Chapitre XIII : Le meneur indécis (Partie 1)



La vie est faite de choix, j'y suis confronté,
Et ce sont mes exploits, qui me feront douter.
À pareil dilemme, je n'étais préparé,
Bien qu'un nouvel emblème fasse ma fierté.

Tiré brusquement de mes pensées errantes, je prends le relai et pousse à mon tour l'un des supports qui maintenaient jusqu'alors les traîtres en place. Tandis qu'un corps choit, je retourne à mes pérégrinations. Mais pourquoi un tel choix m'a-t-il été imposé ? Oui, l'opportunité est belle, et pourrait m'ouvrir une magnifique carrière mais ne pourrais-je espérer mieux ? Cette missive, reçue hier... Cette offre de ce grand duc, de rejoindre un état-major, qui couperait finalement court à ce volatile espoir d'un jour intégrer le sommet de l'armée royale. Je le sais, cette querelle qui l'oppose au Roi saperait toutes mes chances, mais en ai-je seulement jamais eu ?

Je m'éloigne de la scène pour retourner dans mes quartiers. Il est inutile que je m'attarde, d'autant plus que je n'écoute un traître mot de ce qui se dit. Je déambule dans la cour mais, cerné par la pierre, j'oublie plusieurs fois de changer de direction, ce qui accroît le temps de mon trajet. Je finis toutefois par arriver à mes appartements après avoir croisé un serviteur que j'envoie aller me chercher du vin. J'ouvre le lourd battant de bois avec plus de violence que ce que je n'avais escompté. Ainsi je prends mes précautions pour le refermer derrière moi sans un bruit. Ce que j'aimerais, de la même manière, pouvoir fermer la porte à ces pensées qui me vrillent l'esprit. Mais rien n'est aussi simple. N'est-ce pas pitoyable ? Pas une seule défaite sur les champs de bataille pour me retrouver devant un dilemme insurmontable, défait par mes propres aspirations. Je ne parviens à me calmer, je tourne, et retourne, dans un sens, dans l'autre, sans aucune logique dans ce mouvement perpétuel aussi chaotique que l'ouragan qui rugit dans ma tête, que ces vents contraires qui refusent de s'apaiser et ne parviennent à se neutraliser. La solitude qui exacerbe mon désarroi me plonge dans un tel état que c'est à peine si je remarque la venue du pichet de vin. Que faire ? Que diable dois-je faire ? Rester, c'est risquer sa vie avant qu'elle n'ait revêtu une quelconque importance, accepter cette offre, c'est m'assurer le minimum nécessaire. Je me doute bien que quelque arrangement préalable a eu lieu avant que cette missive ne me soit transmise. Seulement, suis-je homme à m'en contenter ? Mais n'est-ce pas déjà un grand honneur pour quelqu'un d'une si basse extraction pour un noble ? Aucune solution ne se profile, je suis voué à faire des compromis.

Le croassement d'une corneille apaise un temps cette torture mentale sous forme de dilemme que le cours des choses m'impose. Quelle chance ont les animaux de vivre une vie aussi simple, aussi libre de la pression que nous autres devons endurer. Mais que vaut-elle vraiment ? Qui se souviendra de cet oiseau quand il ne sera plus ? Quel impact aura-t-il eu sur le monde, sur les siens ? Ma souffrance m'est si profitable, en finalité. Car si je suis homme, et non animal, n'est-ce pas parce que j'ai la possibilité de choisir la vie que je mène, de prendre mes propres décisions, et d'en subir les contrecoups. Mais le fardeau des regrets est si lourd à porter. Tel un ouvrage cartographié, je me retrouve à porter tout un monde, sur mon pauvre dos, monde illusoire et personnel, certes, mais n'est-ce suffisant à ma ruine ?

Qui a osé dire que la nuit porte conseil ? Elle n'est que trop propice aux questionnements. Je ne parviens qu'au prix d'un effort surhumain à m'allonger dans mon lit non sans avoir au préalable allégé le pichet de vin, alors comment suis-je censé trouver la paix et la raison ? Cependant, la fatigue dont l'ouvrage s'est tissé ces derniers jours me rattrape et je me prends à m'imaginer tantôt à mener une armée qui s'étend jusqu'aux confins du monde, tantôt dans la misère et l'anonymat, ruiné, défait, et abandonné de tous. Je le sais, une défaite militaire me conduirait tout droit sur cette voie. Le destin ne tient qu'à un fil si mince qu'à tout instant, une vieille sorcière peut le trancher net. Les moindres détails peuvent avoir des impacts si grands... Serais-je ici en ce moment-même si quelques mois auparavant, un petit seigneur au grand ego avait chu de cheval et ainsi retardé une entrevue qui aura mal tourné ? N'aurais-je rejoint le clergé si mon aîné n'était mort de maladie en bas âge ? Serais-je la personne que je suis aujourd'hui si chacun des évènements qui sont arrivés n'était précisément advenu dans cet ordre précis ? Chaque détail infime d'une existence est comme le battement d'aile d'un papillon que la distance amplifierait jusqu'à la tempête, mis à part qu'ici, c'est le temps qui en décuple la portée. Le temps, toujours aussi impassible mais farouche, imperturbable mais inatteignable. À chaque fois que je me surprends à le réaliser de nouveau, je ne peux m'empêcher de croire en un destin, en cette fortune qui n'attend que moi. L'âge, sans doute. La jeunesse a besoin de se sentir unique, j'ai besoin de me sentir élu, de savoir que j'ai ma place mais surtout ma vocation en ce monde si étrange. Il doit y avoir un but global, et nous y contribuons tous, chacun à notre échelle. J'en suis persuadé, j'ai besoin d'y croire, au même titre que d'autres n'osent même imaginer ne pas préparer leur vie éternelle à renfort d'hypocrites donations ou de lourdes privations.

Et mes réflexions toutes plus risibles les unes que les autres valsent tandis que les astres se poursuivent dans leur cours éternel au-dessus des spectateurs endormis. Le sommeil me fuit avec autant de fougue que les pensées qui m'assaillent. Je m'étonne presque que mon crâne n'ait explosé sous la force de l'orage qu'il abrite. Mais il tient bon, et me condamne par là à choisir, ou du moins à continuer de subir cette torture. Les premiers rayons de l'astre solaire apparaissent, les chants des oiseaux commencent à s'élever dans les airs et j'en suis toujours au même point. Cette nuit aussi blanche que ma page sur le grand livre de l'humanité n'aura fait qu'alourdir le poids de ma fatigue. Je décide alors de me lever. Quand mes pieds nus rencontrent la pierre, je subis comme un choc qui me donne l'énergie nécessaire pour me relever du catalyseur de ma perdition nocturne. Sans plus réfléchir, je parcours la large pièce afin de réunir de quoi m'apprêter pour paraître devant un éminent personnage dont, je l'espère, les conseils me permettront enfin d'avancer.

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