Une quinte de toux s'éleva à travers le voile de poussière dissimulant la jeune femme. Un coup de vent intrusif dans sa contemplation. Elle ferma les paupières, faisant des gestes vifs pour dissiper de la main les soulèvements du sable fin.

Soudain, son chef de secteur l'appela. Elle soupira avant de se lever. Assise à genoux depuis plusieurs minutes, elle grimaça de douleur avant de pouvoir bouger ses jambes. Elle épousseta le sable collant de son corps puis épongea avec un torchon la sueur de son front.

Le soleil haut dans le ciel indiquait l'heure du déjeuner et aussi l'heure à laquelle la jeune archéologue avait fini son travail aujourd'hui. À cause de la canicule, elle n'était sur le site qu'une partie de la journée. Tous les matins, les mêmes tâches lui étaient incombées. Elle ne se plaignait pas, au contraire elle trouvait une activité à faire pour se changer les idées.

Cependant, elle pensait que le temps passait vite. Trop vite.

Elle arriva devant son chef de secteur, un homme intègre qui aimait donner des ordres en gueulant plus qu'en parlant, et lui exposait ses activités de la matinée. Après un hochement de tête, il la laissa partir.

Nora lui sourit avant de rentrer chez elle à vélo. Elle était épuisée par le travail et la chaleur. Écrasante.

En passant le seuil de son logement contenant seulement une chambre, un salon et la salle de bain ainsi qu'une multitude de peintures et tableaux accrochés sur les murs du salon. Ces images représentaient un homme, mais jamais elle n'avait réussi à trouver les traits exacts de son visage. Elle rêvait de lui toutes les nuits, mais n'arrivait pas à le dessiner. Trop flou. Trop distant.

Elle soupira en voyant ses peintures ratées puis prit une douche. En sortant, elle se blottit dans un peignoir. Il n'y avait rien à manger dans l'appartement à part de la soupe et une pomme. Elle se contenta de ce repas et alluma négligemment la télévision. La chaine d'information la fit froncer des sourcils.

Impossible. Le coeur tambourinant, elle s'assit sur une chaine et fixa l'écran avec de grands yeux.

« Du nouveau concernant le vol d'un manuscrit perpétré il y a deux ans. En effet, la police a trouvé une nouvelle piste qui pourrait les amener à découvrir le coupable. Nous n'avons pour l'instant pas d'autres informations. »

Nora n'écouta pas plus et se jeta sur son portable. Elle composa rapidement le numéro d'un vieil ami de la famille. Il décrocha rapidement, ce qui rassura la jeune femme.

« Allo ? demanda-t-il avec un accent britannique.

– Colton, soupira-t-elle. Vous allez bien ?

– Bien sûr, mon enfant. Que se passe-t-il ? Tu sembles paniqué.

– Vous n'avez pas regardé les informations ? Ils ont une piste pour retrouver celui qui a volé le manuscrit de la grande bibliothèque.

– Oh je ne m'en fais pas pour ça. Le manuscrit est en lieu sûr comme tu le sais bien.

– Peut-être, mais vous...

– Moi ? Aucune importance voyons.

– Vous avez de l'importance pour moi. Savez-vous où il est ?

– Ma chère Nora... dit-il avec sympathie. Non, je n'ai toujours pas vu ce démon et c'est un bon signe.

– Je ne comprends pas, pourquoi il nous cherche ? » demanda-t-elle en se frottant la tempe.

Ce démon, comme l'appelait Colton, était un psychopathe qui avait envoyé des lettres de menaces dans leur domicile familial. Nora connaissait le vieil homme depuis toute petite. Il était un ami de son père et c'était donc à lui de veiller sur elle.

Depuis ces lettres effrayantes, Colton avait suggéré à la jeune femme de déménager pour entreprendre des fouilles dans un autre pays, mais lui partait de ville en ville. Elle ne savait jamais où il se trouvait exactement. Et aujourd'hui, elle avait eu de la chance qu'il soit encore dans le pays...

L'Islande était un endroit magnifique. Des paysages grandioses et la mer en bordure. Les habitants étaient tout aussi sympathiques et généreux. Elle se sentait bien ici, comme si elle était chez elle.

« Je suis désolée, ma petite. Tout est de ma faute.

– Mais non...

– Malheureusement si... Ma famille garde ce manuscrit depuis des générations. C'est un objet qu'il convoite, mais qu'il ne doit jamais avoir en sa possession Nora.

– Je ne comprends pas ? souffla la jeune femme en fronçant les sourcils.

– C'est encore trop tôt pour que je te révèle la vérité. Dors mon enfant. Repose-toi. Je viendrai te voir dans quelques semaines. »

L'homme raccrocha, la laissant avec un air ahuri. Que venait-il de se passer ? Pourquoi s'accusait-il d'être la cause de la poursuite de ce démon ? Il le connaissait, c'était la seule explication.

Elle but rapidement sa soupe devenue froide puis croqua dans la pomme. Elle s'habilla ensuite pour sortir. Elle devait se rendre à la bibliothèque municipale. Elle trouverait ses réponses dans ce lieu. En tous cas, elle l'espérait.

Marchant rapidement, elle s'engouffra dans le lieu calme et se dirigea vers le secteur des livres anciens traitant du Moyen-âge. Elle effleura les reliures tout en murmurant les titres. Elle prit plusieurs livres pour les poser sur la table.

Un à un, elle les lut, mais ne mentionnèrent pas de manuscrits ou parchemins. Défaite, elle reposa les œuvres anciens puis aperçut sur le chemin du retour un musée ouvert près du centre-ville. Souriante, elle y entra. Un à un, elle scruta avec attention les livres anciens. Peut-être avaient-ils un secret caché dans leurs pages ? Après près de deux heures à fixer les écrits, elle se sentit déranger par le regard d'une personne. Elle leva les yeux et fut subjuguée par les yeux bleus de cet homme.

Une larme coula, un sourire l'illumina, la joie l'envahit. Elle pouvait sentir le lien télépathique s'ouvrir entre eux. Comme avant. Elle n'était plus seule, et lui non plus.

« Damien, » soupira-t-elle.

Elle courut se jeter dans ses bras, tandis que les pleurs redoublèrent. Les personnes avides du silence les regardaient avec insistance, donc Damien se substitua aux yeux de la foule avec sa compagne.

Planqués derrière un bâtiment, ils s'embrassèrent retrouvant les saveurs perdues au fil du temps. Ils se touchèrent, retrouvant la forme des courbes de leurs partenaires. Ils se sourirent, drogués au bonheur de se revoir.

« Où étais-tu ? souffla la jeune femme prisonnière des bras de son amant.

– C'est une longue histoire. Tu m'as tellement manquée. Je t'ai cherché pendant longtemps mon amour. »

Ils partirent vers l'appartement de Nora. Celle-ci pouvait sentir les yeux de Damien sur elle alors qu'elle tentait de ranger les vêtements posés négligemment sur le canapé. Elle se rendait compte que le portrait qu'elle tentait de dessiner depuis des années était celui de son âme-sœur. Damien.

Soudain, l'homme âgé de plusieurs centaines d'années arriva par magie devant elle. Sous la surprise, elle lâcha les habits. Elle était toujours autant surprise quand il utilisait son don de téléportation.

« Hey ! »

Il poussa du pied la pile et s'avança vers sa félagi avec un regard de prédateur. Étonnée, Nora recula jusqu'à heurter le mur. Ce fut à ce moment que Damien choisit de se jeter sur elle pour l'embrasser avec fougue. La jeune femme retrouva cette drogue et se laissa faire dans ses bras. Elle en avait aussi besoin que lui.

Cela faisait plus de quinze ans qu'ils ne s'étaient pas revus. De trop longues années pour Nora.

Allongés sur le lit, Damien raconta ses aventures aux États-Unis avec Kelly Wolff qui serait comme lui. Ou au moins à moitié comme Damien.

Damien n'était pas humain. Il était né Verndari. Une espèce presque disparut depuis des milliers d'années à cause d'une guerre ancestrale. Son histoire, Nora l'avait entendu, écouté, apprécié, détesté à chaque fois qu'il la lui racontait. Mais aujourd'hui, il lui parlait, d'une autre mi-Verndari qu'il ne pensait jamais pouvoir rencontrer. La jeune femme voyait ses yeux bleus s'illuminer en même temps que ses sourires.

Cependant, au bout d'un moment, les pensées de Nora dérivèrent vers son passé à elle.

Dès qu'un Verndari croisait le regard de sa félagi, celle-ci se souvenait de tout. De son passé, de ses réincarnations, de ses vies antérieures.

Et maintenant, elle savait pourquoi le démon la cherchait. Elle se souvenait de tout. Et cela l'effrayait plus que tout.