Chapitre XVI : L'éternel mélancolique (Partie 2)
À mon tour de me défendre. Le bois tient le choc, je repousse même l'assaillant. Je ne peux toutefois pas le mettre hors-combat: pas assez d'amplitude. Je bondis donc et le projette au sol, tandis que je délaisse mon gourdin tâché. Le combat est confus, il tente de me renverser mais je tiens bon. Je le surplombe toujours et prends l'avantage, aidé de quelques coups au visage. Je sens des craquements tandis que mon poing fort fond sur son fragile faciès. Le nez cède. J'insiste. Le sang jaillit. Il s'étouffe. Je le maintiens au sol. Mais je ne peux regarder. L'entendre se noyer est déjà suffisamment douloureux. Ma poitrine est secouée de spasme. Je le tiens fermement. Il le faut.
Je n'ai pas l'étoffe d'un héros. C'est si difficile... Si cruel... Au début, tout allait bien, je restais en retrait, peu actif, puis j'ai pris en confiance, et les barbares ont commencé à tomber sous mes coups. Depuis que j'y repense, que je repense à elle... À ce que j'ai manqué, ces regrets... Ce sont aussi des hommes ! Ils ont aussi tant de choses à rattraper, à faire ! Et je mets fin à cela, de manière si cruelle... Pourquoi ne sont-ils plus les bêtes que je croyais voir au début de tout ceci ? Pourquoi ? C'était si facile... Je ne peux plus. Je ne peux plus, crié-je, toujours jonché sur le corps que les derniers spasmes ont déserté.
Un soldat, en fâcheuse posture, forcé de reculer, me réveille quand il me tombe dessus. Un chevalier. J'étouffe sous le poids de l'armure, coincé dans une position si contre-nature pour mes pauvres articulations. Je parviens à faire pivoter ma jambe pour retrouver mon genou et rampe de toutes mes forces pour m'extirper. Je dois sortir de là. Je parviens à redresser le torse, et tandis que je m'aide de mes bras libérer pour tenter de libérer ma jambe droite, un coup de genou me renvoie au tapis poisseux, mélange de terre boueuse et de sang frais.
***
La musique est enivrante. J'atteins le cercle de lumière et m'approche des tables avec mes deux acolytes afin de saisir un peu de nourriture tant qu'il en reste. Toute cette joie, ça fait plaisir à voir. Nous ne tardons pas à être saisis par cette ambiance si festive. Je balade mon regard sur les danseurs. Elle est belle, tout de même. Des hanches parfaites, une poitrine timide, à laquelle l'encadrement de ses longs cheveux lisses donne un charme certain. Et je sais que je ne suis pas le seul à le penser. Avec les ombres, impossible de voir leurs visages, mais je me doute que mes compères ont dû déjà lui lancer un regard lubrique.
Une accolade et nous nous retrouvons parmi la foule, enchaînés au rythme. Nous nous perdons rapidement de vue. Rataud est sûrement parti à la chasse, il ne peut résister à l'ondulation des corps bien longtemps. Je le comprends, j'aimerais avoir la même assurance. Et la même efficacité, aussi. Il en a dévoyé, des demoiselles. Il a bien failli en payer le prix à plusieurs reprises, d'ailleurs. Mais chanceux comme il est, il s'en est toujours sorti.
Pris dans la danse, seule la douceur de sa main dorée par le soleil me ramène à la réalité quand elle effleure mon bras. Voilà qu'elle m'invite à danser. Que se passe-t-il ? Un souffle de panique m'empêche de pleinement savourer l'instant. Que faire ? Je ne dois pas paraître idiot ! Et confiant, oui, je dois être confiant ! Malgré tous mes efforts, ou plutôt à cause de ceux-ci, je ne parviens à chasser la raideur de mes membres. Elle semble s'en amuser. Se moque-t-elle ? Mon dieu, elle doit lire une telle peur dans mes yeux !
Aussi, ne resté-je figé par la surprise quand elle dépose un baiser aussi volatile qu'un murmure sur mes lèvres sèches. Je ne sais combien de temps je reste prisonnier de mon propre corps, incapable du moindre geste. Volage, elle se détourne. Je crois apercevoir une lueur de tristesse dans un dernier échange de regard volé. Et je reste impassible, alors que mon cœur bondit, prêt à partir à ses trousses. Elle n'est qu'une belle parmi tant d'autres, comme une pierre précieuse. Magnifique, mais pas supérieure à tant d'autres. Cependant, son acte et mon échec, ont initié quelque chose. Quelque chose de différent. Un je-ne-sais-quoi qui me hante encore.
Le terrible mariage de la honte et du regret me rappelle qu'il ne s'agit que de cette même scène qui hante mes nuits. Cette erreur que je traîne comme un boulet. Cette impuissance qui m'aura tant coûté. L'alchimie des passions détonne, mes yeux se rouvrent, revoient l'horreur. La fatigue et la vision de toutes ces horreurs me propulsent de nouveau dans ses bras dénudés. Sa robe immaculée est si belle... Et voilà que la musique reprend. L'obscurité avalent toutes ces ombres qui nous entouraient tandis que je me perds dans son regard noisette pénétrant. Il n'y a plus qu'elle et moi. Les cordes, unies aux percussions nous lancent dans une danse lente mais sensuelle. Magnifiques, les couples les plus princiers nous jalouseraient. Le monde est à nous. Nous virevoltons, sans limite, sans mur ni plafond. Sans rien autour.
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