Combustibles, chapitre 2

C'est beau la Normandie, comme le dit ma grand'tante Marie,
Mais si j'avais du blé je partirais bien loin d'ici
Souvent les soirs d'été, je m'assois dans les champs de blé
Je ferme doucement les yeux et j'écoute les pommiers chanter

Si j'avais le portefeuille de Manu Chao
Je partirais en vacances avec tous mes potos
Si j'avais le compte en banque de Louise Attaque
Je partirais en vacances au moins jusqu'à Pâques

trois mois plus tôt

C'est en fredonnant les paroles de la chanson qu'Élise traverse les petites routes des campagnes en direction du village dont elle doit rejoindre la place centrale un quart d'heure plus tard. Ses yeux clairs s'attardent sur le paysage avoisinant. Elle réalise d'un sourire que la chanson n'est pas très véridique. Il n'y a pas beaucoup de champs de blé en plein été. Dès la mi-juillet, la plupart d'entre eux sont déjà moissonnés. 

La jeune docteur ne faisait jamais attention aux paroles de la chanson, n'en connaissant que rapidement le refrain avant son internat et ses premiers stages. C'est au cours de celui-ci qu'elle a découvert la Normandie et qu'elle est tombée amoureuse de la zone où elle exerce désormais. C'est donc à cette occasion que le contenu de la chanson l'a particulièrement marquée, la rapprochant de son quotidien.  

Elle prend finalement un raccourci, empruntant un chemin de terre qui coupe à travers champs. En cette période de l'année, il est parfaitement accessible et permet d'économiser de précieuses minutes. Son prédécesseur lui a montré tous les passages avec lesquels gagner du temps lorsqu'elle n'était qu'une interne à ses côtés. Cela se révèle particulièrement utile lorsqu'elle est de garde ou tout simplement lorsqu'elle fait des consultations à domicile. 

Quelques minutes plus tard, elle gare sa voiture devant l'église. L'été touche lentement à sa fin. Si la chaleur est désormais supportable, elle n'en reste pas moins trop élevée pour une année normale. Après un été à devoir gérer des patients déshydratés, la rousse espère que la situation reviendra à la normale dès l'année suivante. Néanmoins, son espoir reste faible et elle se prépare aux pires éventualités. 

Ses pas la mènent vers la mairie où elle se rend ce soir-là. Elle n'a même pas eu le temps de manger avant sa réunion du conseil municipal. Ses journées sont interminables et au plus profond, elle sait que la situation risque de ne pas s'arranger dans le futur.

— Bonjour Élise. T'as l'air en forme aujourd'hui. Pas trop de malades ?

Son visage rayonne en réponse au sourire que lui adresse le maire du village. 

— Toujours trop malheureusement. 

— Et tu te fais à ta nouvelle maison ? Pas trop perdue en haut de ta colline ? 

Ses prunelles brillent de mille feux lorsqu'elle repense à sa nouvelle habitation. Chaque jour, elle a hâte de se lever pour pouvoir admirer le paysage s'étalant sous ses yeux depuis sa fenêtre. Ses soirées passées assise sur sa terrasse à profiter de la fin d'été et de la vue, sur des kilomètres à la ronde, dont elle dispose sont réjouissantes. Et même quand elle rentre de nuit, après des entrainements de volleyball ou des interminables soirées à soigner encore et encore, elle peut profiter de l'absence de pollution lumineuse pour s'émerveiller du spectacle que lui offrent les étoiles et la lune illuminant le ciel. 

— Salut Élise !  

Elle est coupée avant même d'avoir pu répondre. Elle se retourne pour faire face à un père de famille dont elle vient de soigner la blessure d'un des enfants. 

— Léon va mieux ?

Il hoche affirmativement la tête. 

— Heureusement que t'étais dans le coin. J'avais tout sauf envie de faire trente minutes de route alors qu'il pissait le sang pour l'emmener aux urgences.  

— C'est normal. 

Pourtant, elle sait que ça ne l'est pas. Soigner des patients sur ses jours de repos ne devrait pas arriver. Mais ils ne sont plus assez pour le nombre d'habitants des alentours. La situation paraît empirer et la jeune médecin redoute plus que tout la suite. Tous ici savent que son collègue va prendre sa retraite d'ici un an et qu'elle ne pourra pas faire face à l'afflux de patients. 

— Messieurs dames, j'ai eu un message de Bruno, il arrivera en retard, il a un souci sur sa ferme , je propose qu'on commence et il nous rejoindra plus tard.  

La joyeuse petite troupe s'engage dans la salle de conseil de la mairie. Des pizzas commandées tournent sur la table et ceux qui sont dans le même cas que la jeune femme en prennent au passage. Les sujets du moment sont passés en revue. Ecole, cantine, poubelles. 

— Il faut aussi qu'on parle des bornes incendie. 

Les regards se tournent vers Nathalie. Immédiatement ceux-ci se font sérieux. Ils savent pourtant comment cela se terminera. Ils repousseront le sujet, comme c'est le cas depuis des mois au plus grand damne de la pompier en retraite. 

— On n'est pas dans les normes. 

Un soupir s'élève de la salle. La réalité les reprend une nouvelle fois, comme à un conseil municipal sur deux. Mais le budget est trop important et celui de leur village trop faible. Avoir un accès à l'eau dans les deux cent mètres est peut-être possible dans certaines zones, mais bien plus compliqué quand les maisons sont parfois éloignées du centre du village et de l'habitation suivante de plusieurs kilomètres. 

 — Nathalie, monte un groupe et fais-nous une proposition. Mais tu connais notre situation. 

La grande blonde a un mouvement de tête et un léger rictus présent sur sa figure. Elle est bien aux faits du contexte. Pour en avoir discuté avec d'autres collègues dans d'autres villages, elle sait que la situation est critique dans un certain nombre d'entre eux. 

— Il y a un autre sujet à prendre en compte niveau gestion de l'eau. On est vraiment passé au bord de la catastrophe cet été. Il va falloir qu'on voit comment impliquer les habitants dans une gestion raisonnée parce que je pense qu'ils n'ont pas saisi les enjeux et ce qui aurait pu se produire fin août si la pluie n'avait pas fini par tomber. 

Les visages se font graves. Tous ont vu les courbes et ont enchainé les réunions de crise. Différents scénarii catastrophes y ont été évoqué. Celui d'approvisionner en bouteille d'eau en tête de liste. 

La porte s'ouvre alors que le sujet commence à être évoqué plus en profondeur et tous s'arrêtent de parler. 

— Bonsoir, désolé pour le retard. C'est toujours quand on a quelque chose qu'il y a un imprévu sur l'exploitation. Cette fois-ci, c'était le robot qui faisait des siennes. 

Les rires s'élèvent à cette remarque. Il n'est pas rare que l'éleveur soit absent suite à des pépins sur sa ferme. Élise qu'il vaut mieux que ce soit à cause du robot qu'un souci sur un animal. Quand c'est le cas, il est alors particulièrement énervé. 

— On parlait de l'eau. 

— Ah l'eau. J'espère que t'as fait remonter à la préfecture que l'idée de restreindre les vaches en eau était une idée de merde. 

Plusieurs voix s'élèvent en réponse, tandis que certains essaient de contenir leurs rires. 

— Ce sera dix centilitres d'eau pour vous aujourd'hui Monsieur le Préfet.  Oui oui que dix, on est en restriction d'eau vous savez. 

Cette fois-ci la salle explose ne parvenant plus à se contenir. Didier qui mène la séance a bien du mal à la faire revenir au calme. 

— Oui, je lui ai dit. Cela n'empêche qu'il va falloir aussi trouver des solutions sur vos exploitations. Mais ça reste un travail collectif, un groupe de travail est monté avec industriels, élus et agriculteurs, on devrait rapidement trouver des pistes. 

— Je veux bien faire de la communication grand public sur le sujet dans le cabinet et au cours de mes consultations. De toute façon, même s'ils n'appliquent pas ce qu'il devrait, il était évident qu'ils ont conscience de la situation. 

Les prunelles se fixent toutes sur la médecin qui se met à rougir. Elle déteste être le centre de l'attention. 

— Excellente idée Élise. En plus tu quadrilles particulièrement bien la zone. D'autres qui pourraient voir comment communiquer sur le sujet ? 

Les iris sombres de la médecin croisent quelques secondes plus tard ceux vert émeraude d'une jeune femme d'à peu près son âge. 

— Je veux bien voir pour ça. Ça va dans le thème de la communication qu'on souhaite mettre en place de toute façon. 

Un faible sourire étire le visage tacheté de tâches de rousseur en réponse à l'institutrice. 

— Bien c'est acté. Vous gérez ça. On a fait le tour, est-ce qu'il y a des sujets à ajouter. 

— Le désert médical. J'ai des patients qui font quarante cinq minutes de route pour me voir parce qu'ils ont plus de médecins dans leur zone. On tient pour l'instant, mais Didier part à la retraite l'an prochain et je tiendrai jamais. 

Les têtes se font sérieuses. Les bouches se tordent en de légères moues chez plusieurs élus. 

— On en parle au prochain conseil ? C'est pas en cinq minutes qu'on aura le temps de gérer la situation. Mais je pense qu'on a tous conscience ici de la gravité de la situation. 

La réunion se termine quelques minutes plus tard. Ils traversent rapidement la rue pour rejoindre le bar du village. C'est le point central de celui-ci, l'un des derniers commerces encore présents avec la boulangerie et un restaurant. Leurs regards sont rivés vers le petit écran où passe un match de football. La première question fuse déjà à la vue du score s'étalant en haut de l'écran.

— C'est qui qui a marqué ? 

— Cornette pour nous. Maja a égalisé pour eux y a deux minutes. 

Les espoirs sont grands dans le secteur alors que Le Havre est premier de la deuxième division. Tous espèrent une remontée après plusieurs années dans le purgatoire pour le plus vieux club de France. 

— Toi t'en as rien à faire Élise, non ? 

— Non, mais j'ai hâte que mes sang et or vous mettent la misère l'année prochaine. 

En face, elle peut voir des yeux rouler de façon exagérée et quelques rires se font entendre. Une bière à la main, elle profite malgré tout de l'ambiance. Si le HAC ne serait jamais le club qui enflammerait son cœur, il y prend une place un peu plus importante à la suite de chaque soirée partagée avec eux. Alors comme tous les autres, elle hurle lorsqu'un ballon envoyé par Alioui termine dans le fond des filets. Et quand elle se laisse tomber sur son oreiller dans sa maison où elle est depuis quelques semaines, l'hymne chantée et rechantée en fin de soirée résonne des minutes durant dans son crane avant que le sommeil ne l'emporte.

Le bruit d'un camion effectuant une livraison réveille Pierre ce matin-là. Il se relève dans ses draps tout en grognant. Il a l'impression que des milliers de couteaux sont en train de transpercer son crâne et il regrette déjà la soirée de la veille. Il n'aurait jamais dû boire autant de verres en compagnie de son équipe. 

Il tâtonne sur sa table de nuit et saisit la bouteille d'eau qui y traine ainsi que le paquet contenant des dolipranes. Il ne sait pas qui a eu l'idée de les déposer là en le ramenant de soirée mais en cet instant, il lui est éternellement reconnaissant d'avoir pensé à son état le lendemain matin. Il les avale rapidement, l'eau réhydratant ses lèvres et sa bouche bien trop pâteuses. 

Ses souvenirs de début de soirée sont nets, mais la suite est embrumée. Elle semble s'être évaporée sous l'alcool avalé. Il se souvient d'être en train de rire avec Yuki et d'improviser une danse au milieu du bar en sa compagnie. Il se souvient la brise de cette fin d'été le faisant frissonner alors qu'ils se retrouvaient dans les rues de Milan après le Grand Prix d'Italie. Il se souvient marcher avec des mécaniciens et d'autres membres de son écurie tout en chahutant. Il se souvient les lumières de la boite de nuit où ils se trouvaient. Il se souvient de la musique lui arrachant les tympans et de la voix faible de ses amis qu'il ne cessait de faire répéter. Il se souvient de récupérer un verre de vodka que lui tendait Max. 

Max ? Il ne se souvient pas de comment il s'est retrouvé dans une soirée en sa compagnie. Il ne se souvient pas non plus qui l'a ramené jusque chez lui. Il sait juste qu'il est rentré seul de ce qu'il peut voir. 

Il se laisse retomber sur son oreiller, pensant à ses draps confortables et au sommeil qui lui tend les bras. La sonnerie stridente de son téléphone le fait sursauter et lui broie les oreilles au passage. Il déteste immédiatement la personne qui ose l'appeler aussi tôt. Un coup d'œil lui indique qu'il s'agit de son entraineur. Il soupire bruyamment avant de porter son téléphone à son oreille. 

— T'es réveillé ? Je te rappelle qu'on a rendez-vous dans une heure en débrief. 

La voix lui paraît trop forte. 

— Moins fort, j'ai mal au crâne. 

— C'est ça de trop boire. 

Il le hait encore un peu plus quand il ne baisse pas son ton en reprenant la parole. Pourtant, il sait qu'il a raison. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même pour ce mal de tête. Il serait malade, cela serait autre chose. Mais il sait que son état est uniquement lié à un manque de sommeil mêlé à un surplus de boisson.

— Bouge-toi, je serai devant chez toi dans trente-cinq minutes vu que tu parais pas suffisamment réveillé pour conduire. 

La conversation est coupée et il résiste avec grande difficulté à l'idée de replonger sous sa couverture. Il finit par se lever et se dirige vers sa salle de bain où la douche qu'il prend lui fait le plus grand bien en plus d'enlever une partie des effluves d'alcool qui trainent sur lui. Il continue sa routine matinale par un brossage de dents. 

— Alors t'es prêt ? 

Pierre se tourne vers Pyry présent dans l'entrée. Il pose son café qu'il était en train d'engloutir. Même sans avoir pleinement décuvé, il a besoin de cette dose d'amertume comme chaque matin. 

— L'intimité tu connais ? Tu peux toquer. Imagine j'aurais pas été seul. 

— C'est moi qui t'ai ramené cette nuit. Et t'étais bien seul. Seul avec tes envies de vomir et à te plaindre pendant tout le trajet que tu voulais pas déjà rentrer, mais bien seul. 

Ses joues rougissent légèrement devant les semi-reproches qui lui sont faits. 

— Désolé. 

— C'est rien. C'est pas la première ni la dernière fois que ça se produira. 

Il lui adresse malgré tout un sourire un peu désolé. Le blond sait parfaitement qu'il peut être énervant en fin de soirée lorsqu'il a trop bu. Nombreuses sont les personnes à lui avoir déjà fait la remarque. Mais elles continuent tout de même de lui venir en aide, ne l'abandonnant pas à son sort.

— Allez, si t'es prêt on y va !

Il le suit en trainant les pieds. Sa tête tombe sur la vitre aussitôt assis dans la voiture. Il regarde la ville défiler alors qu'il la traverse, peinant à garder les yeux ouverts. Les trottoirs sont remplis de passants. Les rues grouillent de monde. Les boutiques sont pleines à craquer. Le soleil matinal illumine les lieux. Dans un bar tabac, les tables sont pleines de monde en train de prendre un café et une viennoiserie. Pierre ne peut s'empêcher de penser qu'il aime Milan. Il aime la foule. Il aime la civilisation. Et il est heureux de vivre dans un endroit comme celui-ci. Parce que même s'il y a un peu trop de distraction, au moins il est sûr qu'il ne s'ennuiera jamais. 

x x x

 eh voilà pour ce deuxième chapitre. il y en aura 4-5 de mise en place du contexte avant de rentrer dans le vif du sujet. 

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