" Je prends un thé à la rose et elles aussi, demande Loïs

Je lève les bras en signe d'impuissance.

- D'accord Rossignol ! J'adore ça de toute façon."

Violet nous demande de prendre des gâteaux à la cannelle et va s'asseoir à une table ronde, près d'une fenêtre ronde.

Cet endroit est vraiment joli. Toutes les couleurs sont dans des tons verts, sauf les rideaux épais qui serviront pour les saisons les plus froides.

L'odeur est sucrée et douce, épicée et mielleuse. On voit dans une vitrine des petits gâteaux décorés de sucre, des viennoiseries, des pâtisseries. Au dessus, entreposées, les théières et services à thé, attendent de répondre aux attentes des visiteurs attablés .Délicates, raffinées, ornées de nacre et de couleurs passées, signe de leur longue vie. D'autres récipients en terre, avec des couleurs vives, prennent soin de diversifier la collection et de capter les rayons du soleil couchant.

La lumière passe dans les coins, et vers cette heure elle éclabousse le café d'or liquide. Ses éclats mangent le visage des clients, agrémentant leur teint de prouesses et d'ombres courbées.

Les tables sont en bois poli, avec quelques gravures représentant des animaux ou des plantes. Dans les petits creux et les fissures se trouvent les souvenirs des heures passées. Sur la troisième table au fond, si on regarde bien, on trouve des initiales gravées.

Aux murs sont accrochés des tableaux : aquarelles, peintures, croquis, taches de couleur, tissus. Et surtout.. des horloges. Tout type d'horloge. Pendule, coucou, réveil, carillon. Aux murs, au plafond. Et malgré ce qu'on pourrait penser, cette musique répétée apaise doucement l'endroit.

Violet et moi, on est émerveillées. Ça m'inspire profondément.

Et être inspirée, ça me plonge dans un univers très doux et lumineux. Mes pensées sont les seules âmes qui m'entourent. Les voix aux alentours, lointaines, sont comme les grésillements d'une vieille radio fatiguée. C'est un plongeon intérieur. Mais rassurant.

Mes yeux dérivent sans voir les taches colorées que sont mes voisins de table.

C'est un cocon, un endroit tranquille. Le plus profond silence dans le plus grand bruit. Un espace fragile. Un ciel bleu sans nuages.

Dans les moments d'inspiration, il vaut mieux être seul, sauf si la sensation vient de personnes elles-même. Je ne ressens d'un coup plus le besoin de m'exprimer de quelque manière que ce soit. Je suis là, et ça suffit. Mes sens pourraient parler à ma place. Présente dans cet endroit, je suis bien. C'est comme des retrouvailles avec un ami de longue date.

Je veux juste rester ici, et penser fort. Je me dis que "penser fort" est à la fois une bonne et une mauvaise façon de l'exprimer. C'est fort, mais doux... Entrainant.

Je me retourne et Loïs est là avec nous, depuis quand est-il revenu ?

Il m'interpelle :

" Hé Cyan ! Ça te plait, cet endroit, non ?

- Je suis juste bouche bée...

Je ne mens pas. C'est indéfinissable. Je me sens comme un grain de sable au fond de l'océan. Une goutte d'eau dans l'univers. Loïs sourit vers moi et bois son thé, installé avec Violet à la table pendant que j'observe, plongée dans mon esprit.

L'hirondelle s'est procurée un petit crayon gras, et elle croque des visages sur sa serviette en papier. En l'un deux, je reconnais Loïs, et ça me fait sourire.

L'apaisement m'emporte. Il m'engloutit. Il me nappe. Il m'enveloppe. Il m'enrobe. Il me garde. Il m'habille. Et cette sensation me fait réaliser ma fatigue. Je me dirige vers mes oiseaux, pincée au cœur de devoir quitter cet enchantement.

Loïs a bu mon thé. Ils sont d'accord pour rentrer, et on décide de repartir chacun de notre côté.

Je repense à la journée écoulée.

Je me demande si je mérite tout ça. Je me demande si c'est juste maintenant et pas après.

Mais je secoue la tête, étonnée. Depuis quand je me soucie du mérite ? J'ai toujours avancé comme ça. Sont-ils  éternels ou éphémères ? Je ne peux pas le décider.

Loïs... Violet... Penser à elle. Et son regard. En voilà une chose inspirante. J'irais développer leurs portraits demain, comme je n'ai rien de prévu.

Le chemin pour rentrer chez moi est un peu long, alors j'écoute de la musique.

Ça aussi, c'est une chose ancrée en moi.