Chapitre 8
Les larmes inondent mes yeux. Je referme la porte et m'y plaque, blessé et désemparé. Le piège dans lequel je craignais de tomber, celui dont tous les collègues recommandent de se méfier, moi, j'y ai plongé comme un bleu tête baissée.
« Ne croyez jamais un fan. Ne concluez pas d'accord dans la vie réelle, ne révélez jamais de choses personnelles et prenez des mesures pour vous protéger en cas de problème, d'arnaque ou de harcèlement. Et surtout, méfiez-vous des fans les plus fidèles et dévoués. »
Les larmes coulent à flots. Et dire que j'ai cru en l'amour, que je lui ai offert ma virginité... Je n'ai vu en lui que l'idéal dont je rêvais tant. Je l'ai admiré comme une jouvencelle éprise d'un héros qui n'existe que dans ses fantasmes. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même d'avoir ignoré la règle. Les streamers qui se montrent à visage découvert sont toujours les plus prudents. Moi, j'ai été le plus naïf.
La caméra.
Je me relève d'un bond et analyse ma porte, bien résolu à retirer l'espionne de chez moi. Mon cœur me susurre que c'était simplement pour veiller sur moi, pour empêcher qu'un autre drame n'arrive. La raison réplique à coup de réalité. Personne n'a le droit de mettre sous surveillance et épier quelqu'un sans son accord. Et quid de cette extorsion d'informations personnelles afin de faire pression sur moi ? Le désir de me protéger était peut-être sincère, je me sens trahi. Idiot et trahi sur tous les aspects.
Niché dans un angle du plafond blanc, je finis par trouver un minuscule petit carré gris, aussi discret qu'un dé à coudre. Bien entendu, je ne suis pas assez grand pour le retirer à bout de bras. Les pas d'un voisin descendant les escaliers me poussent à me hâter. S'il remarque la caméra, je pourrais avoir de gros ennuis...
— Besoin d'aide ?
— Oh non, non, grimaçé-je en me mettant sur la pointe des pieds pour l'attraper au plus vite. Je vais me débro...
Le voisin me sangle contre lui.
— Eh... ! Mais lâchez-moi, qu'est-ce qui vous prend ?
— Enfin, je te trouve... Wei Ying...
Mon sang se glace.
— Je t'ai vu rompre avec ton petit copain, il y a deux minutes, j'étais si triste pour toi... Mais ne t'inquiète pas, je suis là, maintenant.
— Espèce de malade ! Lâchez-moi !
— Mais c'est qu'il est très énervé mon petit lapin... Sois un peu plus gentil ou je devrais me montrer sévère avec toi.
Je le bouscule violemment et enfonce ma porte pour me réfugier chez moi. Malheureusement, il s'insère dans l'encadrement et la rouvre de force. Un cinquantenaire bedonnant se révèle : pas beaucoup plus grand que moi, les cheveux poivre et sel et un style passe-partout. Sa barbe grisâtre lui aurait presque conféré un air paternel rassurant, dans d'autres circonstances. Il n'a peut-être pas l'expression haineuse de Trash, mais son sourire mielleux et ses petits yeux brillants me donnent la chair de poule.
— Vous n'avez pas le droit de vous introduire chez moi !
— Et toi, tu ne devrais pas utiliser OnlyFans dans ce pays, mon chéri, encore moins pour jouer les gays...
L'angoisse me prend aux tripes.
— Que voulez-vous...
— Juste toi, dit-il paisiblement, une joie toxique figée sur le visage. Oh, rien de malsain, rassure-toi. Je te demande juste de toujours rester à ma disposition et de me laisser d'entretenir.
M'entretenir ? À mon grand regret, je commence à comprendre... Il fait quelques pas vers moi, j'en fais de même en arrière.
— Tu seras mon baby et je t'habillerai en lapin, se ravit-il. Tu n'auras plus jamais à t'occuper de rien, Daddy te logera et prendra bien soin de toi, tu verras. Bien sûr, tu vas arrêter les lives, il n'y a qu'à moi maintenant à qui tu dois te montrer.
— Je n'ai pas l'intention d'être à vous, mettez-vous bien ça dans le crâne !
— Si tu hausses encore le ton, Daddy va devoir te fesser, mon lapin.
Je suis en plein délire. Donc, ce fantasme n'a rien de malsain, pour lui ? J'ai envie de lui arracher la tête. Mais si je m'oppose ou l'énerve, il serait capable de me séquestrer jusqu'à la fin de ma vie dans une maison de campagne perdue au fin fond des bois ; certaines histoires sordides n'appartiennent pas qu'à la fiction horrifique. Ces fans sont les pires. S'approprier sérieusement quelqu'un et le traiter comme s'il était un enfant ou un animal ressort de la psychiatrie.
— Faut vous faire soigner. Je ne suis pas un jouet.
— Évidemment, répond-il, presque offusqué, tu es mon lapin chéri ! Tu as été précieux pour moi dès que je t'ai vu pour la première fois. Tiens, en gage de bonne foi, je te paye tes trois prochains loyers.
Il dépose une liasse de billet sur la console derrière lui, près de la porte entrouverte.
— Allez, maintenant, viens voir papa, dit-il en allant s'installer sur le canapé.
Il tapote ses cuisses pour m'inviter à m'assoir sur lui. La seule idée de me retrouver sur ses jambes me fait tressaillir. Des sueurs froides serpentent le long de mon échine. Je voudrais tout recommencer à zéro. Ne jamais avoir entendu parler de ce site. Ne jamais avoir opté pour cette solution de confort. Dois-je réellement être puni de cette manière pour avoir cherché à me faire de l'argent facile ? Je dois abandonner ce logement à tout prix, quitte à me retrouver à la rue. Car des harceleurs, il y en aura d'autres.
Je croise les bras et affiche une moue boudeuse.
— OK. Mais uniquement si tu rajoutes un billet. Et je veux pouvoir choisir mon menu de tous les jours. J'aime les plats très épicés et les glaces Miko.
Son sourire s'élargit jusqu'aux oreilles.
— Tout ce que tu voudras, mon petit chéri.
À peine s'est-il levé que je lui dérobe le billet des mains avec un air faussement intéressé. À mon dam, au lieu de me laisser l'opportunité de retourner à la console – et donc à la porte –, il m'attire à lui et m'assoit sur ses genoux. Il pose une main sur ma cuisse tout en me dévorant du regard. Je frémis. Rester calme. Je dois rester calme et tenter de ne pas montrer mon angoisse.
— Voyons, mon baby, détend-toi. Je ne vais rien te faire de mal, me murmure-t-il au creux de l'oreille.
— La... la porte. Ça me rend nerveux qu'elle ne soit pas fermée.
Je me relève d'un bond pour aller la « fermer », mais arrivé devant, je l'ouvre d'un seul coup et m'enfuis en courant. Le cœur battant à tout rompre, je dévale les escaliers comme un dératé, ignorant la douleur qui pulse dans mon dos.
— Wei Ying, reviens ! Daddy va devoir se montrer très méchant !
Non. Jamais je ne reviendrai dans cet appartement. J'y laisserai toutes mes affaires s'il le faut, mon ordinateur, mon argent, mes papiers, mais jamais plus je n'y remettrai les pieds. Je préfère encore rester dehors que de craindre chaque jour de découvrir un nouveau fou sur mon palier.
Je trébuche sur la dernière marche et fais un faux mouvement pour me rattraper à la rambarde. Un geste qui me tord le dos et froisse mes muscles abimés. Dents serrées et larmes aux yeux, je me redresse tant bien que mal et martèle le bouton d'ouverture de la porte du hall, qui met bien trop de temps à se débloquer. Je l'entends déjà dégringoler les escaliers, à quelques mètres de moi.
— Wei Wuxian, reviens ici !
À peine le seuil franchi, je percute une armoire à glace de plein fouet. Mon cœur rate un battement.
— Lan Zhan ?!
— Wei Ying, ne t'inquiète pas, je viens juste retirer la ca...
Le fan dévale bruyamment les dernières marches. Je m'agrippe à Lan Zhan avec un air désespéré.
— Aide-moi !
— Toi ? T'es encore ici ? s'étonne le quinquagénaire.
Une possessivité hargneuse luit dans ses yeux.
— Wei Wuxian ne veut plus de toi, laisse-nous tranquilles !
— Nous ?
— Il est fou ! m'écrié-je, en panique. Je t'en prie, ne le laisse pas m'approcher !
Lorsque l'homme tente de m'attraper par le bras, Lan Zhan m'attire dans son dos. Le fan écume de rage.
— Toi, tu n'es rien pour lui ! Je suis son daddy ! Et il est mon...
Lan Zhan l'empoigne à la gorge et le plaque violemment contre le mur à presque lui en fracasser le crâne. Pour la première fois, je découvre dans le regard ambré de Lan Zhan une haine indescriptible. Il soulève le fan du sol à la force d'un bras et le fusille d'un œil noir.
— Ose encore t'approcher de lui et je t'étrangle de mes propres mains.
L'autre balbutie, à moitié suffocant.
— Il est mon...
— Il n'est pas ton objet ! Personne n'a aucun droit sur lui !
Il le projette sur les marches, lui fêlant certainement une ou deux côtes au passage, puis le récupère par l'arrière du col et le traîne jusqu'à moi pour le laisser retomber à mes pieds. Je recule d'un pas, de peur qu'il ne me touche. Lan Zhan l'oblige à lever la tête vers moi en lui tirant les cheveux.
— Répète sagement après moi : « Il n'est pas à moi et ne le sera jamais ».
Les mots écorchent la langue de l'homme, à moitié larmoyant.
— Il... il est... Il n'est pas à moi... balbutie-t-il, mâchoire serrée.
— Plus fort ! Ou je te donnerai une raison de marmonner en te cassant les dents.
— Il n'est pas à moi et ne le sera jamais !
La scène semble irréelle. Lan Zhan m'interroge du regard, prêt à exécuter le moindre de mes ordres, aussi terrible puisse-t-il être. Incapable de prononcer un mot, je hoche la tête et m'écarte pour lui faire signe de le laisser partir. La lèvre retroussée, Lan Zhan lui souffle à l'oreille :
— Dis à tous tes petits camarades que le prochain qui cherchera des ennuis à Wei Wuxian aura affaire à son garde du corps. Si ne serait-ce qu'un seul homme revient le voir, c'est toi qui en feras les frais. J'ai les moyens de te retrouver, où que tu ailles te terrer. Suis-je bien clair ?
Le type acquiesce vivement et se relève maladroitement, aussi effrayé qu'un animal libéré des crocs d'un prédateur. Dans la précipitation, il oublie d'ouvrir la porte et se mange la vitre. Une main au front et la honte collée à la peau, il prend ses jambes à son cou et disparaît dans la rue.
La pression retombe, ma tension chute. J'appuie une main contre mon cœur tambourinant et récupère mon souffle. Lan Zhan me soutient par les épaules et me dévisage à nouveau tel l'homme doux et inquiet qu'il a toujours été avec moi.
— Wei Ying, est-ce qu'il t'a fait du mal ?
— Non, grâce à toi...
Je lève les yeux vers lui.
— ... encore une fois. Comment as-tu su ?
— Je ne savais pas, je venais juste retirer la caméra. J'ai hésité de peur de te recroiser et que tu penses que je te harcelais. Et puis, j'ai allumé le logiciel sur mon smartphone pour effacer les enregistrements et j'ai vu ta porte ouverte et ton paillasson déplacé. C'est là que j'ai décidé de venir... Je n'ai pas pu m'empêcher de m'assurer que tout allait bien...
Un sourire fébrile tremble sur mes lèvres. Je me jette à son cou et le serre fort contre moi. Oui, cet homme est mon fan. Et, oui, les origines de son affection ne sont pas conventionnelles. Mais il est le seul à déroger à la règle. Le seul à respecter ma volonté et mon intégrité, à se dévouer pour moi sans condition et veiller sur moi plus que quiconque ne le fera jamais. Et aujourd'hui, je décide de lui confier mon cœur.
Je caresse sa joue et applique sa main contre la mienne.
— Lan Zhan, tu m'accepterais encore chez toi... ?
Un merveilleux sourire illumine son beau visage. Il me soulève avec toute la douceur du monde et enroule mes jambes autour de lui, sans jamais me lâcher du regard.
— Tu es chez moi chez toi, Wei Wuxian.
Les yeux scintillants de bonheur, je fonds sur sa bouche et l'enlace de toutes mes forces. Le poids qui pesait sur mon cœur s'envole, la paix m'étreint pour de bon.
— Lan Zhan, à partir d'aujourd'hui, sois mon unique fan...
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Envies de simplicité, en ce moment, vu le train de ma vie X) je reviendrai à un style plus fin et soutenu lorsque mon cerveau sera d'accord !
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Coeurs et chocolats 💜
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