Chapitre V: La guerrière libre (Partie 2)


  La journée se termine alors, et je me sens heureuse. Pas d'avoir tué, pas d'avoir fauché, mais simplement d'être repue de liberté, comme si il s'agissait d'un besoin que j'ai naturellement. Je rentre au camp nonchalamment, suivant la foule. C'est toujours étrange, de voir cette manière de se retirer, si décalée par-rapport à la folle violence qui enivrait chacun de ces hommes, quelques minutes auparavant. Ce calme et ce silence, tranchant tant avec le chaos et le tumulte des combats. Mais c'est reposant, et cela me permet de savourer mon plaisir, de mesurer mon bonheur, et surtout de faire le vide en moi, pour canaliser cette énergie qui me dévore jusqu'au lendemain. Quand nous arrivons au camp, la si ennuyeuse routine reprend: je file tout d'abord à ma tente, car le premier jour passé, le commandement s'est vite rendu compte que la bataille s'éterniserait, et que faire monter les tentes ne serait pas une dépense d'énergie luxueuse, tant l'endurance et le moral des troupes seraient mis à rude épreuve. A mon arrivée, j'ôte rapidement mon armure légère que j'installe sur son présentoir. Comme toujours, je ne peux m'empêcher de la contempler, de parcourir ses lignes si harmonieuses: la plastron, en un acier assez sombre, présente la courbe parfaite pour suivre les contours naturels du corps, me procurant ainsi une totale liberté de mouvement. Cette seconde peau est toutefois assez robuste, travaillée pour dévier les lames, même si elle ne saurait résister à un coup d'estoc bien appuyé. Mais ce sur quoi mon regard s'attarde toujours, c'est le loup ornant le plastron au niveau de la poitrine, centrée juste en-dessous des légers arrondis me permettant d'enfiler cette parure malgré ma morphologie si différente de celle des hommes. Toutefois, les renfoncements sont travaillés pour n'être que très peu visibles pour ne pas attirer l'attention. Mais je reviens alors à ce loup, de profil, hurlant à la lune, gravé avec tant de minutie. C'est moi qui l'ai demandé. Cet animal, si puissant et si intelligent, si majestueux et si mystique, ayant toujours inspiré les conteurs, mais ayant toujours été haï par les villageois qui le traquent si fréquemment. Je l'ai fait mien, avec le temps, si bien qu'il imprègne désormais mon être et qu'un lien s'est formé, sans même qu'une rencontre n'ait eu lieu. Ne pouvant mettre mes armoiries, il fallait bien trouver un substitut, et celui-là me convient parfaitement. D'ailleurs, si l'on m'offrait aujourd'hui le choix, je crois que je n'hésiterais pas une seule seconde à garder cet emblème qui est désormais mien.

   Je m'arrache à ma contemplation et finis de me défaire de mes affaires de combat pour enfiler des vêtements plus légers. J'enfile finalement une veste de cuir assez épaisse pour masquer mes formes, ainsi qu'un bonnet, en cuir, aussi, pour dissimuler au mieux mes traits un peu trop fins à mon goût pour que je n'ai aucune peur de paraître découverte en publique. Je sors alors, allant en direction de la zone des cuistots. Probablement encore cette mélasse immonde. Et dire que les autres membres de ma famille ont tous droit à de la viande, du pain chaud et du vin... Mais il me serait bien difficile d'en réclamer tout en gardant mon identité secrète... Quand je tends mon écuelle au cuistot, celui-ci, sans un mot, sans un regard, verse le contenu sa louche dans le récipient. Le son que produit cet écoulement pâteux est presque plus pourvoyeur de nausée que l'odeur dégagée par les marmites remplies. Après tout, le goût n'est pas si immonde, mais la texture et l'odeur sont si horribles qu'il est dur de s'en accommoder. Sans le remercier, comme il semble en être la coutume parmi les soldats, je saisis mon écuelle et vais m'assoir près d'un feu isolé, où personne ne devrait venir me déranger. Je surprends alors le regard d'un homme au loin, probablement un roturier, vu son aspect négligé, qui après m'avoir brièvement dévisagée récupère sa ration et s'éloigne. Je commence alors mon si faste et somptueux repas, que j'achève quelques minutes plus tard avec de longues gorgées d'eau, dont la fraîcheur étouffe un temps et le goût et l'odeur de cette bouillie innommable. Je me relève et rentre à ma tente.

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