Chapitre VIII: Le soldat arriviste (Partie 2)


  La nuit tombe, les soldats commencent à exprimer leur fatigue, leurs estomacs commencent à exprimer leur faim. Si les cavaliers ont déjà tourné, les pesants paquetages ainsi que tous les objets plus ou moins précieux qu'ils dissimulent dans leurs vêtements légitiment leur volonté de faire une halte. Ainsi, après avoir consulté d'un rapide regard le héraut, devenu mon second, ce dont il est conscient, je fais dresser un camp de fortune pour que nous puissions y passer la nuit. C'est alors que le premier dilemme de mon nouveau poste m'incombe. Combien de sentinelles ? Nous sommes en territoire ennemi, nous ne pouvons nous permettre de dormir sans précautions. Deux hommes devraient faire l'affaire. Toutefois, j'ai peur que la fatigue de tous ceux qui prendront un quart nous ralentisse dès le lendemain. Que faire ? J'en parle rapidement avec mon précieux et probablement unique allié. Après un bref, mais agité débat, nous en venons à attribuer des créneaux d'une heure de surveillance. Première décision, qui risque de ne pas plaire. Mais nous avons une longue route, et le temps n'en est plus au stade du luxe. Nous devons avancer, quoi qu'il en coûte. Quand j'annonce cette mesure, le manque de réaction me surprend. Ils semblent tous usés à cette pratique devenue routine. Ils retournent alors vaquer à leurs occupations, tandis que je profite de ma qualité de chef pour ne rien faire d'autre que superviser. Je dois paraître chef, si j'escompte le devenir vraiment. Tout est dans le symbole, tout est dans le paraître. Du moins, quand l'on n'a pas une autorité naturelle. Car oui, je l'ai remarqué. Simple soldat, mais capable de tous les rallier à lui. Ils l'écoutent tous, ils le suivraient bien loin, sans penser aux dangers. Je devrai soit en faire mon allié, soit m'en débarrasser. Ma position n'est pas assez solide pour qu'il ne représente un danger.

   Les quelques tentes en piteux état qu'il nous reste sont dressées. L'heure du festin a sonné. Les quelques lapins attrapés sur la route par quelques chasseurs, dont les compétences suggèrent une longue expérience du braconnage, sont cuits en civet et rapidement dévorés. S'ajoutent à cela quelques morceaux de pain rassis. Pendant ce frugal repas, le silence est écrasant. Pas de rire, peu de discussion, juste des mines renfrognées. Quand les appétits sont rassasiés, les hommes s'éparpillent dans le camp, se répartissent les tentes pour enfin pouvoir recouvrer leurs forces. J'espère que par la même ils recouvreront leur exaltation d'antan, cette volonté de fer qui les guidait lors des pillages, et non pas cette résignation moribonde qui suinte de leurs visages émaciés et fatigués par le rythme de marche imposé. Mais une course se joue, un délai inhumain nous est imposé, et j'espère pouvoir m'y tenir. Quand enfin les soldats dorment, les sentinelles patrouillent et les dernières braises s'éteignent, je me dirige vers ma tente légèrement à l'écart. Je m'enroule dans mes couchages, mais ne parviens à trouver le sommeil. Ce n'est pas ce tissu si désagréable contre ma peau qui m'empêche de dormir. Ce n'est pas le battement régulier des pas des sentinelles patrouillant non plus. Ni ce rayon de lune traversant par les quelques trous dans la toile. Ni même cette odeur nauséabonde qui a imprégné le tissu de cette tente ayant bien trop servie. Non, c'est plutôt cette peur d'échouer, cette peur d'être trahi de ces hommes qui n'ont pour autre souhait que de partir dans le sens opposé pour satisfaire leur avidité. Et ainsi la course inaltérable de la lune se poursuit, doucement, tout doucement, tandis que je rumine ces quelques pensées, qui se transforment rapidement, dans mon esprit divaguant, en optimisme presque absurde. Je me vois déjà accueilli en héros à mon arrivée. Je vois déjà ce grand seigneur me promettre la fortune. Je vois déjà mon influence s'étendre dans l'ombre. Et puis l'exaltation tant cherchée parmi mes troupes s'accumule en moi, comme si je monopolisais toute la réserve de cette ressource si rare. Et encore une fois, le sommeil se refuse à moi, tant mon esprit actif manigance tant de plans hypothétiques, et dont la probabilité pour que les conditions nécessaires à leur réalisation soient réunies est quasiment nulle. Ainsi ne fais-je qu'osciller entre somnolence et fabulations, ne sachant vraiment si je dors ou non.

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