Épilogue

Je me réveille dans le calme, apaisé. Ils sont là, tristes et inquiets. Que je les aime... Difficile de leur dire adieu, d'imaginer ne jamais les revoir, de les abandonner à ce monde. Et pourtant, je sens bien qu'il est temps. La vie est bien trop courte, et c'est bien en ça qu'elle est belle. Tant de choses à faire, à voir, à essayer, encore. Mais je ne regrette rien.

« Qu'as-tu dit, papa ? »

Sa voix étranglée me fend le cœur. Je tends une main vacillante vers sa joue. La caresse. Je reprends des forces, et parle :

« Ne pleure pas. Tu es si belle quand tu souris... Ma vie touche à sa fin, pas la tienne. Pas les vôtres.

— Mais tu ne mérites pas ça ! Pas si tôt ! intervient mon jeune benjamin.

— Tu sais, je ne suis pas un saint. J'ai fait des choses, à la guerre... Si mauvaises... »

Je reprends mon souffle après une quinte de toux à laquelle je m'abandonne.

« Je vis avec, depuis si longtemps. Si c'était à refaire, je n'hésiterai pas. Grâce à cela, j'ai pu vous offrir un foyer dans lequel j'aurais rêvé naître. Et le moindre petit acte, de la meilleure action au plus vil de mes méfaits, fait autrement, aurait pu conduire à notre ruine. Je ne suis pas fier. Je n'oublierai jamais quand on nous a ordonné de trahir nos alliés. Aujourd'hui, leurs fils sont sujets de notre suzerain, des frères en soit. Des amis dont nous avons massacré des guerriers, aussi nos amis, en ce temps-là. »

Je clos mes yeux pour masquer les quelques larmes qui commencent à poindre. Je revois tout. Je revis tout. Salvatrice, ma toux me détache de ces visions.

« Grand-père ! Grand-père ! crient des voix trop juvéniles pour mériter d'être aussi inquiètes.

— Ce n'est rien, les enfants. Tout va bien, dis-je en les voyant fixer ma main ensanglantée que je m'empresse de cacher sous les draps. Rien du tout. »

Il est trop tard. Ils se mettent à pleurer, et entraînent les adultes dans leur courant de larmes. Quand j'entends l'un d'entre eux marmonner un « ce n'est pas juste », je reprends la parole.

« Le monde n'est pas juste, les enfants. Il n'est pas fait pour l'être. Il est beau tel quel. Avec ses injustices. Avec ses cruautés, et ses maux. La souffrance n'est là que pour rendre le bonheur plus éblouissant. Car après la tempête vient toujours le soleil.

— Mais c'est beau, les nuages ! »

Le rire que cela m'inspire déclenche une autre quinte de toux.

« Tu as bien raison. Les tourments aussi, sont beaux, en un sens. Vous ai-je déjà raconté où j'ai trouvé cette gravure que vous adorez tant ?

— Celle de la jolie dame ? interroge une petite voix timide.

— Précisément. Cette planche, je l'ai trouvée dans le château que nous avons pillé. Incendié. Rasé. Une étincelle de beauté au milieu de la sauvagerie. Il y a de la beauté partout, même dans la souffrance. Et peut-être qu'un jour vous penserez que la vie n'est qu'une goutte de bonheur dans un océan de peine. Peut-être aurez-vous raison. Mais sachez que même si c'est le cas, cette unique goutte coût vaut mille fois la peine d'être vécue. Apprenez à aimer la vie, chérir chacune de ses imperfections, comme vous devez accepter vos erreurs. Tous ces accrocs, que serions-nous sans eux ? Quelle saveur aurait cette existence ? »

De longues minutes passent avant que je puisse recouvrer mon souffle.

« Ne désespérez jamais. Vos plus grandes peines, vos pires péchés, vos plus amers regrets peut-être sont ceux qui vous mèneront aux plus grands bonheurs. Vous souffrirez. Tout le monde souffre un jour. Notre plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber. C'est de nous relever chaque fois, et d'accueillir à bras ouverts ce que notre avenir nous réserve. Car vous ne pouvez vraiment vivre sans aimer, ni aimer sans souffrir. Il en va ainsi. »

Je ne peux plus tenir. Mes paupières se closent malgré moi. Mon souffle s'échappe de nouveau en quelques toux. Je suis fier de mes mots. Ego, quand tu nous tiens. Je sens qu'il est l'heure. Un dernier souffle, mes derniers mots. Rien de poétique, philosophique ou romanesque ne me vient. Alors une consigne, un conseil, seront suffisants.

« Souvenez-vous en. »

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