourd’hui est un jour sans. C’est dans ces jours-là que ton absence se fait le plus ressentir. Je devrais être là à te parler de la méga fête d’anniversaire à laquelle on avait songé pour mes dix-huit ans, et que j’ai réussi à organiser avec l’aide de notre fine équipe et de ta famille. On devait être sous substance ce jour-là car si j’avais su le travail que ça demanderait en cuisine, je n’aurais jamais validé et promis ce projet.

La fête a été une pure réussite et on s’est amusés comme des malades. Pas aussi géniale que celle de tes dix-sept balais ; mais en même temps, rien ne pourrait égaler le jour où tu as réussi à traîner tes quatre potes dans un salon de tatouage privatisé pour l’occasion, en exigeant de choisir celui de chacun d’entre nous, comme un cadeau d’anniversaire éternel qu’on graverait sur notre peau, dans notre chair. Malgré le fait que je douillais à mort chaque fois que l’aiguille s’enfonçait dans ma nuque, c’était un pur bonheur de voir tes yeux briller de vie. Ce jour-là, nous étions justes cinq ados, délirant et se challengeant sur des bêtises d’ados, loin de la peur, de la peine, de la maladie et de la mort.

Comme je te l’ai dit, je devrais être là à te vanter ma fête, mais le coeur n’y est pas. A ton absence, s’est ajoutée celle de Manoé. 

La semaine dernière, je te louais ses qualités, m’emballais dans des scénarii dignes des plus gros navets romantiques, endossant le rôle principal de la jeune fille énamourée voguant sur son nuage de paillettes en forme de licorne. Eh bah, tu sais quoi ? Les licornes, ça n’existe pas ! Et on vient de m’éjecter de mon nuage. J’ai beau brasser l’air, je vais immanquablement finir écrasée comme une merde au sol.

Pourquoi la seule fois où je décide d’ouvrir mon coeur, je me le fais piétiner, hein ? J’avoue, ce sont de belles godasses, mais quand même !

Si jamais Manoé n’en a vraiment rien à foutre de moi, s’il te plaît, Loly, aide-moi juste à l’oublier ! Ça fait juste trop mal ! C’est con, pour un truc tout récent qui comme un sous-marin n’a même pas eu le temps de faire surface ! “

Je poursuis mon monologue encore et encore jusqu’à ce que mes mots à l’instar de mes larmes se tarissent. Je ne repars pas plus allégée ni sereine mais au moins, j’ai partagé ma peine avec celle qui m’a toujours le mieux compris.

Comme la maso que je ne pensais pas être, mes pas me conduisent à l’arrêt de bus, où je monte dans celui qui me conduit vers la maison de Manoé. Je ne sais pas ce que je ferai une fois sur place, ni même si j’oserai descendre du bus, mais j’ai besoin de comprendre ou peut être de me faire encore un peu plus de mal. J’oublie toutes les conséquences de mon acte irréfléchi si jamais quelqu’un du lycée me voyait à proximité de la maison des Beauchamp, sachant que j’habite à l’opposé. Pire encore, si la CPE me surprenait devant sa porte, que lui dirai-je ? Je ne sais même pas si Manoé a parlé de moi à sa mère.

Arrivée à l'arrêt, quasiment en face de chez lui, je descends et tente de paraître discrète en circulant dans sa rue, l’air de rien. Il n’est que le milieu de l’après-midi, pourtant tous les volets de sa maison semblent clos. L’endroit semble désert. Je pensais que Mme Beauchamp profiterait de ses vacances pour se reposer chez elle, elle qui s’investit tant dans la communauté éducative de notre établissement. Toujours est-il que je ne fais pas long feu, de peur de tomber sur elle ou son fils à leur retour. Je retourne donc chez moi avec toujours plus de questions en tête.

Les jours défilent, la semaine s’achève et toujours aucune nouvelle du châtain. Bien décidée à reprendre ma vie en main et ne pas laisser une amourette éphémère me gâcher l’existence, je décide de profiter de mes amis qui me manifestent tout leur amour et leur soutien lors de nos différentes escapades dans notre bar fétiche, au centre commercial ou au ciné. Je redeviens chaque jour davantage, la furie sauvage qu’ils apprécient tant. Je ne m’accorde que quelques heures de chagrin chaque soir dans mon lit, où accompagnée de chansons tristes, je déverse ma sonate de peine dans mes draps.

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Coucou tout le monde !

On se retrouve pour le petit chapitre du jour.

Pauvre petite abeille ! Elle me fend le cœur. Pas vous ?
Manoé serait-il en train de merder dans les grandes largeurs ?
Pouvons nous lui accorder le bénéfice du doute ?

À lundi pour la réponse à ces questions !

Bisous larmoyants
Namsra

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