Chapitre 3 - 1/2
« Le vague à l'âme me traine et m'emporte. Alors entourée d'un espoir chocolaté, je sais que ma fin est proche. Qui saurait aimé une âme brisée d'une blessure à l'origine inconnue ? Qui saurait aimé la créature du désespoir qui ne parvient pas à accueillir le bonheur ? Sauras-tu m'aimer ? Moi je n'y arrive pas. »
paroles de Lettie
Le monde avait avancé, changé sans même l'attendre. Après tant de temps passé enfermé entre des murs humides et enchantés de malédictions aux origines complexes, cela paraissait normal. Pourtant, s'il avait toujours été capable de s'adapter à tous les environnements, qu'il était rapide à apprendre, il se sentait parfois perdu. Notamment avec ces angoisses nouvelles auxquelles les êtres vivants de chaque espèce souhaitaient se confronter, ces pensées de sociétés nouvelles ou même ce mélange des espèces. De son temps, les monstres ne se mélangeaient pas, ils avaient tendance à s'entretuer.
D'ailleurs, il n'avait jamais apprécier ces confrontations, ce qui l'avait poussé par le passé à construire un domaine de paix pour lui et d'autres créatures errantes, en quête d'un oasis calme où les conflits n'avaient pas leur place. Une ville de déchus en quelques sortes...
On l'en avait détrôné.
— Je pensais que tu aurais plus de mal avec les nouvelles technologies.
Il se tourna vers Jalil, se détachant de la télévision. Comme si cela allait lui poser problème. Ces technologies n'étaient qu'une évolution d'objets mais également des créations utiles pour ces peuples du présent.
Rien de bien difficile. Il trouvait même plus pratique ces voitures ou même les portables. Plus rapides.
— Bon, aurais-tu quelque chose de cette personne ?
La femme qu'il cherchait ne lui avait laissé qu'une image. S'il avait possédé son odeur, ce sorcier lui aurait été très peu utile.
— D'une beauté séduisante, elle vacillait entre l'appétit sexuel d'une licorne et la candeur pudique de sa proie vierge. Des seins ronds et généreux, comparable à ceux d'une mère, elle possédait un sourire capable d'apaiser les plus terribles des guerres et un regard pouvant en créer des combats sanglants empli de folie. Des hanches larges, des cuisses épaisses, un corps mince possédant les formes les plus parfaites que le monde ait connu. Un corps ouvrant au désir et à la culpabilité de vouloir souiller une telle splendeur.
Près d'une bougie, il lui suffit d'un souffle pour en allumer la mèche. La flamme ondulait, dansait devant lui. Sa conscience lui offrait l'image de son ange disparu sans même lui donner son nom. Un ange si cruel qui l'avait sauvé pour l'abandonner, lui arrachant son cœur pour le conserver dans ses mains si petites.
— De longs cheveux aux couleurs de la Lune, peut-être du Soleil, son regard vous saisit entre le bleu du ciel clair mais nuageux et l'azur d'une mer à l'eau fraiche venue abriter de la chaleur étouffante des saisons chaudes.
Il approcha son doigt de la flamme qui ne le brûla pas.
— Si je l'étreignais, elle serait capable de supporter mes frénésies et mes assauts sauvages. Si je l'aimais, elle m'accepterait dans mes défauts les plus détestables pour les transformer en des qualités insoupçonnées. Sa voix serait merveilleuse à écouter, ses mots deviendraient une ivresse intéressante. Ses larmes de tristesse engendreraient ma fureur, ses sourires feraient mon bonheur.
— Tu es vraiment épris de cette femme.
— Elle est mon trésor.
Jalil sembla comprendre l'importance de cette phrase qui, à l'oreille d'un ignorant, deviendrait banale.
— Ces descriptions poétiques ne vont pas m'aider. Aurais-tu une photo ? Je pourrai toujours chercher sur Internet.
— Non, je connais son apparence.
— La femme de lumière aux reflets d'ombre ? Laisse tomber, les Oiseaux de Joie ont une apparence différente en tant qu'humain.
Ce sorcier devenait de plus en plus inutile. Mais au moins il possédait l'argent nécessaire à la survie dans ce monde. Et il pouvait encore l'aider contre quelques nouveautés qu'il ne comprenait pas.
— J'ai peut-être une idée, proposa-t-il peu certain de ce qu'il allait avancer. Si elle est véritablement ton trésor, alors je connais peut-être un moyen de remonter la trace de cette femme. Mais cela va sans doute prendre un peu de temps.
— Que te faut-il ?
— Eh bien pour commencer, un druide.
***
Les noms défilaient sous mes yeux, offrant plus de questions que de réponses. Pour plus d'efficacité, j'avais décidé de créer une liste de ceux se trouvant avec moi au bar au moment où la banshee avait poussé son cri. Au total, vingt personnes.
Qui possédait un sang royal ?
— Tout va bien Hella ?
Mon regard se posa sur Lettie qui venait de poser une assiette devant moi. Quatre heures avait sonné, les pâtisseries apparaissaient sous mon nez.
— Je ne comprends pas...
Se plaindre des problèmes surnaturelles auprès d'une personne qui n'en connaissait pas l'existence devait paraitre franchement stupide. Jusqu'à ce que Lettie se mette à lire à haute voix le nom de chaque personne présente hier au moment fatidique où la Mort prenait rendez-vous pour dans quelques mois.
— Lettie, pourquoi est-ce que tu n'es pas surprise par ce qu'il s'est passé dans le bar hier ?
Après tout le grabuge, chacun était rentré chez soi. Le voyage avait été annulée. Pas de vacances cette année. Cela m'avait donné ma soirée pour relever l'identité de tous et de faire de grossières recherches sur leurs ancêtres. Soldé par un échec total.
Mais que Lettie ne m'ait posé aucune question alors qu'elle me ramenait chez moi, que rien chez elle ne trahissait une quelconque surprise ou incompréhension de la situation alors qu'elle était censée ne rien connaitre de ce monde... Cela me paraissait vraiment suspect.
— Nous possédons chacun nos croyances, expliqua alors la jeune femme avec un sourire étrange sur le visage. Je trouve fabuleux que tu ais trouvé des personnes partageant les tiennes.
Alors elle pensait que toute cette histoire n'était que le phénomène de nos pensées ? Autrement dit, elle devait nous prendre pour un groupe de tarés.
— J'ai croisé de nombreuses personnes prétendant être le Diable, Jésus ou des élus venus de galaxies lointaines que la présence d'une banshee et de royauté ne me surprennent pas, continuait-elle d'expliquer. Je ne veux pas te vexer, Hella. Même si je ne crois pas en votre monde me faisant penser à un RP bien élaboré, je le respecte et jamais je ne permettrais de le dénigrer.
C'était bien ça. Elle voyait les délires partagés d'un groupe, à la manière d'une secte ou d'un mouvement d'individus psychotiques.
Face à l'incompréhensible et à la différence, les gens réagissaient différemment. Et Lettie, ancienne psychologue, avait pris l'habitude de ne jamais la rejeter, de toujours l'accepter pour la comprendre, surement afin de pouvoir aider des patients instables à s'en sortir.
Etais-je un genre de patiente à ses yeux ?
— Tu es sur une mauvaise piste, déclara-t-elle, toujours le nez dans mes fiches enquêtant sur les membres de familles royales.
Elle se leva pour retourner dans une salle réservée au personnel, revenant avec un gros livre assez vieux. Un bouquin que je reconnu.
— N'est-ce pas mon livre ?
Elle leva son visage vers moi, surprise.
— Je ne pensais pas que tu le remarquerais. Je te l'ai emprunté la semaine passée.
Alors l'Oiseau de Joie aimait « emprunter » des choses sans demander son avis aux propriétaires ?
— Tu avais un peu bu, alors tu ne dois pas t'en souvenir. Mais tu m'as autorisé à prendre certains livres de ta collection.
Je possédais beaucoup de livres. Ou plutôt, Jalil en possédait beaucoup. Et nombre d'entre eux se trouvaient dans cette maison magnifique dont il m'avait fait don avant de partir à la recherche d'ingrédients pour un sort de résurrection.
En dehors d'un cadre universitaire, lire n'était pas vraiment mon dada.
Que j'ai autorisé Lettie à prendre ces livres ne me parut pas vraiment farfelu. Et la femme semblant incapable de mentir...
— Voilà, c'est ici ! s'exclama-t-elle en pointant un paragraphe dans ce livre. Les figures royales se transmettent leur titre de génération en génération, par les liens du sang.
Elle me résumait brièvement ce qu'elle avait lu sur plusieurs chapitres.
— Mais contrairement à ce que l'Histoire humaine va nous révéler, les royautés légitimes ne naissent pas des décisions d'un peuple ou d'un coup d'état. Elles naissent de la bénédiction divine. Autrement dit, les dieux choisissent les rois et pour les protéger, ils attribuent à ces familles la protection de la Banshee. Elle sera la protectrice de la famille, repoussant qui pourrait nuire à ce sang duquel coule un don divin, et pleurant à la venue de la mort. Elle ne repousse pas la mort, ne pouvant agir lorsque le destin se met en marche.
Elle referma le livre, devinant que je me fichais de lire sa source, puis pointa ma liste.
— Dans ton enquête, tu ne dois pas forcément chercher des personnes avec une descendance royale. Tu dois te focaliser sur les royautés légitimes, choisies par le ciel.
Hunter était un Alpha, Oanelle sa sœur. Les deux auraient pu être royaux, si le titre d'Alpha avait été un titre royal qui se transmettait par le sang. Or, n'importe quel loup pouvait posséder ce titre. Il suffisait de combattre un Alpha et de le tuer pour s'emparer de sa puissance.
Les Merwin, aussi présent à ce moment, étaient une énigme. Arnaud faisait partie du Convent. Un lien pouvait-il se former avec la royauté ?
Thérésa aussi possédait un titre. Elle était une Maîtresse vampire.
Et puis il y avait moi et ma tante. Ah, et Lettie.
Concernant les clients présents à ce moment-là, outre le fait que je m'en fichais, il était peu probable qu'ils aient été royaux. La Banshee avait visité mes pensées durant un temps pour me permettre de sauver une personne avant qu'elle n'annonce la tragédie impossible à détourner. Aussi, il était plus que probable qu'il ait s'agit de ces inconnus.
Mais concernant le reste de mon entourage... Je ne connaissais rien de leur passé. Ni même le mien. Mes origines m'étaient inconnues.
Ruth saurait sans doute me renseigner sur ces dernières.
Dans l'immédiat, une seule personne pouvait m'apporter des réponses.
— Lettie.
— Oui ?
— Quelle est ton histoire ?
Et la signification de ses sourires étranges m'explosa en pleine figure. Une expression furtive détruisit le visage du jolie Oiseau. La tristesse...
Son sourire joyeux revint bien vite dans un mensonge maquillé trop parfaitement à mon goût.
— Je n'ai rien d'intéressant à te raconter. Je suis simplement une personne s'improvisant pâtissière et tenant une boutique bien modeste.
Elle esquivait la question. Et comme pour mettre fin à la conversation, elle se leva pour retourner derrière le comptoir. Que cachait-elle ?
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