Chapitre XIII : Le meneur indécis (Partie 2)
Fin prêt, je sors de ma chambre, et je décide de patienter avec une promenade, jusqu'à ce qu'il me soit possible de demander audience. Ainsi sors-je de l'édifice et inspecté-je le chemin de ronde sous les rayons bienveillants du soleil qui réchauffent ma peau et apaisent mon tourment. Je n'ose penser trop fort que j'ai demandé à la lune quelques conseils sans grands résultats, de peur que l'astre étincelant ne l'entende et n'en soit jaloux. Je me focalise donc sur les alentours, et sur ces engins de siège qui se rapprochent et commencent à se mettre en place sous des mains plus ou moins expertes. Je plisse les yeux pour tenter d'identifier les différentes machines dont la laideur difforme est le dénominateur commun qui brouille toutes les pistes. Ce n'est pas ça, la guerre. Le meurtre à distance, vulgaire assassinat. Plus de bataille sans boucherie. Glorieux temps de la chevalerie où la noblesse auréolait les combats. La dignité du combat loyal a désormais cédé sa place à la redoutable et détestable efficacité. La stratégie ne consiste plus désormais qu'à protéger les gueux criminels qui terrassent des nobles en toute impunité. Mais l'on s'adapte. Nous nous sommes toujours adaptés. C'est dans notre nature. Arrivé au niveau d'une bretèche, j'interromps le fil de mes pensées et le cours de ma marche pour m'appuyer contre le mur et observer la vie qui se remet en place en contrebas, dans la cour. Je remarque alors tous ces bruits que l'habitude m'a faits oublier. Les visages sont de plus en plus fermés, les gestes mécaniques mais tout en retenue. Je sais qu'ils rêvent tous qu'une ultime confrontation intervienne et que, quel qu'en soit le résultat, au-moins, l'on soit fixé. Il n'est rien de pire que d'attendre dans le flou que les choses adviennent. Je sais qu'ils sont impatients de se battre. Le goût du combat est dans leur nature. Ce ne sont pour la plupart que des paysans. Que connaissent-ils d'autre, de toute manière ?
Mon épaule toujours appuyée contre le mur, une douleur commence à faire son apparition tandis que je sens mon bras s'engourdir. Hasard heureux, à cet instant même, j'identifie un échanson de mon suzerain que j'intercepte aussitôt pour qu'il fasse part à son maître de mon désir de converser avec lui. Peut-être saura-t-il m'éclairer ? Après tout, il a une certaine expérience de la politique. Et puis, c'est lui qui, après tout, m'a mené là où j'en suis aujourd'hui. Pour patienter, je décide d'aller donner mes consignes aux artisans afin qu'ils vérifient l'état de mon équipement avec soin. Les combats ne devraient pas tarder à reprendre comme en témoignent ces monstres de bois qui approchent de nos murailles. Je saisis au passage un morceau de pain qui repose sur un établi mais après l'avoir à peine examiné, je me rends compte qu'il est rassis et je ne tarde à le jeter aux oiseaux que le passage du monde n'effraie plus. L'échanson revient alors enfin avec une réponse et traverse la marée d'oiseaux qui commencent à s'accumuler autour du festin. Certains d'entre eux, perturbés, lui lancent alors un regard mauvais auquel il ne prête, évidence même, aucune attention. Il se dirige vers moi et d'un geste courtois, bien que perfectible, m'invite à le suivre dans les appartements de mon suzerain. Le trajet ne dure pas longtemps, nous arrivons rapidement dans une immense pièce qui ne peut-être autre que le hall dans lequel le maître des lieux accueille les réclamants pour ainsi gouverner sa contrée. Si les dimensions sont imposantes, la décoration, elle, est austère. Les murs nus de pierres sombres ne sont guère éclairés par les quelques rayons de soleil qui filtrent à-travers ces fourmilières que je suppose n'être qu'ornements. Une lourde chaise de bois racle sur le sol dans un grincement que l'écho amplifie. L'homme que je suis venu consulter se lève alors et délaisse la carte dépliée sur l'unique table de cet état-major de fortune.
Il s'approche d'un guéridon sur lequel repose une cruche que je devine emplie de vin ainsi que quelques verres. Il en sert deux et avec un certain entrain s'approche de moi tandis que je m'incline. Il me réprimande presque de ces cérémonies et me flanque le récipient dans une main que je ne tarde pas à monter pour goûter au breuvage.
"- Alors, que me vaut cette visite ?"
Je réponds à sa question par la présentation de la missive qui m'a été transmise. Il jette à peine un coup d'œil sur le sceau brisé qui la cachetait.
"- Un dilemme, c'est bien de cela qu'il s'agit ?"
J'opine du chef, presque gêné de l'avoir dérangé en pleine réflexion pour un motif aussi futile une fois comparé à la situation délicate dans laquelle nous sommes. Il reprend :
"- Une opportunité pareille peut-elle seulement se refuser ? Ce qui vous est offert, ici, c'est une place à une cours, l'opportunité de faire de grandes choses. Certes moins grandes que les exploits des armées d'un roi, mais en ce moment, le pouvoir couronné faiblit. Il n'est pas impossible que la renommée de ses lieutenants décline de même. Et que celle d'hommes un peu moins bien placés s'accroisse.
- Il est vrai que notre monarque n'est plus si puissant que les grands d'antan. Mais servir dans ses armées n'en reste-t-il pas moins prestigieux ? Il ne s'agit pas d'une gloire éphémère, mais de laisser une trace dans le monde des hommes...
- Encore faut-il vivre suffisamment longtemps pour cela. Vous m'avez bien servi, j'accepterais de vous laisser partir si vous en exprimiez le souhait. Vous savez aussi bien que moi l'existence des quelques passages qui conduisent au-dehors. À la faveur de la nuit, avec quelques vivres, vous ne devriez pas avoir de mal à quitter les environs et rejoindre un suzerain plus influent.
- Je ne suis pas un déserteur, assené-je plus sèchement que je ne le souhaitais.
- Il ne s'agit pas de déserter. Il s'agit de préparer l'après. Croyez-vous vraiment que nous sommes en position de force dans cette guerre ? Nous sommes assiégés."
Son ton froid me heurte. Je ne sais si cela est dû à ma perte de contenance ou au sujet de la conversation, et cela m'inquiète. Il n'est pire moment pour tomber en disgrâce. Je me rends compte que je retiens mon souffle depuis quelques longues secondes quand, après s'être détourné et être retourné auprès de la carte, l'air grave, il reprend avec une certaine lueur que je décerne dans sa voix à défaut de pouvoir la déceler dans ses yeux qui me sont désormais dissimulés.
" - En vérité, avec vous, je pourrais m'ouvrir une échappatoire à cette situation qui devient de plus en plus inextricable. Un support d'un tel poids serait un atout de taille si des négociations devaient s'ouvrir. Ou si une revanche était à prendre. Je ne sais pas encore. Nous verrons bien le sort qui nous est destiné. Il n'est jamais trop tard pour former des alliances. Et j'ai cru comprendre que la fille de ce Duc arrivait en âge de se marier."
Un instant, je me vois déjà l'épouser sans même imaginer que son père puisse être réfractaire à une union dont il ne tirerait avantage. Puis, les paroles de mon suzerain résonnent, me raisonnent et balaient cet espoir insensé.
"- Mon fils pourrait faire un bon parti, mais j'aurais besoin d'un appui à sa cour. Tout relève de votre décision, je ne vous forcerai pas la main, mais sachez que vous me seriez d'un secours infiniment plus important là-bas qu'ici, malgré vos qualités martiales."
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