Je m'appelle Cyan. Juste Cyan. Et ce que j'aime, c'est la photo.
Saisir la poésie des choses, trouver le moment actuel beau, et le capturer dans une boîte. Je considère un peu ça comme de la magie. Je prends surtout des paysages, mais il m'arrive de prendre des portraits.
Ce que j'ai le plus dans mon appareil, c'est les scènes de vie.
C'est ce qu'il y a de plus saisissant à observer, et donc à photographier. Mais là, ça fait quelques minutes que je suis accroupie derrière un buisson, à chercher un beau visage à capturer. Et je crois que j'ai une proie.

Ce petit oiseau est installé en tailleur sur un banc, et lit un livre. Je vois beaucoup de sagesse dans ses gestes, dans le regard qu'il pose sur les lignes. C'est décidé, ce visage je l'aurais.
Je me lève, et me dirige vers la future géniale photo qui m'attend. Petit oiseau est tout menu. C'est donc un rossignol. Il lève les yeux, alors j'aborde directement le sujet qui m'intéresse : « Bonjour, je m'appelle Cyan, je fais de la photo. Et j'apprécierais beaucoup de te photographier. Tu veux bien ?
-Bon j'avoue, je ne pose pas vraiment la question-
Rossignol me regarde, la mine réjouie.
- Ben oui, pourquoi pas ? Moi je m'appelle Loïs.
Je souris. Ce gars a l'air sympathique. Bon, j'ai mon modèle. Je n'ai pas besoin qu'il pose. Tout ce dont j'ai besoin, c'est d'un instant. Bien.
- Rossignol, dis-je, je veux que tu continues ce que tu étais en train de faire. Simplement, quand je t'appellerais, tu me regarderas. Je compte sur toi.
- Attends, sourit-il, comment est-ce que tu m'as appelé ? Et puis, je vais jamais réussir à lire, comme ça ! Tant de pression...
Et il rit. Décidément, ce surnom est parfait.
Il se reprend.
- Bon, on a qu'à dire que ce roman est tellement passionnant que je serais complètement absorbé... N'est-ce pas ?
- Tout à fait. Mais si c'est le cas, tu n'arriveras peut-être pas à en sortir.
- Et, au fait, Cyan... J'adore ce surnom. »
Et il replonge dans son livre.
Je m'installe par terre, dans l'herbe. Je regarde les fleurs. Je les photographie en pensée.
Je fais ça tout le temps ! Prendre des photos en pensée.
Des ignorants diraient que je ne fais que regarder comme tout le monde, mais ils ne savent pas une chose.
J'ai comme un appareil dans la tête.
Je retouche, règle, agrandit, cadre en regardant chaque chose, et je prends des photos . Bien sûr, ce n'est pas vraiment une machine implantée dans mon cerveau. J'ai une grande imagination. Mais j'ai un vaste album de photos intérieures. Je reviens à ces fleurs. Des pâquerettes. Roses.
J'observe mon modèle... Il est prêt.
« Loïs ?
Il relève la tête, et j'ai mon instant. Je l'ai. Et il est fichtrement réussi. Mon cher rossignol, on ne va pas se quitter comme ça.
- Je peux voir ?
Ce petit sourire taquin est impossible à ignorer. Je lui tends l'appareil, et il jette un regard prudent, comme s'il avait peur d'abimer mon travail en posant ses yeux dessus. Ça me touche.
Je guette sa réaction du coin de l'œil...
- Cyan ! C'est magnifique !
Et ce rire si enjoué finit par me faire sourire aussi. Je m'assois à côté de lui. Et j'écoute les bruits du parc. C'est printanier, il fait un peu chaud mais nous sommes au meilleur endroit : un banc sous un arbre immense, à l'ombre. En face de nous, on voit d'autres arbres, et le sentier de promenade un peu plus loin.
Ce banc est clandestin. Un poète, un jour, l'a amené ici, pour tous les curieux qui oseraient s'aventurer un peu plus loin que le bout du chemin. Et depuis, seuls les plus chanceux connaissent cet endroit. Derrière l'arbre, il y a une rivière. C'est un coin vraiment joli et secret. Ça ne m'étonne pas d'avoir trouvé Rossignol ici.
La brise caresse mes cheveux, et je ferme les yeux. Je suis bien. J'ouvre les yeux. Loïs me regarde.
- Tu es talentueuse, Cyan.
Je vois qu'il est passé sur toutes les photos.
- Je n'ai pas pu m'en empêcher, s'excuse-t'il.
Mais il n'a pas l'air si désolé. Il est ravi.
- Ma chère, je suis très content de t'avoir rencontrée. »
Alors on se regarde. Et on sourit. Puis on commence à discuter joyeusement comme si de rien n'était.