Chapitre VII: Le forgeron en retrait (Partie 4)
Je ne me réveille que le lendemain matin, aux aurores. Il faut dire que le voyage était épuisant. J'ai une faim dévorante, j'ai l'impression que mon ventre a été creusé durant la nuit tant le grognement qui en sort semble résonner comme un éboulement dans une mine. Je me lève, sors de ma chambre, et dévale les escaliers, me jetant littéralement sur le pain de la veille. Je me sers ensuite un verre de lait. Il semble être relativement récent étant donné son goût. Mon déjeuner enfin pris, je sors prendre l'air en attendant le réveil de mon maître, qui sera initiateur d'une longue et belle journée de travail. Je ne patiente pas bien longtemps. Après quelques dizaines de minutes, je vois la porte s'ouvrir et le voit sortir, me demandant si j'ai bien dormi, non sans ironie. J'enfile mon tablier de cuir, attrape mon marteau et écoute les commandes qui ont été passées et que nous devrons réaliser dans la journée. Il nous faudra tout d'abord confectionner quelques scies pour les infirmiers. Attrapant une plaque de fer déjà préparée au préalable, je la dépose sur l'enclume pendant que mon maître allume le feu. Il attrape ensuite la plaque de fer avec ses lourds et épais gants de cuir pendant que je m'attèle à actionner l'énorme soufflet pour attiser les flammes. Le fer rougit progressivement avant d'enfin blanchir. La symphonie du marteau frappant le fer se fait entendre, et le fer se déforme. La plaque est bientôt séparée en plusieurs parts. Maître et apprenti frappent le fer de concert, donnant une forme convenable au métal brûlant. Quand l'épaisseur et les dimensions coïncident avec le résultat souhaité, nous passons au morceau suivant, jusqu'à ce qu'une demi-douzaine de lames soit finalement alignées. Nous saisissons alors les limes, gouges et autres ustensiles, afin de former les dents des futures scies. Le travail est long, et épuisant. La sueur n'est plus sous forme de perles tant la chaleur et l'effort sont intenses. Une fois que cinq scies sont prêtes, mon maître quitte finalement la forge pour aller chercher des poignées chez le menuisier. Pendant ce temps, je continue de travailler sur la dernière. Une fois que les dents sont bien toutes formées, je m'attèle à aiguiser leur tranchant, véritable travail d'orfèvre.
Une clameur retentit alors. Des hurlements jaillissent. Croyant comprendre ce qu'il se passe, j'attrape une masse et sors de ma forge abandonnant ma scie. Le pillage. Jamais je n'avais connu ce genre de pratiques. Mais il semble évident que l'armée ennemie a décidé de couper les vivres de nos frères. Et voilà donc ces répugnants barbares faisant irruption chez nous, pour piller, violer, tuer. Je fonce instinctivement vers l'auberge, sans trop savoir pourquoi. Quand je l'atteins, je me rends compte qu'ils ne semblent pas être passés par là. Toutefois, la mine défaite des parents d'Aurore se tenant pétrifiés dans l'embrasure de la porte ne font que plus m'inquiéter. Je cours. Je me sens exalté. Je cours. C'est ma chance d'apparaître à ses yeux. Je cours. C'est mon occasion de servir mon pays. Je cours, et vois finalement la petite troupe dont certains sont montés. J'atteins rapidement un des pillards, légèrement écarté du groupe. Il me toise avant d'amorcer un coup d'estoc que le choc de ma masse sur son pauvre crâne arrête avant même qu'il n'ait pu m'effleurer. La porte de la taverne gît sur le sol. J'entends des cris provenant de l'intérieur, des supplications. Puis des pleurs et des cris, d'une voix féminine que je crains reconnaître. Je fais irruption dans la taverne et me sens honteusement soulagé quand je remarque que c'est la tenancière qui se fait maltraiter pendant que son mari gît au sol, roué de coups par un soldat sans pitié qui ne tarde pas à s'effondrer sous ma masse. Je suis parvenu à me ressaisir et à me rappeler que je ne peux laisser ces gens ainsi. Les pillards proches de la tenancière se tournent alors tous vers moi, et n'écoutant que mon instinct je fuis, les sachant sur mes talons. Je parviens alors à les semer au détour d'une ruelle. L'avantage du terrain. Mon endurance, travaillée longuement par ma profession, me permet de rapidement recouvrir suffisamment de forces pour partir à la recherche d'Aurore.
J'arpente les rues au pas de course, mais ne parviens à la trouver. Mais n'est-ce pas bon signe ? Si je ne parviens à la trouver, peut-être est-ce le cas de tous ici ? Toutefois, ces quelques pensées ne suffisent ni à me convaincre, ni à me persuader. Ainsi je continue mon tour du village, n'ayant plus qu'un but, qu'une volonté. J'arrive alors sur la place publique. Bruits de sabots derrière moi. Deux cavaliers me menaçant de leurs épées m'entourent rapidement. Je parviens à les tenir en respect en agitant ma lourde masse tandis qu'ils me tournent en ridicule, se moquent et jouent avec moi, comme avec un chien fou. Mais j'ai une quête, j'ai enfin un vrai but et peut-être que le réaliser me permettra de la séduire. Je dois la sauver, accomplir les exploits de toutes ces chansons de chevaliers servants et de princesses en détresse. Je tente alors le tout pour le tout et plutôt que de tenter d'abattre mon arme sur le cavalier, je l'abats sur le flanc du pauvre cheval qui s'écroule dans un terrible hennissement, entraînant son cavalier dans la chute. Celui-ci hurle de douleur, la bête agonisante écrasant sa jambe et une bonne partie de son ventre. J'enjambe alors en courant le cheval et son maître, le compagnon de ce dernier étant resté estomaqué. Je cours de toutes mes forces, dépensant la moindre goutte d'adrénaline dans l'effort. Je remonte cette ruelle menant à la menuiserie, là où je ne suis pas encore allé. Et je me rends compte que j'ai oublié quelqu'un d'important, dans l'ordre de mes priorités, ce dont je me sens instantanément coupable. Toutefois, ma course folle se poursuit, et j'aperçois enfin la menuiserie, et l'obstacle qu'elle consistera pour un cheval, cheval dont j'entends le galop dans mon dos. Mais j'y suis presque, j'ai presque atteint les premiers édifices. Je crois distinguer une belle chevelure brune à-travers la fenêtre du bâtiment principal, en face de la scierie hydraulique. Mais je ne sais si je rêve ou non. Je ne sais si mon esprit tant embrumé par l'adrénaline et la fatigue me joue des tours. Mais je cours. Puis je vole. Le choc de l'épée m'a propulsé quelques mètres plus loin, me faisant même heurter un mur. Je ne peux plus bouger, et je souffre, mon corps irradiant de douleur. Je me sens partir, empli de regrets. Ce que j'ai mal fait, ce que j'aurais dû faire, ce et ceux que j'ai abandonné, mais surtout ce que je ne connaîtrai jamais, celle que je ne connaîtrai jamais.
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