Chapitre 2

Depuis le matin, je suis sur les nerfs. Les cours me traversent l'esprit et je passe la majeure partie de la journée à tapoter mon stylo sur mes feuilles, au lieu de prendre des notes. Plus le temps défile, plus j'angoisse à l'idée de me reconnecter, ce soir.

Je franchis les portes de l'école à 20h, perdu dans mes pensées, et file rapidement dans le bus. Arrivé sur mon siège, je soupire. Mes fans ne sont pas des malades. Ils me respecteront car ils veulent me voir tous les jours... Ils ont payé pour me voir faire mon show, pourquoi tout gâcher en me poussant à tout stopper du jour au lendemain ?

Le bus marque l'avant-dernier arrêt – le mien – après trente minutes de trajet ; deux passagers restants descendent en même temps que moi. Je marche en direction du quartier de mon immeuble, habité par un curieux pressentiment. Un frisson me parcourt l'échine. Le froid ? Il n'y a pourtant pas la moindre brise dans l'air... Je m'arrête à quelques mètres de chez moi, saisi par un terrible sentiment d'insécurité. Je n'ose pas me retourner. Quelque chose cloche, je le sais. Ma respiration s'accélère. J'ai l'impression que l'obscurité va me happer. Que je vais me retrouver prisonnier d'une chose atroce d'ici quelques instants.

Après un trop long moment, je pivote lentement sur moi-même... et fais un bond. Un homme en noir se tient devant moi sous une large capuche ; il fait bien deux têtes de plus que moi. Je tente de garder mon calme.

— Q-qui êtes-vous ?

— Tu sais qui je suis.

Mon souffle se coupe.

Trash9.

Je recule tant bien que mal, tétanisé de la tête aux pieds.

— Pourquoi me suivez-vous ?!

— Je sais où t'habites, maintenant.

Je me décompose. J'aimerais me pincer pour me réveiller d'un cauchemar, mais l'horreur est bien réelle.

— Partez ou j'appelle la police !

Un rictus barre son visage.

— Devine ce qui se passera si tu les appelle...

Mon adresse sera mise en ligne sur tous les sites porno possibles. L'adrénaline fuse dans mes veines et me fait décoller. Je prie pour qu'il ne me talonne pas... Je presse le badge de l'entrée d'une main tremblante et enfonce la porte du hall avant de monter les escaliers comme un dératé, puis entre chez moi et claque la porte avant de la verrouiller. Mon cœur bat à tout rompre.

Sain et sauf. Je suis sain et sauf. Pour l'instant...

La tension redescend, mes jambes menacent de me lâcher. Je laisse tomber mon sac et me jette sur mon canapé pour reprendre mes esprits, le visage entre les paumes. J'aurais tant besoin d'en parler, de me confier et exprimer mes craintes, mais je ne peux pas. Car personne ne sait. J'ai déjà expérimenté la cruauté de mes camarades, par le passé, je ne tiens pas à en refaire les frais. Les conséquences seraient trop grandes.

Si seulement je ne m'étais pas montré si cupide... Était-ce le fou qui m'a proposé une somme exorbitante, il y a quelques mois, pour que je dévoile mon visage ? Si c'était lui, il a réussi son coup. J'avais besoin de payer mes loyers en retard, comment aurais-je pu refuser ? Je comprends le désir des autres créateurs à ne pas montrer leurs visages, et je réalise maintenant que j'ai foncé droit dans le piège qu'on tend aux novices du milieu comme moi. Mais avais-je bien le choix ? C'était accepter ou risquer de me retrouver à la rue et perdre mes études.

La pression chute, la fatigue de ma courte nuit me rattrape et me fait somnoler. Les volets. Je devrais fermer mes volets, je ne suis qu'au deuxième étage. Non... il ne connaît pas le numéro de mon appartement. Ça ira. Mais peut-être par sureté... Mes membres ankylosés me clouent sur place, je finis par sombrer.

L'alarme de mon téléphone me réveille en sursaut. Quelle heure est-il ?

— Putain, le live !

Je bondis du canapé en titubant, encore ensommeillé et file à la douche. La réalité me revient en pleine face. Je demeure prostré sous la pluie, incapable de trouver comment je dois gérer la situation. Il me reste cinq minutes avant 22h et je dois toujours me préparer en douceur.

Je tente de m'assouplir grâce à un lubrifiant conçu pour faciliter les choses sous la douche, mais rien n'y fait. Même l'eau chaude ne me décontracte pas. Je suis crispé et ne parviens même pas à m'insérer ne serait-ce que deux doigts.

— C'est pas vrai... Putain...

Il ne doit me rester que deux minutes. Pour cette fois, je me détendrai devant eux. Je ne l'ai encore jamais fait, mais je suis certain qu'ils adoreront. Et puis, les choses se passeront peut-être bien, qui sait ? Je ne suis pas le premier ni le dernier à subir du harcèlement, je ne dois pas me laisser abattre si facilement.

Fin prêt à commencer, j'enfile un simple kimono noir et prends de profondes inspirations sur mon siège. Tout ira bien. OnlyFans est ouvert, j'enclenche le live. À peine lancé, je constate avec stupeur que le nombre de viewers a triplé depuis hier – et le chiffre continue d'augmenter. Si je n'avais pas lu les premiers messages du chat, j'aurais pu m'en réjouir...

« Wei Wuxian, je te paye 300.000 yens* pour un show privé »

« Bébé, moi je file 400.000 pour te baiser chez toi »

« Niquez vous bande de merdes ! Moi WWX je viens chez toi je te paye tous les mois ce que tu veux »

« Donne-moi ton adresse en MP stp je dirai rien, je veux te regarder dormir juste stp »

« Non moi Wei Wuxian je veux être ton daddy ! J'ai beaucoup d'argent et je peux faire de toi mon baby, tu peux même habiter chez moi, stp refuse pas »

« Ptn fermez-là vous avez pas les tunes sales pauvres. Laisse-moi te baiser rien qu'une fois et tu manqueras plus de rien. Enfin après tu me feras quand même... »

Mon cerveau déconnecte, je reste paralysé. Face à ma non-réaction, les viewers présents pour le show habituel commencent à s'impatienter. Le ton monte, les gens s'agressent entre eux pour savoir qui est légitime de m'acheter. Certains finissent même par conclure entre eux des arrangements immondes que je me refuse de lire jusqu'au bout. En effet, mes fans ne sont pas malades. Ils me considèrent simplement comme un objet.

Les autres hommes, impatients d'avoir leur soulagement journalier, attendent que je fasse mes petites affaires sous leurs yeux. Et cette attente leur déplaît. Je reprends ma contenance et me mets en condition. Ai-je dit que je me détendrai devant eux ? Jambes écartées, je peine maintenant à m'insérer ne serait-ce qu'un doigt. Mon corps est crispé et le rictus que j'affiche s'envole dès que je regarde l'écran. Ils ne manquent d'ailleurs pas de me le faire remarquer. Pour eux, je ne suis qu'un robot qui devrait répondre à leurs exigences, sans stress ni émotion. Mon cœur tambourine tellement dans ma poitrine que je sens ma cage thoracique vibrer.

« Sérieux tu te les cales ces doigts ou pas ? »

« Enfonce-toi un gode putain ! »

« Il attend peut-être qu'on vienne en vrai l'aider »

Quelques hommes rigolent ensemble. Pour la première fois, je me sens mal. Ridiculisé. J'ai envie de tout arrêter. De supprimer mon compte pour ne plus jamais me reconnecter. Mais tout couper ce mois-ci reviendrait à me retrouver à la rue. Dès demain, je me cherche un nouveau travail. Je cumulerai sûrement deux postes et n'aurai plus le temps pour me consacrer pleinement à mes études, mais je sens que cette histoire va mal finir. Devrais-je continuer et espérer que la situation s'arrange d'elle-même ? Je ne pourrai jamais avoir de bons résultats et tenir la forme pour la danse si je m'épuise...

« Je vais venir te l'enfoncer moi si ça continue !! »

Ma respiration s'accélère. Demain, je me débrouillerai pour me procurer du poppers, je suis incapable de contrôler mon corps dans ces conditions. Lorsque je repose les yeux sur l'écran, la haine réapparaît.

« Sale pédé »

« Tu veux un truc dans le cul viens que je te crève à coups de... »

Je décroche à la fin de la phrase. Je n'en peux plus.

À l'aide de beaucoup de lubrifiant, je réussis enfin à me détendre et à apaiser les impatients. Je tremble en saisissant le jouet, trop épais pour ce soir dans mon état. Je sais que je vais me faire mal, mais je n'ai pas d'autre choix. Après ce live, je gèrerai les choses différemment. Retour à l'envoi de vidéos et photos personnelles à mes plus fidèles mécènes. Ils veulent du show privé, je vais leur en donner.

Comme prévu, le moment est physiquement éprouvant. Je ne regarde plus le chat et me concentre sur le plaisir qui naît aux creux de mes reins avec une affreuse lenteur. Finalement, je parviens à me libérer sous leurs yeux, à leur grande satisfaction. Du moins, la plupart d'entre eux. Certains arrivent encore à râler car je n'étais pas à fond et qu'ils ont fait des dons. J'hallucine... Je ne force personne à payer ! Une telle mauvaise foi est horripilante. Je termine en remerciant tout le monde – non sans amertume – et annonce la pause indéterminée des lives contre une privatisation de mes shows. Que n'ai-je pas dit... Le chat s'enflamme. Les injures fusent même de la part de viewers qui ne parlent jamais. La rage au ventre, je conclus avec un grand sourire et coupe la diffusion.

Un long soupir m'échappe. Ma boîte de réception explose de messages. S'ils pensent que je vais écouter leurs insultes et leurs jérémiades... Je quitte mon siège en serrant les dents. Ils auront réussi à me faire mal moi-même.

— Quelle bande de connards.

« Te baiser chez toi »

L'écœurement me fait grimacer.

Après m'être nettoyé, soigné avec crème et décontracté sous une seconde douche brûlante, je reviens sur mon compte pour sélectionner mes premiers clients particuliers. Je reconnais les noms des plus généreux. Bien entendu, mes fans les plus fidèles font preuve d'une grande gentillesse et ne m'adressent que des messages de réconfort – même si, au fond, ils s'assurent juste de faire partie des élus. Ces hommes sont de véritables stratèges. LZ.85 a été le premier à m'écrire. Un homme qui me suit depuis trois mois, sans jamais se montrer vulgaire dans nos échanges. Il a toujours été courtois et respectueux. C'est à peine s'il manifeste une quelconque réaction face à ce que je lui envoie. D'ailleurs, il me demande souvent des photos de mon visage avec les oreilles de lapin. Peu commun de la part d'un souscripteur de compte explicite. Quoiqu'il en soit, j'apprécie ce caractère tempéré, nos conversations ne sont jamais une source de stress ; il me met même plutôt à l'aise. En ouvrant la discussion, j'ai une agréable surprise.

« Wei Ying, je suis désolé que tu vives ça. Tu ne mérites pas de recevoir de telles injures et tant de menaces. J'aimerais t'offrir du réconfort, mais rien de sexuel. Juste te faire te sentir mieux. Ne prends pas ça comme une invitation, je veux simplement que tu saches que quelque part, quelqu'un se préoccupe de toi sans pensées malsaines. Reçois tout mon soutien. »

Je reste muet. Un sourire ému tremble sur mes lèvres. Que répondre à ça ? Je me ferai une joie d'envoyer à cet homme tout ce qu'il voudra ! Je me jette sur mon clavier avec enthousiasme... et retire mes mains. Ce type paye mes lives pour me voir me toucher. Tout ce qu'il cherche est de se démarquer pour obtenir mes faveurs. Comme tous les autres, il n'est là que pour ça. Qui sait s'il ne tente pas de créer un lien pour se rapprocher de moi ?

Je retombe dans mon siège, la tristesse me brûlant le cœur et les yeux. Ce soir, je ne me suis jamais senti aussi seul.

Cette nuit a été peuplée de cauchemars. Une humiliation publique, ma famille qui apprend quel est mon travail, et la réalisation des scènes indécentes proposées par ces hommes, l'un après l'autre. Je m'assois au bord du lit et enfouis mon visage dans mes mains.

Aujourd'hui samedi, je dois faire le plein de contenu pour la semaine. Je tiens à boucler tout ça au plus vite afin de profiter de mon week-end. Mon café avalé, j'entame les vidéos et enchaîne les shootings. Activités répondant aux demandes, accessoires favoris de mes abonnés, poses et tenues variées... je fais mon maximum pour avoir de quoi les combler durant plusieurs jours.

Satisfait de mes heures de travail, je décide en fin d'après-midi de faire le tri dans mes messages et bloque les nouveaux haters que j'ai la chance d'accueillir dans ma boite de réception. En découvrant les dizaines de messages reçus de la part d'un fan que je connais bien, je fronce les sourcils... et frôle l'infarctus.

« Wei Wuxian ! Trash a balancé ton adresse ! »

Mon cœur trébuche.

« Où ça ?! À qui ?! »

« Un peu partout, il nous a dit... On est allé sur son nouveau compte après qu'il t'ait insulté hier et il en a profité pour publier ton adresse... et aussi ton numéro de téléphone... »

Un vertige me pousse à m'accrocher à mon siège. Mon esprit devient vaporeux, mon estomac se tord. J'ai l'impression de mourir de l'intérieur. Cet homme vient peut-être de détruire ma vie. D'une main fébrile, je prends mon téléphone, mis en mode avion pendant le shooting (je n'aime pas être interrompu durant le travail), et me reconnecte au réseau. L'horreur est à la hauteur dépasse ce que j'imaginais : des dizaines de nouveaux SMS en provenance d'inconnus, en quelques heures. Des SMS haineux, mais surtout des messages de fans, si je peux encore les considérer comme tels... Peut-on vraiment nommer « fan » quelqu'un qui harcèle une personne et ne pense à elle que d'une manière malsaine, ou pour se l'approprier ?

« Wei Wuxian ? Ça va ? Tu réponds plus... Tu vas supprimer ton compte ? On est pas tous comme ça tu sais... »

Je fixe mon ordinateur, plus livide et inexpressif qu'un mur d'hôpital.

« Merci de m'avoir prévenu, Cha11. Je vous tiendrai au courant. »

Je me déconnecte de mon OnlyFans au moment où je lis l'aperçu du dernier message de LZ.85.

« Wei Ying, tu vas bien ? Je m'inquiète pour toi. Trash9 a... »

Je ferme le clapet de mon ordi et reste prostré sur mon siège, assailli par une nouvelle notification SMS toutes les minutes. Car non contents d'avoir mon numéro, ces hommes n'attendent même pas de réponse de ma part. Ils profitent simplement d'avoir accès à ma vie privée pour enchaîner les messages dans un monologue vulgaire que je ne tiens absolument pas à lire.

Je me lève, réduit à l'état de zombie, et pars fumer une Shuangxi sur mon balcon, le regard dans le vide. Je n'avais pas touché à une cigarette depuis trois ans. Mais aujourd'hui, je n'en ai plus rien à foutre. Ma vie vient de se briser et mon intimité sera sûrement bientôt exposée pour me couvrir de honte.

_____

*300.000 yens = 2110€ (le gars est chaud!)

Dans cette histoire, suite à une discussion avec une copine (qui se reconnaitra 😉), j'ai voulu aborder ce que vivent les streamers.

OnlyFans ou autre, contenu explicite ou non, beaucoup sont victimes de violences et de coups montés, qui vont parfois jusqu'à intervention de la police/SWAT au domicile du streamer...😵

Je trouvais le sujet intéressant et vous savez que j'aime toujours m'inspirer du réel.

La suite demain...🌛

Cœurs et chocolat 💜



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top