Chapitre IX: Le noble éclairé (Partie 4)


  Me voilà en selle, attendant mon heure, inquiet. Je ne sais à quoi m'attendre. Le chaos d'une simple bataille rangée ne doit être que dérisoire en comparaison de ce qui nous attend. Dès que la porte qui fait barrage sera ouverte, nous déferlerons, emportés tous d'un même et puissant courant. Je me retourne alors. Les soldats sont en rangs derrière moi. Parmi eux, quelques chevaliers, mais une large majorité de soldats, exceptionnellement tous montés. L'infanterie n'apporterait aucun réel soutien. Nous devons frapper vite et fort, les mettre en déroute puis repartir. Plus nous tarderons, moins nous serons à rentrer. Un noble guerrier de haut rang s'avance alors et me rejoint en tête de peloton, à mon grand étonnement. Devant percevoir mon regard interrogateur, ma visière étant encore relevée, il soulève la sienne, faisant apparaître des traits jeunes que je connais bien. Choqué, j'aimerais protester, mais je sais que ce sera inutile. Ainsi, celui qui m'aura convié à la fête aura été présent. De quoi me donner du courage, dont j'avais cruellement besoin dans cette interminable attente.

   Les secondes, les minutes passent. Mon corps ne peut plus qu'avec peine supporter ce pénible sursis. Quand enfin, la herse se lève, et que j'entends les épées se tirer, j'abaisse ma visière, vide mon esprit, et libère ma lame de son entrave. La porte s'ouvre alors, libérant un flux puissant dont je suis à la tête. J'imagine déjà le spectacle magique que nous donnerions si quelqu'un était disposé à en être spectateur. J'imagine le reflet du soleil sur nos casques luisants jurant par-rapport à nos hauberts sombres, comme l'écume sur l'inarrêtable vague. Je vois alors la peur se mêler à la surprise sur les visages encore lointains de nos adversaires au moment où nous atteignons le galop. Du moins je le devine. L'exaltation s'empare alors de moi, la soif de vaincre me possède, et de ce cruel mélange sort un puissant rugissement couvert par le bruit de notre déferlante. La ligne adverse s'organise, les quelques lanciers se positionnent, mais leur réaction arrive bien trop tard. Notre vague qui aurait dû heurter une falaise d'acier recouvre ainsi tranquillement la plane rive qu'ils nous offrent. Jetant un coup d'œil alentour, je remarque alors que nous ne formons plus qu'un front, une simple ligne fauchant tout sur son passage. Mais ce n'est pas l'acier, qui fait le plus de dommages, mais bien les sabots de nos chevaux inarrêtables, renversant les soldats, brisant les membres, piétinant les cranes. J'ordonne alors la retraite, avant que nous ne soyons trop proches du gros des troupes ennemies. Tandis qu'une rotation chaotique s'amorce, j'aperçois alors un immense nuage de poussière, à quelques centaines de mètres de là. La riposte. Des centaines de cavaliers nous chargent à leur tour, par ce qui est désormais notre flanc. Je vois au loin les premiers cavaliers tomber et succomber tandis que je continue mon virage, exhortant mes hommes à se replier. Je m'arrête alors quelques instants et cherche le fils de mon suzerain du regard. Je le trouve plutôt en bonne posture, parmi les hommes qui ont déjà pu amorcer leur repli. Je donne alors un coup de talon à mon cheval pour qu'il les imite, après avoir rentré mon épée dans mon fourreau pour mieux maîtriser ma monture. Je suis sur le point d'atteindre le galop, quand un soldat, apparemment blessé perd le contrôle de son destrier qui cabre avant de me couper la route et de me désarçonner au passage. J'essaie un temps de rattraper ma monture ayant ralenti, mais le poids de mon armure me ramène à la réalité. Je vois mes soldats passer, à ma droite, à ma gauche, toujours au triple galop. Quand j'en vois un tomber sous un coup d'épée à seulement quelques mètres de moi, je sais que c'est la fin. Je tire mon épée bâtarde, sans réelle conviction, et me mets en garde, malgré mes muscles tremblants. Je ne sais si leur tremblement est dû à l'effort ou à la peur qui me tiraille. Probablement un peu des deux. Je pose ma deuxième main sur la fusée de mon arme. J'aperçois un cavalier qui enfin fonce dans ma direction. Je lève alors mes bras, prêt à vendre cher ma mort. Quand le choc arrive enfin, je garde ma prise, du mieux que je peux, mais je finis par lâcher, quasiment au même instant que mon adversaire qui tombe de sa monture sous l'impact. Je tire une dague et me dirige le plus rapidement possible vers son corps prisonnier de la rigidité de son armure, malgré ses nombreux efforts pour parvenir à se relever. L'atteignant enfin, je peux contempler son regard angoissé et impuissant quand ma dague pénètre entre les mailles, juste en dessous de son plastron. Me remettant sur mes jambes, je cherche mon épée du regard, malgré la visière qui obstrue mon champ de vision. La voyant enfin, grâce à un rayon de soleil réfléchi, je me dirige vers elle quand je reçois cette pointe de lance entre l'épaule et la jointure de mon heaume. Je suffoque, je me noie dans mon propre sang, avant même que mon corps ne me lâche et ne s'écroule lamentablement au sol. Par chance, je peux encore contempler le ciel tandis que se poursuit mon agonie, qui je le sais, sera courte. La lumière du soleil me berce, les rayons me caressent, et je me sens partir quand un rapace me survolant laisse dans son sillage un petit point sombre qui s'étire lentement tandis qu'il se rapproche. Après quelques secondes, j'identifie enfin cette plume, dansant avec un vent que ne peux même pas sentir. Je l'observe, je la dévore du regard, cette vision qui m'accompagnera dans l'au-delà. Tandis, qu'elle virevolte toujours, je revois tout d'un coup cette plume, sur mon bureau, posée à côte de l'encrier. Mon regard se promène en cette hallucination jusqu'à ce qu'il tombe enfin sur ce parchemin, cette lettre inachevée, ce dernier témoignage que jamais mes proches ne recevront. Je revois alors, cette plume, toujours plus proche, mais qui perd en netteté. À-moins qu'il ne s'agisse des larmes qui brouillent ma vision. J'avais atteint la paix, mais désormais seul le regret existe encore en moi, comme si mes dernières forces lui étaient dévouées. La forme vague de la plume disparaît alors, elle a dû se poser. Mes larmes chaudes atteignent alors ma plaie béante, et la douleur qu'elles provoquent font réagir mon corps, qui dans un dernier sursaut, s'éteint avec moi.

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