Chapitre VI: Le dévastateur dévasté (Partie 2)
Quand j'entre dans cette tente, si petite qu'un enfant aurait du mal à s'y tenir debout, je me jette sur mon couchage ne cherchant qu'une chose: le sommeil. Mais mes yeux refusent de se fermer. Ils ne peuvent discerner que les ténèbres une fois que j'ai rabattu le pan de tissu qui fait office de porte, mais que leur importe ? Et je repars à penser, à revivre la scène de tout à l'heure, mais toute forme de plaisir a disparu, je ne suis plus que comme un automate, mon âme étant prisonnière de mon corps, condamnée à observer la souffrance que j'inflige. Et je pense à la vie qu'elle aurait pu vivre, au mari qui ne la reverra plus, ou au mari qu'elle ne connaîtra jamais, aux enfants qu'elle n'aura jamais, à ses parents qui la pleureront, sans même savoir ce qu'elle est devenue, à tout ce futur que j'ai contribué à anéantir, à cette personne que j'ai contribué à ravager. Comment pourrais-je être pardonné de quiconque ? Mais après tout, qui pourra me juger ? J'ai malheureusement cette réponse gravée au fond de mon être: moi. Que j'aimerais être capable d'oublier, de passer à autre chose, ou simplement d'être trop imbécile ou trop sadique pour pouvoir me défaire de ce souvenir désormais si lourd à porter, si douloureux à charrier. Le sommeil ne vient pas, et ma main blessée n'est pas en cause, je le sais. Ma blessure est bien plus profonde et bien plus large, mais surtout, m'apparaît comme incurable. Je revois encore et encore, cette scène, en un cauchemar si fort que je ressens presque mes sens en ébullition. Mais mes pensées commencent à se brouiller, il n'y a plus rien autour, plus qu'elle et moi, plus que la belle et la bête, plus que l'ange et le monstre. Tout est flou, autour. La peur enserre mon cœur, je suis comme prisonnier de mes pensées, paralysé dans mon délire. Puis je vois une lumière transpercer sa poitrine, se faisant de plus en plus forte. Cette lumière s'intensifie, jusqu'à m'éblouir, et quand mes yeux sont de nouveau en mesure de s'ouvrir, mes mains n'enserrent plus ses bras. Je lève les yeux, et je la vois, comme en lévitation sous un faisceau de lumière divine. Et d'ange elle devient succube vengeresse. Et je les vois approcher en lévitant, mes complices, entravés par des chaînes de lumière. Et un à un, un par un, elle leur arrache les membres, achevant son rituel sur Foulque, hurlant à la mort. Et c'est alors, que de nouveau elle redevient ange, et me fixe, de son regard incendiaire.
Je me réveille en sursaut, trempé de sueur, le cœur lancé dans un battement effréné, respirant à une cadence infernale. Je me calme du mieux que je peux. Inspire. Expire. Inspire. Expire. Je vide mes pensées, comme pour oublier ce regard destructeur qui a achevé de me mettre dans cet état. Et là l'illumination me parvient. J'ai compris. Tout est clair. Le Seigneur m'offre une chance de rédemption. Ce rêve ne peut être que prophétique. Je me mets à genoux et récite les bribes de prières que j'ai retenues de mon enfance, avant de bénir ce message salvateur pour mon âme. Je le savais, je ne suis pas quelqu'un de mal! Il m'a béni, et m'offre le pardon! Mais il est maintenant à moi de prouver que ce pardon offert avec tant de miséricorde, je le mérite. J'allume une bougie, attrape mon couteau de chasse et appose ma lame sur la flamme vacillante dans laquelle mon regard se perd. Je revois désormais ces yeux, en cette flamme, mais plus aucune angoisse ne s'insinue en moi, ces yeux lumineux, je les chéris désormais, ils sont mon salut.
Quand la lame rougit enfin, j'ôte ma tunique, et pose la pointe brûlante sur mon torse. Sans hésiter, j'enfonce la lame d'un ou deux millimètres dans ma chair. Je serre immédiatement les dents. La douleur est intense mais relativement concentrée en un point. Une larme commence à se former dans chacun de mes yeux, mais je persiste, guidée par la volonté de mériter la miséricorde du Seigneur. Je descends lentement mon bras le long de torse, et je ne m'arrête que lorsque j'atteins presque mon nombril. La chaleur de la lame me parait être comme Sa lumière gravant mon corps d'un quelconque sceau purifiant mon être. Quand je retire la lame, mes yeux sont si inondés à cause de la si vive douleur que je laisse échapper quelques larmes qui s'écoulent lentement sur mon visage. Je prends quelques inspirations avant d'apposer finalement ma lame un peu en-dessous de mon cœur qui est étrangement calme. J'enfonce de nouveau la lame, et d'un geste rapide et rageur, trace un trait qui traverse mon torse désormais irradiant. J'ai l'impression de brûler, d'être dans les flammes purificatrices. La cicatrisation est rapide, j'ai bien fait de chauffer la lame. Tandis que je viens de prendre une immense quantité d'air, je resserre mes dents, et enfile ma tunique. Quand elle est de nouveau en place, mon visage est trempé, tant par la sueur que par les larmes, mais enfin j'entrevois cette lumière parmi mes pensées, enfin j'ose penser de nouveau, car je sais que la rédemption est proche, que bientôt, je pourrais de nouveau vivre. Bientôt.
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