À contrecœur, nous nous installâmes rapidement autour de la table. Les membres de ma meute restèrent de marbre, mais ils savaient que Kelly était mon âme-sœur. Rien que prononcer son nom ravivait une étincelle que j'avais longtemps laissée dépérir en moi. J'avais une âme-sœur et elle était là. Juste à côté de moi. Mon loup rageait de ne pas pouvoir la toucher, la sentir, la goûter...

Soudain, son odeur délicieuse entra dans la pièce. Tout le monde se retourna comme un homme vers sa silhouette.

« Ma fille Kelly Wolff, présenta le Directeur. J'espère que cela ne vous dérange pas qu'elle reste dans la pièce. »

Je fis un léger mouvement de tête vers Angus en signe de remerciement. Il semblait être non seulement un bon chef de meute, mais aussi compréhensif envers d'autres Alphas. Mais il ne me laisserait pas partir la prendre maintenant et elle, elle ne partirait pas avec moi tout de suite, c'était certain. De toutes les manières, je devais rester dans ce territoire pendant quelque temps.

Angus Wolff s'installa au bout de la table tandis que sa fille se dirigea vers le bureau à gauche de la pièce. Je la suivais du regard avec intérêt. Elle était tout ce que j'avais voulu, tout ce que je voulais. Je pouvais la fixer pendant des heures. J'avais peur qu'elle ne soit qu'une illusion, un rêve éveillé.

Je laissai le Directeur parler et parler, mais ne l'écoutais plus. Cependant, je forçai mes yeux à ne regarder que cet homme malgré les coups d'œil insistants de mon âme-sœur. N'en pouvant plus de la sentir si près, je tournai la tête vers elle. Prise sur le fait, elle semblait désemparée, mais gardait sa fixation dans mes yeux. Les siens étaient d'une couleur noisette qui me donnait envie de m'y confondre.

« Aussi je voudrais inviter vos loups à partager les terres des nôtres pendant quelque temps, et ce jusqu'à ce que les réparations soient terminés, dit Angus d'une voix forte et grave qui gâcha ma contemplation paisible.

– Merci. J'espère une bonne entente entre nos deux meutes de loups. Je ferais des allées retours pour voir la progression des constructions et vous informerai quand nos loups quitteront vos terres. »

L'Alpha sourit tandis que Kelly était abasourdie. Soudain, son téléphone vibra ce qui la tira de sa rêverie. Je supposais qu'elle était contre notre arrivée sur ces terres. Mais elle ne savait rien de nos natures de loups-garous. Je grognai intérieurement. La Déesse se jouait bien de nous.

Angus passa un papier écrit avec les termes du contrat. Je fis tourner la feuille à tout le monde, ne voyant pas l'intérêt de cette mascarade grotesque. Pendant ce temps, Kelly répondit à son portable.

« Salut mon amour ! »

Dès qu'elle prononça ses mots, je me raidis. Elle avait un petit-ami ? Je regardai son père avec des yeux accusateurs, mais celui-ci fixait sa fille avec colère. Mes poings se serrèrent tandis que j'essayais de contrôler mon loup qui menaçait de sortir.

« Salut beau gosse, chuchota-t-elle alors que nous pouvions l'entendre ainsi que son interlocuteur qui méritait une mise à mort douloureuse.

– Tu n'es pas seul ?

– Je suis en pleine réunion avec mon père et des nouveaux associés, avoua-t-elle.

– Réunion ? Ton père te laisse venir avec lui maintenant ? » demanda-t-il avec une voix incrédule.

Ainsi, Angus ne laissa pas sa fille assister aux échanges avec les différents associés et entrepreneurs.

Elle rit doucement. Un doux rire qui me donnait encore plus envie de m'approcher d'elle. Le lien devenait plus fort à mesure que je la voyais. C'était une torture pour moi.

« Il faut que tu calmes ton loup, Gabriel..., » dit mon Bêta, mais cela ne me mettait que plus en rogne.

Je savais qu'il avait raison, mais un loup était sauvage. Les instincts bestiaux étaient ce qui nous différenciaient des humains. Et nous n'avions pas choisi d'être ainsi.

« J'ai eu la même réaction que toi. Bref, pourquoi tu m'appelles ? demanda-t-elle.

– Je suis désolé Kelly. Julia est décédée la nuit dernière. »

Une pause silencieuse se fit où je pouvais sentir le ralentissement dans ses battements de coeur. Elle expira ensuite tout l'air qu'elle retenait sous le choc de la nouvelle. Mon loup grogna de déplaisir. Notre condition d'âme-soeur nous permettait de ressentir un léger changement dans notre lien. Je voulais me lever, la protéger de cette douleur. De la perte d'une personne.

« C'est bon, toujours là ?

– Oui, c'est bon, je m'occupe d'elle, murmura-t-elle avec douleur.

– D'accord, je t'enverrai toutes les infos par mail.

– Je t'aime, finit-il par dire, mais ces mots, c'était moi et moi seuls qui avais le droit de les prononcer à mon âme-sœur, et pas un autre homme faible.

– Moi aussi, je t'aime même si t'es vraiment chiant. »

Dans la salle de réunion, pendant leur conversation, certaines personnes comme Raphaël avaient fait semblant de trouver un sujet pour parler, mais je savais bien que tout le monde avait entendu la conversation téléphonique ainsi que mon sang battant au rythme de la colère.

Son portable vibra une seconde fois.

« Salut, Em, ça va ? »

– Et toi ? »

La voix d'une femme me détendit légèrement. Si ça avait été un autre homme, je me serais sûrement transformé en loup.

« Ça va, je suis avec p'pa et ses nouveaux associés dans la salle de réunion. Ils finissent de signer les contrats, chuchota-t-elle Kelly.

– Oh la petite fille a grandi pour qu'enfin son papa chéri l'autorise à venir dans ses réunions, dit-elle avec amusement. Alors ce sont des vieux ?

– Oui. »

Cette affirmation me glaça le sang. Vexé, je restai de marbre face à son accusation. Il était vrai que les loups-garous étaient plus âgés qu'ils en avaient l'air, mais le fait qu'elle le confirme tout haut n'engendrait qu'un malaise. Et si cette différence d'âge était un frein à notre relation. Si elle me rejetait à cause de cela. Je secouai ses pensées, et la regardai se lever pour ouvrir la porte de la salle. Je serrai la main d'Angus Wolff, mais mon esprit était encore tourné vers sa fille.

« Mais ce sont des beaux gosses, » continua-t-elle, ce qui me soulagea d'un poids.

La jeune femme s'installa ensuite dans la salle d'attente où je l'avais rencontré, toujours avec son appareil contre son oreille. Son interlocutrice voulait prendre soin des funérailles de Julia. Kelly fut surprise. Je le voyais à son regard. Elle ne s'attendait sûrement pas à ce que cette amie en parle, ou veuille s'occuper d'elle. Mon âme-sœur accepta avec un léger sourire qu'elle prenne soin de la défunte.

Après quelques minutes de silence, son amie repartit sur un autre sujet moins plaisant.

« Bon, ce soir, on va en boîte et cette fois-ci, tu vas coucher avec un gars ! »

Kelly grogna doucement de frustration tandis que je lâchai un grognement plus fort et féroce. Elle était assise devant moi alors que j'étais debout, mais je pouvais voir son dos se tendre face à mon avertissement. Angus Wolff était avec son fils dans la salle, mais avait entendu l'échange. Notre ouïe étant bien plus performante que celle d'un simple humain.

Le fait qu'elle évoque son passé avec un homme me mettait hors de moi. Mais cette vie qu'elle côtoyait montrait bien qu'elle ne vivait pas avec les mêmes règles que les miennes. Nous étions des loups-garous avec une meute, une hiérarchie, des règles. Elle était humaine avec ses propres lois...

Raphaël qui me retenait jusqu'à maintenant, avait aperçu mon changement de comportement. J'étais passé d'une personne énervée, à une personne qui abandonnait ou plutôt qui acceptait. Peut-être que cette femme ne serait jamais à moi, peut-être qu'elle n'accepterait jamais de vivre avec un monstre...

Kelly raccrocha après avoir affirmé qu'elle irait en boîte ce soir, mais pas pour danser. Elle devait rencontrer quelqu'un. Je fronçai des sourcils en détournant mon regard vers Angus qui était encore à l'intérieur de la salle.

« Je vous raconterai plus tard, » chuchota-t-il à mon égard. J'acquiesçai de la tête.

La jeune femme raccrocha avant de soupirer. Soudain, elle se leva alors que j'étais derrière elle et s'étira les bras. Sa main rencontra mon visage. Surpris, je restai de marbre tandis qu'elle se confondit en excuse. Elle vit ensuite que c'était moi, son âme-sœur.

Figée, sa main était toujours déposée sur l'endroit où elle m'avait cognée. Sur ma joue. Je voulais qu'elle reste pour toujours là, présente. Je voulais l'encercler mes bras autour d'elle, la prendre dans mes bras et rester ainsi. Nos visages n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Je pouvais sentir nos souffles se mélanger. Chaud.

Trop rapidement, elle retira sa main en bredouillant une excuse puis allait s'enfuir, mais je lui retins le bras. Elle s'arrêta pour se retourner. Je ne voulais pas la quitter tout de suite. Je cherchai encore à ce qu'elle reste quelques minutes de plus auprès de moi. C'était stupide, j'agissais comme un gamin, mais ce lien était si fort, si envoûtant. C'était un supplice de s'en défaire.

« Tu es Kelly, c'est ça ? » demandai-je.

Elle hocha la tête me fixant avec incertitude.

« Tu peux m'appeler Gabriel, » continuai-je comme un idiot.

Elle hocha encore la tête, mais elle semblait aussi perdue que moi. Je commençai à me gratter la nuque et m'apprêtai à dire quelque chose de stupide encore, mais elle parla avant qu'un mot ne sorte de ma bouche.

« T'es mignon, » dit-elle à voix haute.

Sans voix, je restai à la contempler alors qu'elle fermait lentement ses paupières sous la honte. Ses joues se tintèrent d'une couleur rose qui la ravissait. Je n'étais certainement pas mignon, mais elle, elle l'était.

« Je.. Désolée, je ne voulais pas dire ça. Ou-Oubliez ce que j'ai dit, » bafouilla-t-elle tout en rougissant.

Je voulus lui dire que ce n'était rien de grave, mais elle prit son portable et se précipita vers l'ascenseur. L'éclat de rire de mon Bêta mit fin à ma rêverie. Je lui envoyai un coup derrière la tête, ce qui le calme de suite.

Je soupirai en voyant les portes de l'ascenseur de refermer, engloutissant mon âme-sœur. Elle pouvait me dire tout ce qu'elle voulait, je ne lui en voudrais pas. Je ris face à ma stupidité. J'avais l'impression d'être devenu un homme faible face à une femme. Mon âme-sœur serait ma moitié. Mon tout. Ma force et ma seule faiblesse.