Un combat du regard s'initiait. Je n'en avais jamais perdu de toute ma vie, ce n'était pas demain la veille que cela arriverait. Peu importe qui se trouvait être mon adversaire, mon esprit restait tenace et ma volonté en acier. La Tantine ne se dressait pas au-dessus des autres sur ce point-ci.

Elle finit par pousser un sourire las, cédant assez facilement en fermant les yeux.

— Hella, ce que tu me demandes est interdit. Même moi je n'en possède pas.

— A d'autres, je suis certaine qu'une sorcière capable d'aller déterrer des cadavres de nourrisson à 3h du mat' pourrait sans honte enfreindre la loi pour cueillir une pauvre pâquerette.

— Coquelicot. Ce que tu me demandes est un coquelicot.

— C'est pareil.

— Profaner une tombe n'est pas la même chose que dérober une âme pour la détruire. Ces talismans utilisent l'âme d'une personne, Hella. Et dans ce cas, l'âme est consommée, consumée. L'énergie est plus puissante que tout. Les Oiseaux de Joie puisent en cette puissance, réagissant au pouvoir de la prière. Ce n'est pas sans raison.

Elle reposa sa tasse de thé, devenant bien plus sérieuse que d'ordinaire.

— J'ai des principes. Je ne suis pas une cueilleuse d'âmes.

— Mais...

— Mais, me coupa-t-elle alors. Mon petit doigt m'a dit que ton misérable amant à l'odeur poisseuse de sale cabot était en possession d'une protection semblable donnée par une créature presque aussi impressionnante que la Mort.

Mon cœur fit un bon dans ma poitrine à l'entente de cette nouvelle. Hunter avait-il mit la main sur un objet plus puissant que le trèfle ?

— Téléphone-lui si tu ne me crois pas.

Aussitôt, je sortis mon téléphone, ce qui agaça ma tante.

— Réponds Hunter, réponds putain..., suppliais-je d'un murmure alors que le beau loup prenait plus de temps que d'habitude à décrocher.

En temps normal, il lui fallait seulement le temps de découvrir mon nom affiché sur l'écran pour qu'il décroche. En sachant que je l'avais plaqué et qu'il devait être désespéré, bien sûr que je m'étais attendue à ce qu'il reste prêt de son portable à attendre sagement que je l'appelle.

Lorsqu'il finit par décrocher après m'avoir laissé patienter quelques secondes, mon cœur bondit dans ma poitrine.

— Pourquoi t'as mis autant de temps !

— « Je prenais une douche, Hella. Je ne suis un toutou qui rapplique lorsque tu le siffles. »

— Espèce de sale...

Depuis quand était-il du genre à me répondre aussi sèchement ?

— « Je plaisante Hella », l'entendais-je rire à l'autre bout du fil.

Comment pouvait-il être aussi joyeux en une telle situation...

— « Qu'est-ce que tu veux ? »

— Je m'attendais plutôt à ce que tu me supplies de revenir.

— « Tu as rompu le temps que le jour fatidique se passe. Je ne suis pas inquiet. Dans deux jours tu seras certainement de nouveau dans mes bras. »

— Vous pouvez passer les scènes mielleuses ? se plaignit ma tante en se servant de nouveau une tasse de thé.

Aigrie, la Tantine ne semblait vraiment pas apprécier les loups-garous. A moins qu'Hunter ait été la seule cible de son désintérêt ? Je préférais sortir de la maison pour continuer ma conversation avec lui, sachant qu'elle continuerait sans doute à être désagréable.

— Hunter, est-ce que tu as reçu un talisman ? Ma tante me dit que...

— « Je n'ai que le Trèfle. »

— Non, le talisman... Hum, une fleur. Un coquelicot.

Un silence suivi, aggravant juste mon état d'anxiété. Ma tante ne m'aurait jamais menti sur ça...

— « Le Docteur Grim m'a en effet donné une fleur de coquelicot. »

Posant ma main contre ma bouche, je me laissais tomber sur les marches de la maison. Le miroir m'avait affirmé que cette fleur sauverait Hunter, et Hunter la possédait. C'était mon espoir, ma seule chance. La légèreté s'emparait de mon cœur, le poids des angoisses s'envolant pour finalement me faire réaliser d'à quel point il avait été lourd.

Hunter allait vivre. Il avait vivre...

— « Hella, est-ce que tu pleures ? »

Je pleurais. Je pleurais de soulagement, pas de tristesse.

— Hunter, je veux te voir. J'ai besoin de te voir... Mais je... Je veux que tu restes loin de moi jusqu'au 2 novembre. Est-ce que tu peux le faire ?

— « Seulement si tu me promets de ne plus me demander de rompre avec toi, Hella. Même si c'est un mensonge, ça reste douloureux. »

— Je te promets, Hunter. Je te promets. Alors ne viens pas.

Nous raccrochions. Mon téléphone glissa jusqu'à mes lèvres. Je ne pouvais pas l'embrasser ni l'enlacer, mais il survivrait. Il survivrait...

— Et si nous préparions Halloween à la manière des sorcières ?

Ruth se tenait dans l'encadré de la porte, élégante et un sourire éclatant sur le visage. Halloween. Je voulais le passer pour oublier cette possibilité cruelle qu'à tout moment rien ne pourrait se passer comme prévu. Le Destin était cruel mais...

— J'emmerde le Destin.

— Je reconnais enfin ma nièce. Maintenant, allons préparer quelques navets en espérant que Jack-o-Lantern ne te désigne pas cette nuit comme cible de ses farces.

***

La coccinelle en main, Strix arrivait jusqu'à sa mère. Elle avait bien trop peu de temps, repousser encore ne ferait que ralentir ses plans. Sauver Hella, lui ouvrir les yeux...

Sa mère, au-dessus de ses maléfices, dansait étrangement au rythme d'une mélodie d'origine inconnue. Pas de source, pas d'instrument ou de portable pour créer et faire passer ces musiques d'ambiances pesantes. Non loin, des vautours guettaient.

Cette nuit, son sort fonctionnerait.

— J'ai trouvé, lui annonça-t-elle en s'approchant de la femme cherchant à tomber en transe.

La nécromancienne s'arrêta, tendant la main. Son regard neutre, son sourire amusé, elle allait enfin répondre à la quête de sa fille.

— Laisse faire maman.

Elle s'empara de l'objet durement obtenu.

S'approchant de son rituel composé de symboles et de nombreux ingrédients répartis comme seule sa sorcière de mère en connaissaient le secret, elle écrasa l'insecte précieux entre sa poigne. Il lui sembla voir une lueur étrange lorsque la poussière en sortit. La poudre tomba sur le rituel et le visage de sa mère changea du tout au tout.

Un regard de fou et un rire jouissif.

— Le lien a été affaiblie mais j'y arriverai ! Enfin, ma vengeance s'accomplie enfin !

Sa vengeance ?

— De quoi parles-tu ?

— De mon sort. Un goût de désespoir et de culpabilité en bouteille.

— Tu devais m'aider à sauver Hella.

— Cet avorton ? Sans façon. Si elle n'avait pas été la sorcière de cet enfoiré, je n'aurai pas pris la peine d'écouter tes pleurnicheries.

Froide, cruelle, sa mère redevenait ce qu'elle avait toujours été.

— Jalil est venu à moi pour me tromper et dérober un objet très précieux pour une nécromancienne. Tout ça pour ramener son amant à la vie.

Elle cracha au sol, énervée en évoquant le nom du Mage d'Hella.

— Je veux que cet homme souffre. Et tout en réfléchissant encore et encore, tu es venue à moi tout naturellement, me laissant imaginer enfin l'ébauche de ma vengeance. Hella, la fille unique de son amant, mais également la seule sorcière de son coven... Sa mort va vraiment l'anéantir. Et lorsque son amant reviendra à la vie, comment lui expliquer que sa seule fille est morte par sa faute ?

Elle avait commis la plus élémentaire des erreurs. Strix avait fait confiance à une nécromancienne. Et Hella était sur le point les fautes de sa propre bêtise.

— Attends... Je n'ai jamais voulu que...

— Tu ne voulais pas la mort de ses proches, en effet, déclara-t-elle en sortant un flacon de sa poche. J'ai simplement amplifié quelques émotions déjà bouillonnante. Je ne peux pas sortir d'ici, bien sûr que ma fille devait jouer les coursières pour moi sans poser de question. Ton amour presque obsessionnel pour cette fille a joué en ma faveur.

Elle s'avança pour embrasser sa fille comme n'importe quelle mère était censée être capable de le faire. Mais venant de cette nécromancienne, c'était comme la brûlure du péché. Strix souhaitait seulement s'effondrer.

— Tu m'as manipulé. Tu m'as trompé. Et à cause de toi...

— Ta propre faute, ta propre bêtise ma fille.

Sa faute.

— Qu'as-tu lancé sur Hella ?

— Sur Hella ? Ce n'est pas Hella que j'ai ensorcelé, tu ne te souviens pas ?

Les ingrédients... La plupart d'entre eux se liaient à Hunter.

Et Strix comprit. Elle était loin d'être un génie, mais beaucoup de sorts lui restaient en mémoire, des souvenirs de sa mère cherchant à faire d'elle sa descendante en nécromancie.

— Tu as infecté Hunter. Le mal ne se répandra pas d'Hella à Hunter, mais de Hunter à Hella pour la détruire.

Elle et les plus proches amis de ce loup.

Ça n'avait jamais été son but. Elle avait seulement souhaité retrouver Hella, être aussi proche d'elle qu'avant que cette dernière n'entre dans son univers de sorcellerie et de magie. Pas détruire la vie d'innocents, encore moins menacer celle d'Hella.

— Ce sort est vraiment très difficile à mettre en place. Mais maintenant que le trèfle ne protège plus le loup...

— Je ne te laisserai pas faire !

— Malheureusement, si ce loup romps le contact, cela signera sa propre mort. Hella sera malheureuse et Jalil regrettera son geste. Dans tous les cas, je suis gagnante.

Mais tandis que le désespoir envahissait son esprit, le souffle étrange autour du rituel changea, inquiétant la nécromancienne à son plus grand bonheur.

— Tu as toi aussi commis la plus élémentaire des erreurs. Tu as sous-estimé Hella Doux.