Feu, chapitre 2

Lorsqu'elle se réveille tôt ce matin-là, Élise a des cernes marqués sous les yeux. Elle n'a que peu dormi de la nuit dans le gite pris en vitesse pour revenir en Normandie. Ses rêves ont été agités, peuplés de maisons brulées alors que son esprit imaginait ce que pouvait être devenu la sienne. Les images tournaient dans sa tête, l'empêchant de dormir alors qu'elle se préparait au pire. 

Assise silencieusement dans la voiture conduite par son père en direction de chez elle, la rousse a l'estomac complétement noué. Même le pain au chocolat acheté par son père pour tenter de lui faire plaisir dans une boulangerie devant laquelle ils sont passés ne suffit pas à lui rendre l'appétit. Il reste dans son sachet en papier alors qu'elle n'en a pris qu'une seule bouchée. 

— La vache. 

Sa voix résonne faiblement alors que sa maison apparait en haut de sa petite colline. Élise sent les larmes qui lui piquent quelques secondes les yeux alors qu'elle fait face à des dégâts énormes. Elle a tenté de se préparer mais rien ne pouvait vraiment prédisposer son esprit à ne pas réagir ainsi face à l'immensité des dégradations. 

Alors que la voiture s'engage sur la petite route et grimpe la dernière pente, elle ferme fortement ses poings. Elle enfile ses gants et son bonnet et referme son manteau d'hiver jusqu'au haut de son cou alors qu'elle quitte la chaleur du véhicule pour le froid glacial de l'extérieur. Le vent gelé balaye la plaine et vient fouetter son visage. Ses yeux marron s'attardent sur la maison qui se tient pour partie debout devant elle. 

La toiture en ardoises est recouverte d'une petite couche de gel. Des poutres sont apparentes de toute part alors qu'une partie est désormais réduite en cendres. Elle fait attention où elle pose ses pieds et contourne un radiateur et une paire de skis recouverts de suie, vestiges des affaires stockées dans un second étage qui doit être intact qui sont certainement passés par le velux. Elle s'imagine la scène avec le radiateur volant quelques secondes avant de s'écraser bientôt suivi par les deux skis volants. Peut-être qu'une nouvelle discipline peut être créée à base de lancer de ski

— Qu'est-ce qui te fait rire ? 

— Rien, j'imaginais juste les skis en train de voler. 

Pourtant bientôt son visage est de nouveau fermé alors qu'elle entre dans la maison à travers la porte pour la vitre a été éventrée par un coup de hache la veille. Ses iris s'attardent sur la cuisine qui parait quasiment indemne. Elle a un hoquet de stupeur devant la salle de bain. Ses doigts effleure une peluche accrochée à sa rambarde d'escaliers une dizaine de jours plus tôt par des amis et qui semblent veiller sur celui-ci, vestige restant indemne au niveau du chaos et des marches pourtant empruntées par une vingtaine de pompiers pendant plus de six heures. 

Rien ne la prépare au premier étage. A travers la porte désormais supprimée, elle aperçoit ce qui fut un moment sa chambre et une salle de bain. Quelques morceaux de tissus sont les seules traces de couleur au milieu du noir et les uniques restes de ses vêtements réduits à néant. La fumée s'élève encore des lieux alors que des morceaux de bois sont calcinés de toutes parts. Sur eux, pourtant, le givre est installé. Il commence à fondre sous le léger soleil présent et la température encore présente. 

Elle observe de longues minutes la chanson du feu et de la glace qui entoure sa maison. L'ambiance est étrange. Elle pense aux pompiers qui ont dû entrer dans une fournaise alors que les températures flirtaient avec les zéro la veille et l'incompréhension l'étreint. Les mots résonnent, ceux qui disent qu'ils n'avaient pas bien éteint le premier incendie et elle ne comprend pas comment c'est possible. 

Elle grimpe d'un dernier étage pour observer un tout autre spectacle. La surprise la frappe alors qu'elle ne s'attendait pas au spectacle qui lui est proposé. Les briques et charpentes sont désormais apparentes. Quelques morceaux de placo restent présents sur le sol, se mêlant à isolant et film en plastique protecteur. Des câbles électriques jonchent le sol alors qu'il ne reste plus rien de ces murs et plafonds sur lesquels manquaient uniquement un coup de peinture pour les remettre au goût du jour. Les débris jonchent le sol et la rembarde de l'escalier comporte de nombreuses marques de coup de haches. Ses prunelles sombres glissent sur les velux dont l'aluminium encadrant le verre a fondu et semble tomber vers le sol en stalactites. Les vitres de leurs côtes sont grisées et toutes sont fissurées. Elle préfère ne pas penser à la fournaise à laquelle ont dû faire face les hommes du feu pendant leur intervention. 

Elle finit par redescendre et contourner ce qui fut un jour l'endroit où elle avait prévu de faire sa vie. Elle est un peu perdue au milieu de l'intégralité des gravas présents. Portes, morceaux de bardage, ardoises, bouts de charpentes et gouttières se mélangent sur le sol en gravillons noirs encore blanchis par le gel matinal. 

— Le vent a tourné hier matin. C'est d'ici que c'est reparti. 

Devant ses pieds chaussés de ses chaussures de randonnées sauvées car elles trainaient dans son coffre, il ne reste plus rien de ce qui était quelques heures plus tôt un tas de bois. L'immense monticule de ouate de cellulose a également quasiment disparu. 

Lorsqu'elle arrive au travail, Élise a l'impression de sentir le feu de bois. Le mélange de plastique, isolant, placo et bois brulé ne semble plus vouloir la quitter. Elle arrive le visage sévère, se rendant directement dans la salle de pause où elle sait que ses collègues se retrouvent souvent à cette heure-là de la matinée. 

— Alors, ta maison ? 

— Elle a rebrulé. 

— Quoi mais comment ça elle a rebrulé ? 

Les mots s'échappent et elle voit les visages qui se déforment par le choc et l'incompréhension en face d'elle. A vrai dire elle ne comprend pas vraiment non plus. Elle ne comprend pas comment un feu peut reprendre par de telles températures. Elle ne comprend pas comment on peut faire une erreur comme semblent l'avoir fait les pompiers. 

Elle tente de se concentrer sur quelques patients alors que son futur est incertain. Elle accepte la proposition d'une de ses collègues de venir dormir chez elle. D'autres tombent. Elle les refuse tout en les remerciant tout comme elle refuse l'hôtel qu'on lui propose. Elle a besoin d'être dans un cocon, dans des lieux connus. Des endroits où chaque craquement ne lui feront pas croire que sa maison est en train de prendre feu et où elle ne pourra pas fermer l'œil de la nuit.  

— Tu veux voir des photos ? 

Le mari de son amie hoche la tête alors qu'elle sort son téléphone. Lui connait également la maison auparavant. Il peut visualiser comment étaient les diverses pièces. 

— Ah ouais, quand même. 

Elle a un léger haussement d'épaules. 

— T'aurais vu c'était hyper étrange. Y a du bordel partout, mais y a des objets qui restent comme indemnes au milieu de tout ça. 

Elle repense à sa peluche solidement accrochée à son escalier, aux bouteilles et verres laissés sur la table de la salle à manger qui avait simplement été déplacées. 

— Et les pompiers, ils sont exactement comme ma mère, tout ce qui traine : Hop ! Par la fenêtre ! T'aurais vu tout ce que j'ai retrouvé dehors le premier coup et aussi le second d'ailleurs.

Un léger rire échappe à son ami suite à sa remarque alors qu'elle continue de faire défiler les diverses photos. Elle met la table tout en continuant de discuter de la situation, ayant désormais hâte d'avoir finir le repas pour laver l'odeur de feu de son corps et de ses habits qui en sont imprégnés.

— Du coup Alpine ? 

Il hoche légèrement la tête alors que ses amis l'interrogent sur sa saison suivante. 

— Retour à la maison. 

— Et ça va le faire avec Esteban ? Vous vous entendez à nouveau ?

Il sent sa mâchoire violemment se contracter.  Ses dents du bas grincent contre celles du haut alors qu'il pense au second pilote normand. L'atmosphère se tend immédiatement et tout le monde se met à regarder ses pieds. Le responsable de la question ne sait plus où se mettre alors qu'il ne s'attendait pas à une telle réaction. Les années avaient filé, mais pas suffisamment pour qu'il n'ait pas l'impression de sentir son cœur pourtant glacé la plupart de l'année se faire violemment transpercer. Il en veut un peu à son ami, ils savaient tous qu'il ne fallait jamais s'aventurer à remuer ce passé dont il ne voulait plus entendre parler.

— Oublie cette question. Tu seras plus en Normandie du coup ? On pourra profiter de ta présence ?

Il force un léger sourire avant de légèrement hocher la tête. Alpine a été choisie en partie pour sa présence en France. Si les locaux ne sont pas en Normandie, savoir qu'il va être non loin régulièrement est l'une des principales raisons de son choix. Rien ne vaut son chez-soi après des années à en vivre éloigné, même s'il aimera toujours l'Italie où il a élu domicile pendant un temps. Mais il a fini par comprendre que pouvoir faire des soirées avec des amis extérieurs au monde de la formule un lui sont indispensables à son équilibre de vie. Il faut qu'il coupe et il n'y parvenait plus dernièrement. 

— Je serai pas tout le temps là, mais plus quand même. Surtout que Paris n'est pas loin en train. 

Les sourires s'élargissent à cette réponse et il observe les verres se faire resservir tout en piochant dans un bol contenant des morceaux de concombre qu'il vient recouvrir de yaourt mélangé à des fines herbes.

Ses prunelles bleutées trainent sur les différents visages, notant les absents. Certains habitent désormais loin, d'autres sont occupés ce jour-là. Les derniers sont ceux ayant mis les voiles le jour où sa dispute avec Esteban avait fait exploser la bande de l'internat, prenant le parti du brun à la place du sien. Ce jour-là, leur groupe s'était fendu en même temps que son cœur et il n'est pas sûr qu'il arrivera un jour à le réparer. 

Les rires éclatent, s'élevant dans l'air du salon où ils sont tous entassés dans des canapés. Les murs sont colorés, bien loin de ceux immaculés de son appartement italien. Des cadres ornent les différents meubles, des photos sont présentes partout, rendant le lieu convivial et vivant. Un instant, Pierre pense au fait qu'avoir des photos de lui portant un petit enfant dans les bras est rêve bien lointain. Ses logements sont aussi glaciaux et impersonnels que les sentiments qui s'entrechoquent en lui depuis ce jour où elle avait préféré son rival à lui alors qu'il avait infiniment besoin d'elle. 

Il tente de sortir de ses pensées sa peine subitement remontée et de raccrocher la conversation qu'il a quittée lorsque cette stupide question avait été posée. 

— Tu fais le nouvel an avec nous ou vous vous faites un truc entre pilotes à l'autre bout du monde ? 

Il roule des yeux à cette question. Il peut noter la légère jalousie présente dans le ton mais ne s'en formalise pas. Il sait que ce n'est pas l'idée qu'il le fasse dans un endroit parfait qui leur déplait mais celle qu'il ne soit une nouvelle fois pas là. 

— Ni l'un, ni l'autre, je me suis fait invité par ma cous'. Si certains ont rien, je pense qu'elle sera pas contre vous rajouter même si ce sera plus la bande du village.

Un doux sourire prend place sur ses traits alors qu'il pense au fait qu'il va les retrouver. C'est complètement différent de ses amis du lycée résidant pour la plupart sur Rouen et avec qui il est facile d'organiser quelque chose au dernier moment. Là-bas, tous ont mis les voiles pour la ville, quittant la campagne souvent jugée morte et ne sont donc que rarement dans le secteur quand il y passe. Pourtant, c'est gambadant au milieu des champs et jouant avec les petits veaux qu'il a ses meilleurs souvenirs. Là-bas, ses amis lui font penser à l'été et l'insouciance de l'enfance, à une époque où il était incroyablement heureux et où tout semblait aller pour le mieux. Quand il y pense, il se demande toujours s'il sera un jour de nouveau aussi joyeux.

hihi, je reprends ici ! désolée pour l'attente, j'étais occupée par un autre projet d'écriture et j'ai eu un peu de mal à en sortir tant il m'inspirait - allez lire rends l'amour ! (+ période chaude au boulot qui aidait clairement pas à être sur 100 000 choses à la fois haha). 

c'était un chapitre un peu de transition, pour commencer à placer quelques éléments du passé de pierre & je vais essayer de m'y remettre pour de vrai cette fois-ci :)

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