4
Tas de vêtements propres dans les mains, serviette surtout, et ma trousse de produits entre les dents, je referme la porte de mon studio et sursaute lorsque je me retourne. Mon voisin est là aussi, torse nu et ses affaires de douche dans les bras.
Mon regard se perd un instant sur la contemplation de ses tatouages, et quand je relève mon visage vers le sien, je le découvre les cheveux ébouriffés, le sourire aux lèvres.
— On va devoir se doucher ensemble, jolie voisine.
L'image de cette douche ensemble me traverse l'esprit, me donnant chaud mais son jeu de sourcils complètement débile le décrédibilise quant à sa sexy-attitude.
— Alors là, même pas en rêve.
Il hausse ses épaules et je fronce les sourcils.
— Tu passeras après moi dans ce cas, Dana.
— Ah ça non ! m'énervé-je en m'avançant vers lui d'un pas assuré. J'ai été en retard hier, de part ta faute ! Je me lave avant !
Il rit, nullement impressionné par ma voix tranchante et mes exigences.
— Va falloir la gagner cette place de première dans la file.
Je le bouscule pour passer et descendre, mais sa poigne ferme me retient par le bras.
— Gagner ne veut pas dire que tu l'as d'office. T'es prête à relever le défi ?
Ses yeux brillent de malice et son air taquin me détend étrangement.
— Ah oui ? Et quel défi Yessim ?
— Je voulais t'inviter à manger de la saucisse dès le matin, lâche-t-il, mais tu m'aurais joliment envoyé chier, donc... Une course ?
— Course ? répété-je dubitative.
— Exactement. On monte là-haut, dit-il en pointant les escaliers menant au troisième, et une fois le départ donné, on y va. Le premier à la salle de bains prendra sa douche en premier, durant une semaine.
Je lève les yeux au ciel, réprimant une grimace d'exaspération. Mon dieu, cet homme est en fait un véritable gamin.
— Tu sais jolie voisine, se pavane-t-il, le temps que tu réfléchisses, le temps file.
Le con, il a raison.
— D'accord, mais durant un mois, pas une semaine.
Il se rapproche jusqu'à ce que mes bras croisés sur mon linge frôlent son torse et je retiens mon souffle, ne pouvant plus feinter de ne pas voir ce torse diablement musclé et tatoué.
— Ça se négocie, murmure-t-il.
Il recule vers l'escalier et je respire enfin. Putain, ce mec est canonissime et ça en fait un homme redoutable pour moi.
Les hommes, j'en ai déjà connus, pleins, même trop, et ce, malgré mes dix-huit piges tout rond. J'étais ce qu'on appelle une fille facile, prête à tout pour me faire aimer par la gent masculine. Je me suis accrochée à certains, et j'ai même supplié le dernier, presque nue, de ne pas partir après notre étreinte. Il m'a ri à la tronche, évidemment. Quand j'ai compris que les mecs ne me considéreraient jamais comme une petite amie potentielle, et qu'ils me feraient toujours souffrir un jour ou l'autre, j'ai décidé de me reprendre en mains. Jamais je ne serais à la botte d'un pauvre type, jamais je ne lui lecherais le fion pour être adorée. Celui qui partagera ma vie devra accepter mon caractère de merde, ma grande gueule, et mes fêlures, bien avant qu'il obtienne du sexe.
— Dana ?
Je sors de ma léthargie et reporte mon attention sur le mec un peu trop beau, devant moi.
— Quoi ? T'es pas encore en haut ?
Je le bouscule et grimpe devant lui sous son sifflement appréciateur. Qu'il mate mon cul si ça le chante, il devra se contenter de cette vue sans jamais toucher.
— Je crois qu'on va monter des marches ensemble chaque jour, voisine.
— Ta gueule, pervers. Et grouille-toi.
Une fois en haut des escaliers, nous nous mettons côte à côte contre le mur face aux marches.
— Prête ?
— Un, l'ignoré-je. Deux.
— Trois ! hurle-t-il en riant.
Nous démarrons au même instant, et j'éclate de joie quand je passe devant lui.
— Tricheuse !
Je me marre, comme une gosse en dévalant les marches quatre à quatre, jusqu'à ce que ma cheville se torde et que je me vautre, faisant des cumulets* et lâchant des grognements de douleurs à chaque fois que mon dos percute le bois. Lorsque j'atterris les quatre fers en l'air sur le palier, mes yeux sont bordés de larmes, mes joues rouges de honte. Yessim court me rejoindre, et son rire grave me donne envie de le baffer.
— Quelle honte ! La loose !
Il se marre, saute par-dessus mon corps et continue sa course, comme si je n'avais pas besoin d'aide pour me relever.
— Gagné ! l'entends-je crier du rez de chaussée.
Quel connard !
Je me redresse, non sans mal, et constate que je me suis légèrement blessée sur les coudes. Je remonte les quelques marches, ramasse mes fringues éparpillés et mes clés, et croise le regard de la blonde, croisée le jour d'avant, qui a ouvert sa porte.
— C'était toi tout ce boucan ?
— Euh ouais, réponds-je mal à l'aise. Je me suis vautrée.
— Hum... Ok.
Elle referme sa porte et je soupire. La journée commence hyper bien, et il n'y a pas à dire, mes voisins aiment aider leur prochain.
Quand j'arrive devant la salle de bains, le clodo est adossé contre le mur, et m'attendait impatiemment à en croire la fierté sur son visage.
— Dana...
— Quoi ? ralé-je.
— J'ai gagné, se vante-t-il, fier comme un paon.
— Parfait don juan, nous irons chez Action, je crois qu'ils vendent des médailles pour les gosses.
Il rit en jouant encore au crétin remuant ses sourcils et me fait une petite révérence.
— Bon, pour le manque de fair-play de ma part, ajoute-t-il, je te laisse la salle de bains pour aujourd'hui.
Sans me faire prier et fâchée, je rentre à l'intérieur de la pièce et lui claque la porte au nez.
Mais quelle idée débile cette course !
∞
— On fait quoi ici ?
Cindy attrape les ours en peluche sur le rayon, avant de le redéposer.
— Je cherche les médailles en plastique.
Accroupie, la tête coincée entre les coupes en or plaqué et les sachets de confettis, je fouille le rayon et pousse un cri de victoire en attrapant ces maudites récompenses.
— Tu vas foutre quoi avec ça ?
Je me relève, et pousse mon doigt dans la bulle de chewin-gum que mon amie fait gonfler entre ses lèvres. Elle explose, s'étalant sur sa bouche, ce qui la fait pester et rire en même temps.
— C'est pour mon voisin.
— Ah ? Tu ne m'as pas dit que tu l'avais revu !
Elle s'enthousiasme un peu trop pour ce type, alors que honnêtement, il m'horripile de plus en plus. Nous avançons vers la caisse, et nous nous mettons à la file.
— En même temps, j'ai pas trop le choix, c'est mon voisin de pallier.
Elle secoue la tête, et attrape son téléphone pour vérifier l'heure.
— Pourtant, je t'assure que je ne croise que rarement les miens de voisins.
— Tes voisins ont quasi nonante* ans, pouffé-je. Le mien doit avoir... Vingt, vingt-deux ans au grand max ! Et je te rappelle que si je ne veux pas me transformer en boule puante, je n'ai pas le choix de partager la salle de bains avec lui et les autres nanas de l'immeuble.
— Il est glauque ton immeuble, dit-elle en frémissant.
— Mouais...
Après notre escapade, nous retournons en cours. Je suis en dernière année, si je ne compte pas faire ma septième professionnelle. J'avoue qu'elle me tente bien, comme ça, je pourrais éventuellement donner cours à de jeunes apprentis, mais j'en ai tellement ras le bol de ma vie en ce moment, que l'envie de me barrer à la fin de cette année avec mon diplôme de coiffure me tente encore bien plus.
Il est dix-sept heures trente quand nous sortons de l'école. Je presse le pas pour rejoindre mon chez-moi. Cindy est repartie avec Olivier, et comme je n'ai pas l'habitude de faire le chemin seule, je suis légèrement angoissée. La ville grouille de monde, les voitures roulent pare-choc contre pare-choc, les klaxons hurlent et les piétons s'amassent sur les trottoirs, attendant impatiemment que les bus arrivent.
Je marche, tête basse, puis je me rappelle des torgnoles que je me ramassais sur l'arrière de la tête lorsque ma mère me hurlait : regarde devant toi quand tu marches ! Tes godasses sont moches, alors arrête de les fixer.
Je frissonne, et relève le menton, comme elle me l'a toujours appris. Merde. Pourquoi a-t-il fallu que je tombe dans une famille de barges ? Ma mère devrait réellement se faire soigner, pour son bien, mais le nôtre aussi. Parce que je n'oublie pas qu'elle a encore mon petit frère qui vit avec elle, et qu'elle lui sera autant nocive qu'elle l'a été pour moi.
— Hep, la meuf !
Je continue mon chemin, mettant des oeillères pour ne pas prêter attention au Trouduc' qui m'appelle, mais apparemment, que je ne lui réponde pas l'énerve. De sa main puissante, il m'attrape le bras, et me retourne face à lui.
— Lâche-moi putain !
— T'allais où comme ça ?
Yeux défoncés, il pue le joint et la bière et tente de m'attirer contre lui.
— Lâche-moi ! hurlé-je en espérant que mes cris le fasse fuir, ou au contraire réagir les passants. Mais rien, et j'ai beau me débattre, il est bien plus fort que moi. Mon talon s'écrase sur la pointe de sa basket, le faisant grimacer.
— T'es bonne, c'est pas de ma faute si j'ai envie de te baiser, souffle-t-il dans mon cou.
— Dana ?
Oh putain Oui ! Sa voix fait relever la tête du baraki* et j'en profite pour me défaire de ses bras. Mon classeur lui atterrit en plein visage, et j'en profite pour me barrer avant qu'il ne me course.
Yessim se poste devant moi, l'air sérieux, énervé, soucieux aussi. Il porte sa veste en cuir, et son sac de cours pend sur une de ses épaules.
— Tu le connais ?
— Sérieusement ? m'énervé-je. Non !
Il foudroie du regard mon agresseur, et la rage qui émane de lui me percute. Ah non !
— Bon, je rentre.
— Je vais lui casser la gueule, siffle-t-il.
Je le contourne, et continue d'avancer vers l'immeuble.
— Dana ça va ?
— Oui, grogné-je.
— T'es certaine ? T'es rouge...
Mes pas s'arrêtent net quand il pose son bras sur mon épaule.
— Tu penses pouvoir me toucher parce que tu t'es pris pour Zorro ? Je gérais seule, merci. Je vais super bien, merci. Maintenant barre ton bras.
Il obtempère malgré la fureur de ses iris.
— T'es complètement tarée ma pauvre. Tu devrais me remercier d'être intervenu sinon ce mec aurait planqué ton corps dans une ruelle puante de pisse.
Il me bouscule et continue le chemin seul, me laissant sur le trottoir. Il a raison, dans le fond je le sais. Et même s'il m'a aidée de sa présence, je n'arrive pas à le voir autrement que comme un mec beaucoup trop dangereux pour moi.
∞∞∞∞
Cumulets : roulé-boulé
Nonante : quatre-vingt-dix.
Baraki : en France, je pense qu'on dit cas soc'? Casos ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top