Chapitre VIII: Le soldat arriviste (Partie 4)


   Après avoir instauré les tours de garde par moi-même suivant le système de la veille, je vais enfin me coucher, ou plutôt m'écrouler dans ma tente. La journée aura été éreintante, bien qu'agréable. Je me rappelle de ce sentiment de paix intérieur et de pureté du corps quand dans la matinée fraîche et humide nous marchions sur cette route bordée d'arbres, tous différents, mais tous si similaires. Les arbres se dérobent alors, remplacés par une salle bien éclairée, dont les murs sont couverts de riches tapisseries. Au sol, un immense tapis rouge, que je suis du regard, jusqu'à ce que celui-ci atteigne un majestueux trône d'or. Et c'est alors que je le vois, dans sa robe bleue couverte de lys d'or, m'invitant à le rejoindre. Je ne suis plus vêtu de cuir, mais de velours et de satin. Puis elle apparaît, vêtue d'une robe immaculée, réfléchissant la lumière comme ces pierres précieuses dont les nobles se parent. Je m'approche et m'agenouille devant le souverain qui me relève d'une étreinte amicale, avant de procéder au mariage. Quand je suis sur le point de prononcer mes vœux, je suis tiré en arrière. Malgré tous mes efforts, je ne peux contrer cette force inexorable. Des dizaines de roturiers en haillons m'ont saisi, avec à leur tête le héraut. Puis tout sombre dans le chaos.

***

   Les heures se sont écoulées depuis notre départ, quand j'aperçois un nuage de poussière plus en avant sur la route. J'envoie alors un éclaireur, à qui je confie un cheval pour qu'il puisse rattraper la petite troupe. Quand celui-ci revient sans affolement et l'air serein, je me sens soulagé. Son rapport, bien trop formel à mon gout, m'apprend que cette troupe qui nous emboîte le pas est alliée. Des pilleurs, rappelés, comme nous, à la seule exception qu'il évalue leur nombre à une cinquantaine, voire une soixantaine. Ils ont fait halte pour nous permettre de les rejoindre. Après une petite dizaine de minutes, c'est chose faite. Je rencontre alors leur capitaine, flanqué de deux sous-officiers, dont la prestance indique l'expérience dans l'armée. Il me fait rapidement comprendre qu'il ne compte pas avoir de rival en matière de commandement, et devant mon acceptation, m'introduit dans le cercle fermé de ses seconds. Si à cet échelon tout se passe bien, je me rends rapidement compte que des tensions s'attisent entre certains soldats de mon groupe, et certains hommes de cette troupe. Toutefois nul conflit ouvert que nous pourrions désamorcer n'éclate, ce qui ne présage rien de bon pour les prochains jours. Nous dressons le camp sur place, ayant remarqué que nos nouveaux compagnons de route ont déjà dressé quelques tentes. Pendant que mes hommes s'exécutent sous le regard de mon second, je suis le capitaine qui m'invite dans sa tente radicalement différente de celle que j'ai moi-même. En voyant la taille de celle-ci, je déduis rapidement l'ascendance noble de cet homme fier qui m'offre un verre de vin. Je retourne alors des mois en arrière, quand je pouvais encore fréquenter la cour de mon seigneur. Bien évidemment, l'instinct reprenant le dessus, je flatte, congratulant mon hôte pour l'aménagement de sa tente comme pour la finesse de son breuvage. Remarquant dans un coin de la tente circulaire un arc, je ne peux m'empêcher de lui demander s'il chasse. Sa réponse affirmative me permet de définitivement rompre la glace et d'amorcer une conversation qui dure un temps non négligeable. Quand enfin je prends congé, je sens que ce chevalier de naissance m'apprécie. Mais tout cela est logique, j'ai toujours eu un don inné pour m'attirer les faveurs des grands, quitte à être méprisé des petites gens. Je rentre en ma tente soigneusement dressée en titubant, toujours enivré par le doux et fruité breuvage qui m'a été gracieusement offert par mon supérieur. Quand je m'affale sur mon duvet, la lumière des flammes filtrant à-travers la toile tournoie, avant que je ne m'endorme pour un sommeil sans rêve.

***

Le son strident du cuivre me réveille en sursaut: j'avais perdu cette habitude. Le départ est annoncé dans l'heure. Je vais donc nourrir mon cheval, que je peux désormais de nouveau chevaucher, puisque mes hommes ont eu tout le repos nécessaire, mais aussi puisque je ne pourrai plus imposer de marche rapide forcée. Chevaucher est même un devoir, désormais, devant montrer une image digne à l'ensemble de ces hommes qui me sont inconnus. De plus, je dois continuer à me rapprocher de mon nouveau capitaine. Si j'ai appris quelque chose durant ma vie, c'est bien que les graines de sympathie que j'ai semé en lui, je dois les abreuver de flatteries, sans toutefois les noyer. En faisant ainsi, peut-être pourrais-je rapidement en récolter les fruits. Je vais chercher rapidement une miche de pain, n'ayant pas eu le loisir de manger la veille au soir. Je retourne ensuite à ma monture que je selle avec précaution, avant de l'enfourcher. Un petit coup de talon me permet de la pousser à aller se positionner à l'avant de la petite troupe effroyablement désordonnée, aux côtés du capitaine et de ses officiers. Je remarque alors le héraut qui vient se positionner à notre hauteur, sur son destrier, gardant toutefois une froide distance avec moi. Il aura finalement su se trouver une place. Cela ne me dérange pas, je n'avais rien contre lui, et je me sentais presque coupable du tour que je lui avais joué. Il remarque alors que je le dévisage et tourne la tête d'un air méprisant. Nous nous mettons enfin en route, et je commence alors à grignoter ce bout de pain que j'ai réquisitionné pour me remplir le ventre. Il est extrêmement dur et mes dents souffrent de devoir attaquer ce met si peu noble, mais ma faim justifie le moyen.

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