Examen
Une âme errante, voilà ce que j’étais devenu. Je n’avais plus de but. Ma seule envie était d’abandonner. De lâcher cette vie qui venait de me donner le coup fatal. Respirer devenait si dur, mes poumons semblaient être en feu, j’avais l’impression que de la douleur à l’état brut m’avait été transfusé.
Mon lever de mon lit relevait du miracle. Je n’avais envie de rien, je voulais juste rester là, seul. Malheureusement, je ne pouvais plus faire semblant d’être malade, je devais faire comme si tout était normal, comme si tout allait bien. J’avais besoin de ce contrat, même si j’étais à l’aise financièrement, on ne pouvait pas dire que je pouvais m’autoriser beaucoup d’excès. Et puis de toute manière, qui me croirait. On faisait déjà passer les femmes pour des menteuses alors un homme… A part me faire traiter de faible, personne ne me rendrait justice.
Après deux jours à être une larve, je me décidai enfin à quitter ma chambre. Mon frère avait pourtant tenté de me faire sortir et j’aurai pu lui faire croire que mon rhume n’avait toujours pas disparu mais mon médecin m’attendait pour mon dernier examen, c’était un jour important et si je ne m’y rendais pas, ce dernier préviendrait Thalia. Tout ce que je ne voulais pas. Elle débarquerait ici, inquiète comme jamais.
La douche ne m’aida pas à oublier la soirée de la veille mais je continuai de frotter ma peau pour tenter d’effacer les marques invisibles que ses mains avaient déposés sur moi. Encore une fois, tout ce que je réussis à faire c’était d’ouvrir les cicatrices que mes frottements d’hier avaient laissé et à faire rougir davantage ma peau.
Il me fallait des vêtements fluides et facile à enlever ainsi qu’une bonne excuse.
Je me préparai un café qui ne réveilla pas mon esprit. Alessandro me rejoignit, visiblement heureux.
— Le loup s’est décidé à sortir de sa tanière, ton rhume va mieux ?
— Oui, j’ai encore un peu mal à la gorge mais je ne dois plus être contagieux.
Ses yeux s’illuminèrent comme ceux d’un enfant le matin de Noël.
— C’est génial ! Dans ce cas, ce soir on sort.
Pourquoi aimait-il tant les sorties ? Surtout en ce moment. Décliner son invitation allait l’attrister mais je n’avais pas la tête à sortir.
— Ta jambe est remise ?
Première tentative, le décourager.
— Evidemment, on va fêter ça aussi !
Echec. Deuxième chance, le force à abandonner l’idée de m’emmener avec lui.
— Je suis à peine rétablit, la fatigue me tient encore et après mon rendez-vous je pense que ce sera pire.
— C’est un rendez-vous pour quoi déjà ? me questionna-t-il, suspicieux.
Osait-il penser que je cherchais à revoir cette femme ? La lueur que j’apercevais dans son regard me fit comprendre que j’avais vu juste. Rien que l’idée me donnait le tournis.
— Pour vérifier que tout va bien.
— Je peux appeler les mecs pour qu’ils viennent, histoire de faire une soirée à l’appart.
Ne comprenait-il donc pas que je n’avais envie de voir personne ?
— Et puis, tu pourrais inviter Carmen si tu veux, vous vous entendez bien.
Il confirmait mes soupçons, son but était que je revois cette sorcière.
— Son copain arrive ce soir.
Le mensonge était sorti de ma bouche sans vergogne aucune mais il était impensable qu’elle mette les pieds ici. Elle avait déjà laissé son empreinte sur bien trop d’endroits. Je sentis ma gorge se resserrer, s’assécher, l’oxygène me manquait, j’avais de plus en plus de mal à respirer.
— Ne te mets pas dans des états pareils, tu en trouveras une autre.
Le comique de la situation aurait pu me faire rire. Il était persuadé que la savoir soi-disant conquise me faisait du mal alors que mon mal venait d’elle. Néanmoins, les rires ne pouvaient pas sortir, je continuai d’étouffer et Alessandro ne comprenait pas. J’envisageai l’idée de tout lui dire, une seule chose me retint, sa manière de penser. Pour lui, être un homme c’était synonyme de force, de dominant. Il n’avait rien compris au monde… Alors si je me présentais à lui et que je lui avouais qu’une femme avait abusé de moi, il ne me croirait pas, il penserait que je l’avais cherché et que j’en avais forcément eu envie.
Plus les minutes s’écoulaient, plus mon état empirait, mon frère me fit asseoir. Le contact du froid sur mes vêtements commença à me ramener mais mon souffle demeurait erratique. Il me tendit un verre d’eau que je bus avec difficultés.
— Tu veux que je t’emmène à ton rendez-vous ?
Je répondis d’un mouvement négatif de la tête. Une dizaine de minutes plus tard, je commençai à reprendre le contrôle de ma respiration.
— Je… Je vais être en retard, dis-je en expirant lourdement.
Il m’aida à me relever et m’accompagna jusqu’à ma chambre. J’ajoutai mes papiers, comptes-rendus des précédents examens dans mon sac mais juste avant que je ne quitte l’appartement Alessandro m’interpella.
— Tu es sûr que tu ne veux pas que je t’accompagne ?
— Certain, à tantôt.
J’esquissai un sourire auquel il répondit et je sortis. Dans le bus, j’écoutai les playlists les plus tristes, je n’avais pas la tête à sourire. J’avais lu une étude selon laquelle les musiques tristes pouvaient atténuer notre souffrance mais je faisais visiblement partis des cas exceptionnels. La pluie battait à tout rompre, une manière de montrer au monde entier la douleur qui m’envahissait.
J’enlevai mes écouteurs, peut-être que la radio mise par le chauffeur serait mieux.
« — Bonjour à toutes et à tous. Il est onze heures ce qui signifie que c’est l’interview de star ! Aujourd’hui nous recevons Carmen Espinoza, célèbre mannequin de la marque Dior. Bonjour Carmen. »
Je n’en revenais pas, quelle mauvaise blague. Le destin cherchait vraiment à remuer le couteau dans la plaie. Tout me ramenait constamment à elle. J’enfonçai à nouveau mes écouteurs et mis le volume à fond pour masquer la radio.
Mon asociabilité m’avait encore joué un tour. Si j’étais resté dans la salle ce soir-là, j’aurais pu décrocher d’autres contrats et ne pas tomber sur elle, rien de tout cela ne serai arrivé. Si je l’avais repoussé la première fois qu’elle m’avait embrassé, rien ne se serait produit. Si j’avais eu le courage de refuser son invitation à manger, ça ne serait pas arrivé. J’avais été naïf, je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, je lui avais laissé de l’espoir. La culpabilité commençait à s’insinuer dans mon crâne, je cherchai à comprendre pourquoi elle avait fait ça. Les gens avaient beau dire qu’ils nous croyaient, que nous n’étions pas responsables, j’analysai mes moindres et gestes pour vérifier que je n’avais pas fait quelque chose de travers, j’essayai même de lui trouver des excuses mais au fond, je savais que rien ne pouvait justifier son acte.
J’arrivai à l’hôpital avec seulement cinq minutes d’avance. Je m’enregistrai et repartis tout aussi vite dans la salle d’attente.
Une porte s’ouvrit, mon médecin et son précédent patient sortirent. Je n’avais même pas trouvé d’excuse pour les marques sur mon corps. Ils se serrèrent la main et le médecin me fit entrer dans sa salle d’examen. Il ferma la porte et s’installa derrière son bureau. Je lui tendis les comptes-rendus.
— Dernier rendez-vous, tu dois être heureux.
Si vous saviez…
— Très heureux oui.
Heureux que ce soit notre dernier rendez-vous oui mais heureux dans ma vie non. Il sourit et remplit quelques fiches.
— Aujourd’hui on vérifie les cicatrices, l’élasticité et si tout est bon alors nous pourrons nous dire adieu. Tu peux aller te déshabiller.
Je fis ce qu’il me demandait et il arriva. Il m’ausculta, millimètre par millimètre, je passai sous un microscope humain. Pouvait-il remarquer ma gêne ? Pouvait-il sentir les marques de cette femme ?
— Il faut vraiment regarder de près pour déceler les cicatrices. Ton corps a parfaitement intégré les différentes greffes de peau. Il faut avoir un sacré mental pour se relever après avoir vécu ce que tu as vécu, tu peux être fier de toi Angelo. Aujourd’hui tu peux admirer le résultat des années de souffrance que tu as enduré après les opérations.
Que dire face à cela, je ne comprenais même pas pourquoi les greffes avaient réussi, d’après ce que je savais, il fallait que le cerveau soit d’accord avec les interventions pour que ça fonctionne. Est-ce que le fait que j’aies été constamment drogué aux antidouleurs avait joué ?
Il avait de quoi être fier, il avait participé à ma reconstruction physique mais je n’arrivai même pas à me regarder. Ce n’était pas moi, pas ma peau, pas mon corps.
— Je suis certain qu’un apollon comme toi fait chavirer le cœur de toutes les filles que tu croises, plaisanta-t-il.
S’étaient-ils tous passé le mot ? Pourquoi ramenaient-ils tout à mon physique ? Était-ce parce que je lui avais dit que j’étais heureux ?
— Ouais, sûrement, marmonnai-je pour lui faire plaisir.
Je savais qu’il avait bien travaillé, qu’il avait fait des miracles. S’il n’avait pas été là j’aurai été défiguré à cause des cicatrices de brûlures sur tout le corps mais est-ce que ça n’aurait pas été mieux ? Ces balafres m’auraient évité d’être la convoitise de ces femmes et de certains hommes. Je n’aurai pas été regardé comme un vulgaire morceau de viande, personne n’aurait voulu m’approcher et j’aurai eu la paix.
— C’est quoi toutes ces rougeurs ?
La question inévitable… Qu’allais-je bien pouvoir lui dire ?
— J’ai eu quelques démangeaisons il y a quelques jours et je n’ai pas résisté mais ça va mieux.
Il paraissait sceptique mais repartit à son bureau. Je le rejoignis juste après m’être rhabillé.
— Tout est bon pour moi, aucune inflammation, aucun signe de rejet depuis un an, tu es rétabli.
Physiquement seulement, mon âme était à des années lumières du rétablissement. Elle était encore dans les abysses de la tourmente et de la douleur. Elle s’accrochait aux ténèbres comme un enfant qui se tenait aux jupons de sa mère.
— Si jamais tu sens quoi que ce soit, n’hésites pas à m’appeler ou à venir, tu sais bien.
Je hochai la tête. L’examen avait duré moins de vingt minutes. Il me serra à nouveau la main.
— Au revoir Angelo.
— Au revoir docteur.
Je quittai la salle et errai dans les couloirs de cet hôpital que j’avais arpenté durant les deux longues années qu’avaient duré mon hospitalisation. Les infirmières n’avaient pas changé, les couleurs non plus, tout était pareil, tout restait figé sauf moi. Pourquoi cela ne pouvait-il pas être l’inverse ? Pourquoi n’avais-je pas pu disparaître pendant que la vie continuer son cours ?
Je repris le bus en sens inverse et rentrai à l’appartement avant que midi ne sonne.
— Mes poumons vont bien, le pneumologue ne s’inquiète pas, le rhume n’a pas eu d’incident grave, tout va bien.
Il souffla en se laissant retomber sur le canapé, un sourire sur le visage. La sérénité avait retrouvé ses traits.
— Tant mieux ! Carmen a appelé, elle a dit que le photographe était très fier des photos et qu’il t’avait tout envoyé.
Mon souffle se coupa mais je repris rapidement contenance.
— D’accord, merci.
Je m’installai dans mon lit et ouvris mes mails. Toute mon après-midi fut dédié à la lecture des différentes photos. Sur ces dernières, j’arborai un air insouciant, heureux, l’inverse de ce que j’étais actuellement. Ces images étaient les dernières sur lesquelles mon bonheur habitait mon cœur.
Le soleil commençait sa descente dans le ciel lorsque je reçus un mail de la secrétaire de Monsieur Arnault. Ce dernier me convoquait le lendemain à dix heures. Je répondis par l’affirmative tout en espérant que Carmen ne serait pas présente. Je sautai le dîner et m’endormit sous le coup des émotions trop intenses que j’avais ressenti.
***
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