Chapitre VII: Le forgeron en retrait (Partie 3)
Pas de cri du coq en pleine campagne. Nulle ferme alentour. Ainsi, je ne sais si c'est le gazouillement des oiseaux ou les chauds rayons du soleil qui me réveillent. Il est temps de partir, dans quelques heures je serai arrivé au village. Je libère les mules, reprend les rênes et la route. Le balancement du chariot réveille bientôt des douleurs et des courbatures que je dois à mon périple de la veille. Le bas de mon dos me fait souffrir tout particulièrement, je ne suis pas habitué à être assis. La journée est calme et morne, tout comme celle de la veille. Si le paysage n'était pas là pour me divertir, je mourrais probablement d'ennui. Cette pensée seule m'arrache un bâillement. Les mules, elles, ne semblent pas trouver le temps long. Elles font ce qu'on leur dit, elles tirent. Elles ne cherchent pas à comprendre, à se divertir, elles tirent juste. En échange elles sont nourries et entretenues, le contrat n'est-il pas rentable ? Je me surprends parfois à vouloir faire comme elles. Juste tout relâcher, juste être, vivre simplement mais heureux. N'avoir aucun tracas du quotidien, aucune querelle, être comme l'idiot du village, risée de tous, mais plus heureux de tous. Mais je ne souhaite pas cela en ce moment. Mes réflexions d'hier sont toujours en moi, et je ne peux m'empêcher de penser que ma vie serait bien triste, de tout autre point de vue que du mien. Qu'aurais-je fait, qu'aurais-je accompli, quel serait mon héritage sur cette terre ? Rien. Juste, rien. Rien de plus que rien. Triste constat. Je préfère être un homme déçu qu'un porc satisfait. Et j'ose estimer que j'ai raison sur ce point.
Le soleil est désormais à son zénith. Mon estomac grogne, comme un chien réclamant sa nourriture. Heureusement que je ne suis pas en public, bien du monde aurait entendu ce bruit que j'aurais eu bien du mal à dissimuler. Je sors la viande séchée qu'il me reste, et commence mon repas, sans m'arrêter. Je ne suis plus loin du village. Pendant que je mastique, j'observe la fumée montant voluptueusement dans le ciel bleu, relativement épuré de nuages. La première ferme, celle du père Métivier. L'horizon et les détours de la route me la masque encore, mais je sais que je ne suis vraiment plus loin.
M'y voilà, j'entre enfin dans le village, passant devant l'auberge. Je la vois en sortir, la belle Aurore. Comme toujours, je ne peux qu'être happé par son regard azur encadré de sa chevelure brune, qu'être interloqué par sa pâleur la rendant d'une beauté mystique. Elle, ne me remarque même pas. J'ai si souvent hésité à aller lui parler... Je ne suis pas un si mauvais parti, après tout. Un forgeron, ça a toujours du travail, et c'est même nécessaire au village. Et puis, le revenu est plus que suffisant pour vivre. Mais je ne sais comment faire, je ne sais comment m'y prendre. Encore si je l'avais connu... Et puis je me rappelle que de toute manière, je n'aurais pas osé. Comme je n'ai pas osé quand je croyais être tombé amoureux. Je me retrouve ainsi comme un mélancolique poète, après m'être pris pour un philosophe. Mais quel poète n'aurait plus véritable espoir en l'existence de l'amour ? Voilà une des peurs que j'ai, si ce n'est la plus grande: mourir seul. Sans avoir pu connaître les bras d'une femme. Je parviens à me tirer de ces pensées si funestes et focalise mon émotion sur la conduite de mon chariot, pourtant si instinctif en ces lieux que je connais mieux que ma poche. Quand j'arrive enfin devant la forge, mon maître m'accueille les bras ouverts, et dès que j'ai le pied posé par-terre, j'ai droit à une franche accolade. Je suis comme un fils pour ce vieil homme robuste. Il m'a élevé quand la maladie avait emporté mes parents, m'a formé et m'a forgé aux arts des métaux. Je lui tends alors la bourse, ainsi que la lettre de commande qu'il devra aller faire lire. Comme moi, il ne sait pas lire. Rares sont ceux qui savent. Et ils savent tout aussi bien faire payer leurs services. Mon maître m'invite alors à rentrer dans la maison derrière la forge, et m'invite à aller me reposer de mon voyage dans ma chambre pendant qu'il ira faire décrypter ces glyphes dont la teneur est si importante pour la guerre qui se joue si loin de nous.
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