Chapitre 19 - 2/2


« Que la mort est belle ! », s'esclaffa-t-elle, moqueuse devant ce tas de charpie. Devant ces corps vides de tout esprit, putrides à souhait.

Pourquoi tant de mépris ? Il tendait sa main vers ce cadavre. Le corps nourrissait la terre et ses insectes insatiables. Mais qui nourrissait l'âme éprise, l'esprit abandonné de la vie ? Qui se souciait encore de celle ayant aimé la vie sans jamais rien médire de la mort ? Qui se souvenait des morts et de leur chagrin derrière le voile ? Qui se souciait de leur solitude lorsque la fin ne les emmenait pas ?

Bambino était vieux, et la mort viendrait le libérer de ce monde. Il ne l'accepterait pas.

L'amour n'avait rien d'éternel. Que se taise l'ignorant naïf dont les croyance ne répandaient que la douleur dans les cœurs alentours ! Que se taise l'idiot ne comprenant rien de la souffrance, seulement ce qu'il en avait entendu sans jamais rien voir ni vivre ! La Mort savait parce que La Mort était loin d'être idiote. La Mort savait parce que la douleur ne la quittait pas.

La Mort savait, parce que La Mort dans sa laideur ne serait plus jamais qu'un tas de chair en décomposition, un squelette dont on oublie le nom. Une créature qui effraie, aimé seulement de plus désespérés.

« Que la mort est belle », murmura une voix appartenant encore à la vie. La Mort se tourna, un espoir enserrant dangereusement son cœur de passion. Un regard l'épiait dans l'ombre. L'Enfer remontait de la terre, son ciel s'effondrait pour lui faire place. Deux yeux aussi froid que son cœur. Une femme sortait de sa cachette, surgissant de l'ombre aussi naturellement qu'un souffle d'air emplirait les poumons d'un être vivant.

Hayja connaissait aussi l'abandon. Elle connaissait la solitude. Mais la douleur avait disparu depuis bien longtemps. Et tout en s'approchant du cadavre, Hayja tendit sa main pour murmurer de nouveau ces mots faisant rougir la Mort.

— Que la Mort est belle.

Que la mort était belle, que la vie était cruelle...

Pour Hayja, la Mort laissa mourir son nom pour retrouver une identité bien plus ancienne. Le temps des Moissons revenait et faucille en main, elle était prête à vivre son destin.

Hayja aimait les morts, et la Mort aima Hayja.


Deux à pleurer comme des idiotes. Mais aucune ne versait de véritables larmes. Lettie dans mes bras, moi dans les bras de Lettie, la dispute ne semblait avoir jamais existé. D'ailleurs, on en oublierait presque la raison de la colère de Lettie.

En venant ce matin, je m'étais attendue à devoir supplier à genoux comme un ex tentant de reconquérir l'amour perdu de son amante. Le bouquet de chocolat posé sur la table du salon en était la preuve la plus évidente. D'après les tutos sur youtube, les séries et autres novelas, pour se réconcilier il fallait avouer ses fautes, s'auto-humilier en se dénigrant et offrir des fleurs. Le speech expliquant à quel point j'étais une merde inutile avait été préparée, ainsi que mes supplications en bonne et due forme et les fleurs, remplacées par des chocolats. Lettie aimait vraiment le chocolat.

Mais à peine avais-je eu le temps de frapper à la porte que Lettie, en me voyant, avait éclaté de sanglot, s'excusant à chaudes larmes. Comme un instinct ou une évidence, nous nous étions approchées l'une de l'autre pour nous étreindre sans espoir d'un jour nous détacher. Notre première dispute, et tout se terminait de manière naturelle.

Lettie empestait l'alcool et je n'avais pas rencontré de douche depuis le jour où elle était partie, la colère froide sur le visage et des mots tranchants de vengeance dans sa bouche. Et aucune ne s'en plaignait.

— Besoin d'un remontant spécial gueule de bois ?

— J'ai une douche pour toi, renchérit-elle.

De leur côté, le frère et l'amoureux transi observaient en silence les réconciliations. Jord n'aimait pas Lucifer, Lucifer n'aimait pas Jord. Même un enfant de trois ans aurait été capable de s'en rendre compte.

— Je vais faire un tour dans mon Mani pour te ramener mon remède de sorcière, je prends une douche et on part en vacances.

Des vacances avec Lettie seraient amusantes. Elle ne voudrait absolument rien faire mais accepterait de toujours m'accompagner. Et en insistant suffisamment, elle essaierait de s'amuser avec moi dans les plus embarrassantes aventures.

Mais Lettie semblait bien moins enthousiaste que moi.

— Non, Hella. Tu ne peux pas fuir.

« Oh, ça devient intéressant », sembla murmurer Jord à Lucifer.

Ne comprenant pas ce qu'elle insinuait, je me contentais d'un silence pour l'inciter à développer.

— Un homme de sang royal. Je t'ai laissé un sous-entendu très fort en te quittant. Je connais l'identité de la personne désignée par la Banshee. Et toi aussi maintenant.

— Là, elle amène la personne à se questionner, une exposition des faits, expliquait Jord à son nouvel ennemi.

— Je peux imaginer que ce soit douloureux au point de préférer fermer les yeux mais tu ne pourras ni fuir ni retarder l'inévitable.

— Mise au pied du mur. Elle lui fait croire qu'il n'y a pas d'autre solution.

— Le mioche, ferme-là, se sentit-elle obligée d'intervenir pour que se taise son commentateur de frère.

Ce dernier haussa des épaules, détournant simplement le regard d'un air suffisant.

— Hella, cette personne...

— Tais-toi, ne dis rien Lettie.

C'était pourtant inévitable...

— Je vais le dire tout haut Hella, parce que je sais que tu seras capable de l'encaisser.

Mon regard rencontra celui de mon amie. Je ne voulais pas l'entendre, parce que je m'efforçais de ne pas comprendre. Pourquoi voulait-elle m'obliger à y faire face ?

— Hunter Macadal.


***


Hella ne l'avait pas recontacté. Il avait tenté de la joindre, s'était efforcé de ne pas partir à sa chasse pour la retrouver. Ça devenait difficile. Et ce qui l'agaçait davantage était ce sentiment disparaissant de son loup. La bête en lui hésitait.

Depuis l'arrivée d'Agnès, tout était sans dessus-dessous.

— Tu es en colère, devina la femme venue d'un autre temps.

— Par ta faute.

— Tu tires la gueule, ce n'est pas de ma faute.

— Pourquoi, Agnès ?

Pourquoi tout ce temps, pourquoi décider de revenir maintenant ? Alors qu'il venait d'oublier auprès d'une autre, qu'il avait commencé à vivre et à construire quelque chose avec Hella, sa petite sorcière hargneuse. Pourquoi ?

Cela faisait des siècles qu'elle était en vie, des siècles qu'elle mentait. Tout ça pour apparaitre lorsqu'enfin il était heureux.

Elle foutait toute sa vie en l'air par fierté sans doute, par jalousie. S'il n'avait pas rencontré Hella, serait-elle restée là où elle se trouvait ? Loin de son regard ?

La jolie blonde l'enlaça de nouveau par les épaules. Il était assis, cela ne la dérangeait pas de rester debout pour se courber près de lui.

— Parce que ta mère n'a pas tenu sa promesse.

Il s'écarta brusquement de la sorcière, se levant presque soudainement en réaction à ces paroles énigmatiques. Que venait faire sa mère dans cette histoire ? Un corbeau frappa à la fenêtre et d'un mouvement de la main, Agnès lui ouvrit par magie. L'oiseau de malheur se posa sur son épaule, croassant un message.

— En parlant du loup, murmura-t-elle en se recoiffant.

Elle se tourna vers la porte d'entrée... et celle-ci s'ouvrit. Une femme furieuse entrait, prête à déchiqueter Agnès tandis que son regard de louve se posait sur elle.

— Toi, gronda-t-elle alors. Nous avions un accord.

— En effet. Vous deviez l'empêcher d'aimer une autre sorcière et de s'imprégner à une autre. En échange, je promettais de rester en dehors de sa vie.

Sa mère se mit à déverser un torrent d'insulte et de menace qui indifférèrent totalement la sorcière. Agnès avait toujours été ainsi, indifférente à tout au point où il lui était parfois arrivé de se demander si elle l'aimait vraiment.

— Madame, ne devriez-vous pas être plus inquiète pour son futur proche ? Je suis la dernière des menaces pour votre fils en ce moment.

Un silence mystérieux s'en suivi, mais Hunter était loin d'être idiot.

— C'est à propos du sang de mon père, n'est-ce pas ?

Les jumeaux choisirent ce moment pour débarquer dans la pièce.

— Lycaon était maudit, dénia sa mère.

— Mais un roi, mère. Un roi maudit, mais un roi tout de même.

Hunter s'en était douté dès le premier jour, même s'il avait refusé de le croire. Pourtant cette banshee... Elle avait toujours veillé sur sa famille. Il la connaissait déjà. Même après tout ce temps d'existence, il éprouvait toujours des difficultés à reconnaitre le déni.

— Je vous avais pourtant prévenu, reprit Agnès. Cette sorcière qui causerait la perte de votre fils ne sera pas moi.

— N'accuse pas Hella ! menaça l'Alpha à fleur de peau.

La mort, il ne la craignait pas. Si son destin se trouvait dans ses bras, il l'accepterait. L'immortalité ne préservait pas de la peur de mourir mais pour Hunter, c'était bien le cas. Il avait vu et vécu suffisamment pour ne rien regretter, à l'exception d'une chose. Il aurait voulu continuer son immortelle de vie au côté de sa sorcière.

Ce ne serait pas possible.

Et tandis que sa mère établissait le plan A et B, qu'Agnès réfléchissait un moyen de détruire le mal à son origine, Hunter s'inquiétait simplement de comment vivre ses derniers jours. Hella voudrait également trouver un moyen de le sauver...

Une main se posa contre son bras. Oanelle lui offrait un regard compréhensif.

—Ce n'est pas un adieu, n'est-ce pas ?

Ça ne le serait jamais. Même la mort ne pouvait le séparer de ceux qu'il aimait.

Les jumeaux, côte à côte, se tenaient de chaque côté, l'entourant et se plaçant au plus proche de leur frère ainé.

Comment réagirait Hella ? Elle était encore en colère, peut-être qu'elle l'étranglerait elle-même. L'idée l'amusa d'un sourire timide.

Il ne regretterait rien...

— Il y a encore le collier, désigna soudain Agnès.

Le trèfle. Il le portait autour du cou. Tant qu'il le portait, même les dieux ne pourraient rien contre lui. mais ce serait temporaire. Lorsqu'une Banshee criait, la Mort venait tôt ou tard réclamer son dû. On ne pouvait tromper le Destin.

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