Chapitre VIII: Le soldat arriviste (Partie 5)


   Les heures filent, les lieues, bien moins. Le trajet est long, et rapidement les sujets de conversations s'épuisent, nous plongeant en un silence maussade. Le silence me mettant mal à l'aise, j'essaie régulièrement de le briser, mais sans succès durable. Je renonce alors logiquement. Le soir arrive enfin avec sa halte habituelle. Le campement se monte quand je remarque trois hommes notoirement en colère quitter le camp à la suite de l'un des miens, à la suite de mon second, pour être exact. Intrigué, je ne peux m'empêcher d'aller voir ce qu'il se passe, laissant mon cheval au soin d'un soldat passant par là. J'essaie de trouver où ils sont partis, à partir de la direction initiale que je les ai vu emprunter. J'ai l'impression de tourner en rond et en vain quand je remarque enfin ce talus derrière duquel proviennent des éclats de voix. Je m'y dirige et me retrouve spectateur d'une confrontation entre mon protégé et l'un des trois hommes que j'ai remarqué un peu plus tôt. Il semble en colère et le repousse en le provoquant. Ce dernier, remarquable de sang-froid, le repousse sans toutefois le provoquer. Quand il s'apprête à se retourner pour mettre fin à l'altercation, les deux compères et complices du belliqueux soldat lui barrent la route tandis que ce dernier sort une lame. Je me signale alors, avant même qu'un autre mot n'ai pu être prononcé. Avec indifférence, tous tournent le regard en ma direction quand je m'approche.

" — Qui t'es, toi ? Ah oui, le nouveau bouffon du cap'taine, dit-il en pointant sa lame à mon encontre. Je suis pas ton laquais, je fais c'que je veux, et surtout aux tricheurs comme ton larbin."

   Sur ces mots, ses hommes le saisissent et mon interlocuteur lui enfonce son poing dans l'estomac. Je bondis alors sur lui. M'apercevant, il lance son arme à l'un de ses complices pour ne pas prendre le risque de blesser un officier, sûrement, et me fait face, prêt à me recevoir. Je fonce épaule en avant et amorce un petit saut juste avant l'impact, me permettant d'atteindre, entre autre, sa mâchoire. Il tombe à la renverse tandis que mon second commence à se libérer de l'entrave de ses geôliers. L'un d'entre eux, l'ayant finalement lâché et commençant à paniquer lui plante alors la lame dans le thorax, avant de se rendre compte de son acte. Les deux hommes encore debout tournent alors leur regard en direction de l'endroit où j'ai projeté leur chef, et semblent osciller entre haine et choc. Je pivote lentement afin de suivre leur champ de vision, et découvre alors un crâne vraisemblablement fracturé ayant couvert de pourpre le haut d'un corps. Un rocher au sol me donne l'explication que je n'ai même pas besoin de chercher. Je reste interdit tandis qu'une âme s'échappe également de ce corps au sol, entre mes ennemis et moi. Le temps semble comme s'arrêter, je ne saurais dire combien de fractions d'heures s'écoulent avant que des bras nous saisissent et nous conduisent sans ménagement devant le capitaine. Je ne réagis pas, je suis comme une poupée de chiffon, malmenée mais impassible. Je suis comme en-dehors de ce corps dont je ne puis supporter l'acte. Je suis un meurtrier, non plus un soldat. J'ai tué, non pas un ennemi, mais un frère d'arme. J'ai tué, non pas un homme condamné, mais un soldat en pleine vigueur.

" — Je l'ai vu, j'ai tout vu, il l'a tué! L'autre mort, n'était qu'accidentelle ! " crie une voix, si lointaine, j'ai l'impression.

   Il semblerait que je sois destiné à m'en tirer. Je ne sais si je suis vraiment soulagé. J'aurai bien du mal à oublier, à passer à autre chose. Mais la vie ne vaut-elle tout de même le coup ? Oui, je vivrai, et je verrai. Tant de joies m'attendent encore! Je lève alors mes yeux emplis d'espoir et vois mes anciens adversaires se relever, libres.

" — Je l'ai vu, il l'a jeté au sol, et lui a répétitivement frappé le crane contre une pierre !"

   Sur ces mots, je cherche alors cette voix m'accablant d'un si terrible crime en vain. Toutefois, je l'identifie soudain. Une voix haineuse et lâche, mais au langage raffiné. Celle d'un homme lâche. Celle d'un homme ayant des motifs de m'en vouloir. Celle du héraut. Les émotions se bousculent en moi quand un coup de pied dans le haut de mon échine me pousse à genoux, la tête baissée devant le capitaine. Deux hommes s'approchent alors et me tiennent fermement. J'aperçois une ombre se rapprocher au sol, celle d'un homme avec une immense hache. Je ne suis plus qu'incompréhension et sentiments contradictoires quand pendant une fraction infime de seconde, j'aperçois mon corps d'un point de vue inédit.

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