Chapitre VI

À Oriane, qui a accroché sa plume à une étoile,

et à Pierre, qui a trouvé l'étincelle qui allume le feu des mots.


Un rayon de soleil, qui s'était aventuré à travers les claires-voies des volets, me tira de mon sommeil. Comme chaque jour, je tentai vainement d'imprimer dans ma mémoire les rêves de la nuit. Je ne sais pas trop pourquoi je m'acharnais à faire la même chose tous les matins : ça ne fonctionnait tout simplement jamais. Pourtant, parfois, mes rêves me revenaient dans la journée, sans prévenir. Mais je devais avoir perdu à tout jamais des centaines et des centaines de rêves sympathiques, d'histoires enchanteresse, et de scènes torrides... Peu à peu, je commençais à prendre conscience de l'endroit où je me trouvais, qui n'était visiblement pas ma chambre. La chaleur du bras qui barrait mon torse me ramena à la soirée d'hier.

Baptiste était lové contre moi, et dormait d'un sommeil paisible. Ce n'était pas la première fois que je le voyais endormi, mais c'était tout de même la première fois que j'en avais le droit. Lentement, pour ne pas le réveiller, je me tournai vers lui, mon visage à quelques centimètres à peine du sien. Mais qu'est-ce qu'il était beau ! Pas comme ces mannequins qui faisaient la couverture de Têtu, non : il avait la beauté du David de Michel-Ange.

En le regardant dormir, je comprenais mieux Oscar Wilde, qui faisait dire à Lord Henry que le seul moyen de résister à la tentation, c'est d'y céder. J'avais cédé à la mienne, de tentation — mais avais-je seulement tenté de résister... ? — et ce matin, dans les bras de mon amant, j'étais un homme serein. Cette idée s'imposa à moi comme une évidence : je venais de tourner une page. J'en avais fini avec l'enfance et ses tourments. Si techniquement je restais un adolescent, maintenant j'étais aussi un jeune adulte. Et en tout cas, j'étais un homme. Merci, oncle Oscar !

Étrangement, les réticences de Baptiste ne m'affectaient pas vraiment. D'une certaine manière, même, je crois qu'elles me rassuraient : elles m'aidaient à comprendre qu'être adulte, ce n'est pas seulement pouvoir faire tout ce qu'on veut, c'est aussi parfois ne faire que ce que l'on doit. Je savais qu'il avait envie d'aller plus loin, beaucoup plus loin qu'hier soir. Je l'avais compris en sentant son corps se tendre sous mes caresses. J'avais eu l'impression de caresser un tigre, et ses gémissements de plaisir, même retenus, me laissaient penser qu'il avait aimé ça. Moi aussi, soit dit en passant. Cela dit, je gardais à l'esprit cette petite phrase que Grand-Mère citait souvent quand je me préparais à m'embarquer dans mes folles aventures : le plus difficile n'est pas de chevaucher un tigre, mais d'en descendre. Peut-être que sa retenue n'était pas une si mauvaise chose...

Pendant notre longue discussion d'hier soir, j'en étais arrivé à la conclusion qu'il suffirait d'une fois pour que son blocage disparaisse. Quand il se serait rendu compte que tout se passait bien, il se détendrait, et pourrait définitivement chasser de son esprit cette angoisse persistante. Quand je pense à toutes mes copains de classe qui m'expliquent à quel point les filles sont compliquées ! Ils n'ont pas seulement idée de ce que c'est qu'une vraie relation, et en plus avec un homme...

Une vraie relation... Je ne sais pas pourquoi, mais ce mot me faisait tiquer. Est-ce que j'avais vraiment une « relation » avec Baptiste ? Je ne saurais pas vous dire pourquoi, mais ce terme me faisait penser à un rapport de police. C'était très... administratif ? Bon, nous n'étions pas en couple. Enfin... mon cœur d'artichaut serait-il d'accord avec ça très longtemps ? Mystère ! Mais pour le moment, en tout cas, nous étions ce qu'on appelle couramment des sexfriends. Quoique... Quelques secondes supplémentaires de réflexion m'obligèrent à ouvrir les yeux. Et je dois dire que le résultat de cette courte analyse ne manqua pas de me surprendre !

J'avais pour Baptiste le même genre de sentiments que pour Ludo. C'était certes légèrement différent, mais tout de même ! Ce n'était pas mieux avec l'un ou avec l'autre : avec Baptiste, c'était plus intense, mais avec Ludo, c'était plus... fusionnel ? Une nouvelle question me vint à l'esprit : était-il possible que je sois amoureux de deux hommes à la fois ? D'ailleurs, étais-je amoureux de Baptiste ? Ou de Ludo ? Je les aimais, c'était certain. Je me serais sans hésiter jeté à l'eau pour chacun d'eux. Mais je n'étais pas amoureux.

Un jour, j'avais posé la question à Grand-Mère : comment sait-on si on est amoureux ou pas ? Et elle m'avait répondu, avec un peu de rouge aux joues, que quand ça m'arriverait je le saurais immédiatement. Et que, si je me posais la question, c'est que je n'étais pas amoureux. Donc, je n'étais pas amoureux. Bordel, mais qu'est-ce que c'est compliqué, d'être adulte ! Je sentis un petit baiser léger se poser sur ma joue.

- Bonjour, toi !

Je sortis de ma réflexion pour contempler son visage souriant. Je lui répondis par un baiser passionné. Je caressai lentement son dos, en suivant le chemin de sa colonne, vers le creux de ses reins. Il ne broncha pas. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sentis le besoin de me justifier :

- C'est juste pour vérifier que tu es bien réel.

Il sourit.

- Rassure-toi, Bébé, je suis bien là.

J'étais aux anges. Il déposa un autre petit bisou sur ma joue.

- Bébé, tu es trop mignon, comme ça ! Tu as bien dormi ?

- Mignon ? Je dois ressembler à un hérisson dans les phares d'une voiture !

Il rit :

- Mais qu'est-ce que tu peux être bête, par moments ! Bien dormi quand même ?

- Je crois... Je me suis endormi dans tes bras, non ?

- Si, si, tu t'es endormi dans mes bras.

- Je ne t'ai pas empêché de dormir, au moins ?

- Non, rassure-toi : j'ai dû m'endormir quelques minutes après toi.

Comme nous étions collés l'un à l'autre, je pouvais le sentir contre moi, déjà dur, et il ne devait rien ignorer non plus de mon érection du matin. Je dois toutefois avouer que la présence de Baptiste à mes côtés était certainement pour bien plus dans cette érection-là que l'heure matinale...

Et pourtant, je n'avais pas vraiment envie de sexe. Comment vous expliquer ça... Je me sentais un peu l'âme du gars qui habite à cent bornes de la mer, qui fait la route tous les dimanches pour aller à la plage, et qui n'y va plus qu'une fois par an le jour où il déménage dans une ville côtière. Maintenant, je savais que je pouvais... que je pouvais tout ! Plus besoin donc de précipiter les choses. Je me collai encore un peu plus à lui.

- On est obligés de se lever ?

- Attends une seconde.

Il se releva légèrement, s'éloignant du même coup de moi, pour regarder sa montre. Je gémis de dépit. Il se recala rapidement sous la couette, et me reprit dans ses bras.

- Six heures sept. Tu vois, on n'est pas pressés.

- Trop bien !

- Pour une fois que je peux traîner au lit...

- De toute manière, interdiction pour toi de m'abandonner lâchement dans un si grand lit.

Il rit doucement.

- Comme si j'avais l'intention de t'abandonner ! Je suis bien, là.

- C'est vrai ?

- Bien sûr que c'est vrai ! Dis, je peux t'avouer un truc ?

- Ben... Dis toujours...

- C'est la première fois que je me réveille avec quelqu'un dans mes bras.

- ...

- Tu trouves ça con, hein ?

- Non, je trouve même très mignon que tu me le dises.

- Tu es sûr ?

- Baptiste, s'il te plaît, pas de paranoïa à six heures du matin...

- ...

- Oui, des fois, tu es un peu paranoïaque. Et non, ça n'est pas un drame.

- Bon, si tu le dis...

Il avait la mine d'un gamin qu'on vient de choper la bouche pleine et la main dans le bocal à bonbons. C'était vraiment trop mignon !

- Arrête de te prendre la tête avec tout ! Je t'aime comme tu es, et je n'ai pas envie que tu changes. Et puis il est super méga vachement trop tôt pour la séance de psychanalyse !

Cette fois, il rit franchement :

- D'accord, pas de séance à cette heure-ci. Qu'est-ce que tu veux faire, alors ?

- Juste rester dans tes bras.

Devant son air intrigué, je précisai en couvrant son visage de petits baisers :

- Pour le moment. Parce qu'une fois que je serai vraiment bien réveillé, j'envisage sérieusement d'abuser de toi jusqu'à ce que la nuit tombe.

- Ah ! Me voilà rassuré.

J'étais mort de rire, et lui aussi. Il est vrai que d'un côté, j'avais vraiment très envie de faire l'amour avec lui. Mais d'un autre côté, j'étais bien comme ça pour le moment, et je ne voulais vraiment rien précipiter. Et puis il nous restait encore une nuit à passer ensemble : j'avais tout mon temps. D'autant qu'il me semblait être à peu près dans le même état d'esprit.

Notre discussion était partie dans tous les sens, comme si maintenant il n'existait plus aucune barrière entre nous. Je le poussai à me parler de lui, et il s'exécuta sans trop se faire prier. Il me confirma la fameuse rumeur qui courait sur sa naissance : Jean n'était pas son père.

- Oh ben merde, alors !

- Mais tu gardes ça pour toi, hein ? Il ne sait même pas que je suis au courant !

- Non, non, t'inquiète, je n'en parlerai à personne.

- Pas même à Ludo ?

- ...

- Romain ?

Oh merde ! Dans dix secondes, il allait me donner du « Monsieur » !

- Pour Ludo, je te promets seulement que je ferai super attention.

- Je...

- Non, non, laisse-moi finir. Ludo est mon ami d'enfance, il sait tout de moi, je sais tout de lui, on n'a jamais eu de secrets l'un pour l'autre. Et jamais il n'a parlé à quiconque de tout ce que j'ai bien pu lui confier. Et tu peux me croire, il en sait, des trucs qu'il pourrait répéter ! Et quand on discute, c'est un peu comme toi et moi maintenant : c'est sans barrières. Alors, franchement, je ne suis pas certain de ne pas faire une gaffe un jour ou l'autre.

Il soupira.

- Décidément, vous deux...

Est-ce que je rêvais, ou j'avais bien entendu une pointe de jalousie dans cette petite phrase ?

- Baptiste ?

- Quoi ?

- Ne sois pas jaloux.

- ...

- On parle sans barrières aussi, là, maintenant, toi et moi.

- Sans doute.

Mais bon sang, quelle tête de mule ! Je me calai contre son épaule, bien décidé à le laisser reprendre l'initiative de la conversation quand il aurait fini de bouder.

Dans ma tête d'adolescent, la colère se mua rapidement en tristesse. Je ne voulais pas que Ludo soit une barrière entre Baptiste et moi. Mais je ne voulais pas non plus laisser tomber mon ami. Je commençais à craindre que Baptiste me demande, un jour ou l'autre, de choisir. Parce qu'il était jaloux de Ludo. J'en étais d'autant plus certain qu'il n'avait pas vraiment nié.

Je sentais les larmes monter. Malgré tous mes efforts pour ne pas pleurer, une larme roula, comme l'autre jour près de la rivière. Seulement cette fois, c'était bien la tristesse qui me mettait dans cet état-là. Mon Dieu, qu'il me semblait loin, d'un seul coup, ce moment de bonheur au barrage ! Je le sentis se crisper.

Il se redressa sur le coude pour me regarder. Je détournai la tête pour qu'il ne me voie pas pleurer. J'étais naïf de penser que ça suffirait à me cacher : je sentis la douce caresse de sa main dans mes cheveux, puis il passa ses doigts sous mon menton, pour m'obliger à le regarder. J'étais en larmes.

Je levai le regard vers lui. Il avait les yeux rouges, et une larme coulait le long de sa joue. J'eus l'impression de sentir mon cœur se briser. Je me blottis contre lui, et je cessai de retenir ma peine. Tandis qu'il me serrait, rassurant, dans ses bras, je sentis une larme s'écraser dans mon cou.

- Bébé, je suis désolé...

C'était juste un murmure dans mon oreille. J'étais incapable de parler, alors je le serrai un peu plus fort, pour qu'il sache que j'avais entendu. Je le sentis se détendre. Il se remit sur le dos, et moi... je fus bien obligé de suivre le mouvement ! Je me retrouvai calé contre lui, une jambe entre les siennes, accroché à son cou comme si je risquais de le perdre.

Je le caressai doucement, et je sentis que le désir revenait : il redevint dur en quelques secondes à peine. Quant à moi... Moi, j'étais un ado de presque seize ans : je vivais en érection environ vingt-quatre heures par jour, quand ça n'était pas plus ! Il se mit à son tour à caresser doucement mon dos. L'instant aurait pu être parfait, s'il ne pleurait pas encore. Silencieusement, pour ne pas me mettre mal à l'aise, sans doute. En levant la tête, je pouvais voir les larmes couler de ses yeux. Un instant, je fermai les miens, et je priai pour que notre relation ne devienne pas une succession de scènes comme celle-ci, une sorte de « je t'aime, moi non plus » qui ne pourrait que nous détruire l'un et l'autre.

Je ne savais pas comment aborder les choses, comment reprendre le cours de cette conversation. Lentement, délicatement, j'essuyai sa joue du revers de ma main. Il garda les yeux clos.

- Doudou ?

J'avais à peine refermé la bouche que j'eus envie de me frapper... Doudou ! Non mais, Romain, t'es sérieux, là ? Parce que, franchement, pour faire plus niais, il aurait fallu que je me lève au moins une heure plus tôt... Il n'a pas réagi... Il avait sans doute pitié de moi, maintenant... Je me redressai : il pleurait toujours. Des larmes s'échappaient sous ses paupières closes. Je tentai l'ironie :

- Bon, d'accord, Doudou, c'est tarte. Mais enfin quand même, de là à pleurer pour ça !

Je vis un sourire se dessiner sur son visage. Puis il se mit à rire. Bingo !

- Non, j'adore « Doudou », ne t'en fais pas !

Je profitai de ce moment de répit pour me mettre sur lui, à cheval sur son ventre. Je chevauchais mon tigre, sans aucune intention d'en redescendre avant qu'il ne soit dompté...

- Alors dans ce cas, dis-moi ce qui ne va pas. S'il te plaît.

Il soupira. Puis, en me regardant dans les yeux, il s'expliqua :

- Tu as raison, je crois bien que je suis un peu jaloux de Ludo. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai peur de me retrouver loin de toi à cause de lui.

- Mais il n'y a aucune raison de penser ça !

- Tu crois vraiment ?

- Mais pourquoi tu me demandes ça ?

Il semblait hésiter.

- Je peux te donner mon avis sans que tu t'énerves ?

- Ben, bien sûr !

- Sans que tu t'énerves ?

J'avoue que le simple fait qu'il insiste sur ce point commençait déjà à me faire monter dans les tours... Je choisis de faire preuve d'un peu de diplomatie... ou de mentir de manière éhontée, c'est une simple question de point de vue :

- Sans que je m'énerve.

- D'accord. Je te connais depuis que tu es né, et forcément, c'est un peu la même chose pour Ludovic, même si je le connais un peu moins bien que toi.

Il fit une pause, quêtant mon approbation. Je hochai la tête, l'encourageant à continuer. Je ne savais pas du tout où il voulait en venir, mais je sentais que je n'allais pas m'ennuyer...

- J'ai su que tu préférais les garçons bien avant que la rumeur n'arrive jusqu'à la ferme...

- Comment ça ?

- Il m'a suffi de te voir regarder Ludo quand vous êtes tous les deux.

- Pfff ! N'importe quoi !

- Ça remonte à deux ans, à peu près. Je crois que c'était aux vacances de la Toussaint.

Alors là, il m'en bouchait un coin ! Putain de merde ! J'étais donc si transparent que ça ?

Bon, je vous explique rapidement : lorsque nous sommes rentrés en quatrième, Ludo et moi, nous avons été mis dans des classes différentes. Ça n'a pas duré très longtemps, mais ça m'avait plongé dans un état de déprime qui avait vraiment surpris tout le monde, et qui au final n'avait inquiété que Grand-Mère. Enfin, passons, j'ai l'habitude ! Bref, j'ai compris à ce moment-là qu'avec Ludo, c'était sans doute plus que de l'amitié. Et le fait qu'il se soit retrouvé dans le même état que moi m'avait conforté dans cette idée.

Les vacances de la Toussaint avaient été l'occasion pour nous de passer quelques jours tous les deux au château, seuls avec Grand-Mère. Je ne sais plus trop ce qui s'était passé, mais Grand-Père avait dû partir en Suisse à la dernière minute. Bref, j'avais profité de l'un de ces longs moments pendant lesquels Grand-Mère nous laissait tous les deux pour lui expliquer que je préférais les garçons. J'avais eu une petite appréhension, quand même, au moment de lui dire ça. Je n'avais pas peur qu'il me rejette – j'ai dû attendre que ma famille apprenne pour mon « comportement », pour connaître ce sentiment – mais plutôt qu'il prenne ma déclaration pour une sorte de plan drague moisi.

Mais non, pas du tout : mon ami, fidèle à lui-même, en avait profité pour me confier qu'il n'était attiré par rien ni personne pour le moment, et que jusqu'à preuve du contraire, il n'était dégoûté ni par les garçons, ni par les filles. Et c'est à partir de là que nous nous sommes rapprochés encore un peu plus : nous ne nous contentions plus de dormir ensemble. Je passerai sur les téléchargements de films pour adultes en catimini, sur les séances de visionnage en duo, et le piratage de la carte bancaire de Maman, qui nous avait permis de nous procurer quelques DVD qui étaient arrivés chez Ludo « sous pli discret »... Bon, ça n'est arrivé qu'une seule fois, et je vous rappelle que nous étions des ados, pas des anges !

Tous ces souvenirs me revenaient à l'esprit, et dans le même temps je concevais une réelle admiration pour les talents de détective de ce bel Apollon sur lequel j'étais présentement assis. D'un autre côté, maintenant, j'appréhendais la suite...

- T'es en train de me dire que je me tape Sherlock Holmes ?

Un joli sourire vint éclaircir son visage grave.

- Jolie tentative de détournement de conversation !

- Bon, d'accord. Je suis vraiment scotché, là !

- La fois où j'ai remarqué ça, vous étiez seuls sur le banc du kiosque, au bout de l'étang.

- Ouais, je me souviens de ce jour-là... On s'est même fait remonter les bretelles en rentrant par Grand-Mère, parce qu'on n'était pas assez couverts ! C'est flippant !

- Et ce jour-là, ce que j'ai vu, c'est un garçon amoureux.

Bon, ben voilà ! Mets ça sur ton pain ! C'était ce jour-là que j'avais parlé à Ludo de mon goût pour les beaux garçons... Oh merde ! Avec le recul, je crois que ça avait été l'un des plus beaux moments de ma vie. Loin de me rejeter, Ludo m'avait pris dans ses bras. Je me souviens encore des mots qu'il avait murmurés dans le vent : « Je t'aime comme tu es. Le reste, on s'en fout ! »

- Doudou ?

- Oui, Bébé ?

- Si on continue là-dessus, je crois que je vais pleurer. Je... On parle d'autre chose, tu veux bien ?

Il restait là, à me fixer... Je ne voulais pas repenser à cette journée. Pas maintenant. Pas avec Baptiste nu dans mon lit. Ce moment-là, il était à moi seul, et je ne voulais pas en parler. Pas même avec Ludo... Pas encore... Baptiste finit par me sourire :

- À une seule condition.

- Laquelle ?

- Tu me promets que si tu as envie d'en parler, tu n'hésiteras jamais à en reparler. C'est toi qui fermes la porte, libre à toi de la rouvrir quand tu veux.

Le compromis m'allait parfaitement.

- D'accord. Mais je veux juste que tu saches que tu n'as pas besoin d'être jaloux. Ludo ne me demandera jamais de choisir, et il ne cherchera jamais à m'éloigner de toi.

- Tu le penses vraiment, ou tu me dis ça pour me rassurer ?

Je souris.

- Non, je le pense vraiment.

- Alors, ça me va parfaitement.

- Et ça ? Tu en penses quoi ?

Pour m'assurer que la conversation ne reviendrait pas sur Ludo, je me serrai contre lui, et je me remis à l'embrasser. Visiblement, il n'avait pas besoin de me répondre avec des mots : sa réponse, pleine de douceur, pleine de caresses, me suffisait largement. Il me glissa dans l'oreille :

- Ça te dirai que je... Enfin, tu vois ?

Je ne voyais pas vraiment, même si j'avais une vague idée de ce qu'il proposait. Mais pour être certain de ne pas le détourner de son idée première – sait-on jamais, peut-être plus hardie que mon souhait du moment – je fis non de la tête, sans dire un mot, en le regardant droit dans les yeux.

Il se rapprocha à nouveau de mon oreille, comme si nous risquions de réveiller quelqu'un dans la chambre d'à côté :

- Comme hier soir ?

Bon, c'était bien ce à quoi je pensais. Mais j'allai lui proposer une variante :

- D'accord, mais cette fois-ci, c'est mon tour !

Et comme je voyais bien qu'il allait protester, je posai un doigt sur ses lèvres pour le faire taire.

- Tu me laisses faire. Et si, à un moment, tu veux que j'arrête, tu me dis juste « stop », et j'arrêterai. Je ne veux pas te pousser à bout, mais il faut quand même que tu y mettes du tien !

Visiblement, il n'était pas très satisfait de cet arrangement... qui n'en était pas vraiment un. Mais il ne protesta pas. Du coup, je me sentis un peu le besoin de le rassurer, quitte à finir ma journée frustré : je l'embrassai doucement puis, mon regard accroché dans le sien, je lui proposai une solution de secours :

- Je te promets qu'à la seconde où tu dis « stop », j'arrête. Même si tu dis « stop » maintenant.

Tant pis pour moi : il sauta sur l'occasion.

- Stop.

Inutile de vous décrire l'ampleur de la déception qui s'empara de moi... Il continua.

- Pour le moment.

- ... ?

- Je dis « stop » pour là, maintenant, tout de suite. Mais... puisqu'il faut que j'y mette du mien, je te promets que, sauf circonstances indépendantes de ma volonté, tu pourras... Enfin, tu vois, quoi ?

- Te sucer ?

Il soupira.

- Tu as besoin d'être toujours aussi précis ?

- Ça te dérange ?

- Pas vraiment. Mais disons qu'un peu de poésie ne me dérangerait pas non plus...

- Ah ! Tu préférerais un truc du genre...

- Non ! Temps mort ! C'est bon, je capitule !

- ...du genre « me faire détartrer la glotte », « faire un graissage à Popol », « faire pleurer le grand chauve »...

- STOP !

Il éclata de rire devant ma mine déconfite :

- À la seconde où j'ai dit ça, j'ai su que j'avais dit une connerie...

- ...

- Désolé, mais si je te laisse continuer, te connaissant, on en a pour la journée.

Il était vraiment plié de rire. Bon, tant mieux. Mais ça ne répondait pas à ma question :

- Donc... ?

- Donc la réponse est oui, tu pourras me sucer. À la condition que le coup du « stop » soit toujours d'actualité.

- Ça marche pour moi.

- Alors, c'est oui.

- Et pour le moment ?

- Pour le moment, j'ai juste envie de te garder dans mes bras, et de laisser faire les choses. Pas besoin de tout planifier.

- C'est vrai...

- Donc, je vais remettre du bois dans la chaudière, et je reviens.

Je le regardai sortir du lit... J'adorais chaque parcelle de ce corps hâlé...

Alors qu'il était en bas, j'entendis frapper au volet. Le vieux Jean – ça ne pouvait être que lui – s'était pointé tôt ! Sans réfléchir une seule seconde, je ramassai mes affaires, et je me précipitai silencieusement dans la seconde chambre, en laissant la porte entrouverte : impossible de la fermer autrement qu'à coups d'épaule. Forcément, on aurait beaucoup perdu en discrétion...

Je me glissai dans le lit : il était gelé, et je me mis à frissonner. Je décidai pourtant de ne rien mettre de plus que mon boxer. À peine avais-je remonté ma couette que le vieux Jean fit son entrée dans le salon, suivi d'un Baptiste aussi mal à l'aise qu'il était possible. Je décidai de ne pas lui laisser l'occasion de faire de gaffe, et même de faire le nécessaire pour que son père ne s'incruste pas. J'allais devoir me montrer d'une humeur déplorable. À tout prendre, c'était le cas. Je me levai, et j'ouvris bruyamment la porte de ma chambre :

- Putain, Baptiste, tu fais chier ! Tu pourrais faire moins de bruit ! Tu m'as réveillé !

L'avantage de ces vieilles maisons, c'est qu'à part dans les chambres à coucher les volets ne cachaient jamais la partie haute des fenêtres. En gros, il faisait jour dans la pièce comme si les fenêtres n'avaient pas eu de volets. La scène, hilarante, était donc parfaitement éclairée quand je fis mon entrée...

Baptiste ne bougeait plus, et restait là à me fixer, se demandant sans doute par quel miracle je pouvais bien sortir de cette chambre-là, dont le lit était aussi manifestement défait... Il était tout pâle, malgré le soleil du matin.

Jean arborait une teinte nettement plus rouge, qui elle non plus n'avait rien à voir avec le soleil. Oui, j'étais en boxer, et oui, j'avais la gaule. Comme tout ado de seize ans qu'on chope au saut du lit. Je fis celui qui ne s'était aperçu de rien :

- Oh, pardon ! Bonjour, monsieur Jean.

- ...

- Salut, Baptiste !

- Salut Romain...

Un silence pesant s'installa dans la pièce. Étant donné qu'il n'était pesant que pour les autres, je laissai les choses en l'état, et passai dans la salle de bains me débarbouiller, en fermant la porte, mais en écoutant attentivement ce qui allait se dire de l'autre côté...

- Merci, Papa, tu l'as réveillé !

- Oui, oh, ça va ! Il est six heures et demie, quand même !

- Oui. Sauf qu'ici, c'est chez lui, et que lui, il est en vacances.

- Et toi ? Tu n'es pas en vacances, que je sache !

- Moi ? Moi, je suis chargé de m'occuper de lui, et si je le ramène à Madame dans cet état-là, je peux t'assurer qu'on va en entendre parler pendant un bon moment.

Monsieur Jean ne craignait pas grand-chose, si ce n'est Grand-Père. Beaucoup. Et Grand-Mère. Plus encore. Baptiste savait taper là où ça fait mal.

- Mais pourquoi tu n'étais pas encore levé ?

- J'étais levé, puisque j'étais en train de remettre du bois dans la chaudière. Et puis on s'est couché à presque cinq heures du matin, alors je comptais bien me recoucher jusqu'à ce qu'il vienne me réveiller.

- Et qu'est-ce que vous avez fait, jusqu'à cinq heures du matin ?

- On a mangé très tard, et on est restés discuter de mon boulot, de ton boulot, du château, de sa grand-mère...

- Et pourquoi est-ce que vous avez parlé de Madame ?

Le ton était à la fois inquisiteur et inquiet.

- Parce que Madame a beaucoup de mal à se souvenir de mon prénom.

- Et ça mérite une discussion ?

- Oui. Parce que Romain l'a reprise plusieurs fois, et qu'elle a dû épuiser toute la réserve de prénoms en « B » du calendrier. Autre chose ?

- Je vous ai ramené du café.

Ah ! Il était temps que je sorte. Je me mouillai un peu les cheveux, et m'enroulai une serviette autour de la taille, en laissant mon boxer bien en évidence au bord de la baignoire. Il y avait de la rupture d'anévrisme dans l'air !

Effectivement, à les voir tous les deux devant la porte de la cuisine, me contempler en train de me balader en serviette sous leurs yeux, il y avait de quoi rire. Je restai imperturbable. Je récupérai le Thermos au passage, en demandant innocemment :

- Un café, monsieur Jean ?

Il baragouina un truc bizarre, une sorte de « non-merci-j'ai-des-trucs-à-faire », et quitta la maison. En entendant le claquement de la porte d'entrée et les bruits de pas dans les graviers, je me tournai vers Baptiste :

- Doudou, tu veux bien aller refermer cette foutue porte pendant que je sers le café ?

Mon pauvre Doudou était visiblement au bord de l'attaque cardiaque. Il descendit sans un mot, et remonta rapidement. Il restait là, comme coincé dans l'encadrement de la porte, à me fixer. Quelque chose me dit que si je ne faisais rien, on allait droit au drame. Je pris donc l'initiative. Je me levai, et je le pris dans mes bras. Je l'attirai jusqu'à moi, et je l'embrassai.

- Tu as été parfait !

Il ne répondit pas, mais son regard était planté dans le mien. On aurait dit qu'il me voyait pour la première fois.. Je n'étais pas certain que ce soit une bonne chose :

- Doudou ?

- Putain, mais merde !

- ... ?

- Tu as été... C'est toi qui as été parfait ! Comment est-ce que tu as réussi... ?

- Ah ! Dès que j'ai entendu frapper, j'ai su qu'il allait se passer un truc. J'ai pris des fringues dans la pile, et je suis allé me foutre dans l'autre chambre.

- Et le coup du boxer, là...

- En fait, vu que j'avais embarqué ta chemise, et pas mon T-shirt... Et puis je me suis dit que tu apprécierais la vue, et que ça le ferait partir...

- Disons que ça l'a mis très mal à l'aise ! Mais bordel, je n'étais pas fier non plus !

- J'ai vu ça...

- C'est le coup de la serviette, qui l'a décidé à rentrer, je pense.

- Tant mieux !

Mes mains s'étaient égarées sur ses fesses. Je ne saurais dire quand ni comment elles avaient franchi la fine barrière de tissu du boxer de Baptiste, mais il est certain qu'il ne s'en plaignait pas vraiment. Il se débarrassa de ma serviette d'une main, et commença à caresser mon sexe dur, dans un mouvement de va-et-vient qui m'arracha instantanément des gémissements. Le désir, tel un fauve, commença à gronder en moi.

- Doudou, je ne vais pas tenir longtemps comme çà...

Il m'embrassa doucement, et me glissa dans l'oreille, d'un ton ironique :

- Je sais...

Il me repoussa sur le mur du couloir, et continua à me branler. Je décidai de profiter de la situation pour faire de même. Je fis glisser son boxer, et m'emparai de lui d'une main ferme. Il s'interrompit un court instant, comme surpris, puis il recommença à m'embrasser. Il calqua le rythme de ses mouvements sur les miens. À sa respiration je sus que lui non plus ne tiendrait pas bien longtemps. J'accélérai, inquiet d'entendre le fameux « stop » venir tout gâcher.

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