Chapitre 16 - 2/2


Une pétasse que je décarcasse, commençais-je à chantonner.

Le feu de cheminée avait de quoi réchauffer les cœurs. Mais contre les douleurs de l'amour, il n'y avait qu'un remède : les pâtisseries de mamie Annette. Dans la cuisine, ma grand-mère semblait s'occuper de notre goûter.

Une salope qui devient cyclope.

Lettie, intéressée davantage par sa conversation avec la femme vampire idolâtrée par Thérésa, n'écoutait pas ma jolie petite chanson créée à partir du rythme de « un, deux, trois, j'irai dans les bois ».

Voilà la pétasse qui trépasse...

— Hella, laisse cette poupée tranquille et prend plutôt une part de gâteau, m'interrompit ma grand-mère en revenant de derrière ses fourneaux. Tu ne feras pas de mal à cette sorcière avec une poupée de chiffon sous aucune emprise magique.

Ne me faisant pas prier, je me jetais sur le gâteau de ma mamie. Elle seule avait le secret pour réchauffer les cœurs plus efficacement que son médiocre feu de cheminée, allumée alors que l'automne apparaissait précipitamment dans les parages.

La petite poupée vaudou tomba au sol et ma grand-mère la ramassa pour lui faire retrouver sa place au-dessus de la cheminée. La sorcellerie noire étant interdit et n'étant pas nécromancienne, je ne pourrai pas tuer l'autre blondasse par ce biais. Mais une hache bien aiguisée ou un bazooka pourrait tout aussi bien faire l'affaire. Décapiter la sorcière ou faire de son corps de la bouillie. Peu importe l'espèce, ça restait toujours le plus efficace.

« Si tu rencontres un problème, détruit-le et ne néglige pas son annihilation jusqu'à ses racines », telles avaient été les sages paroles de feu ma mère. Que son âme pourrisse pour l'éternité en Enfer.

Lettie posa finalement son téléphone.

— Tu passes trop de temps sur ton portable, sermonnais-je à la manière d'un parent ennuyant.

Le gâteau en bouche, elle n'osa pas croquer dedans, se tournant vers moi pour m'évaluer de son regard habituel. Deux yeux naïfs et innocents cachant un art de l'observation affûté mais discret dans la révélation de ses trouvailles.

Elle mangea avant de m'accorder un sourire.

— Je ne te remplacerais jamais, Hella.

Mon cœur fit un bond dans ma poitrine et, bougonneuse, je reportais mon attention sur les sucreries.

— Tu passes beaucoup de temps avec tes nouveaux amis.

S'installant à mes côtés, elle posa sa tête contre mon épaule.

— Devrait-on se marier pour que je puisse te prouver ma fidélité ?

— Tu fais de l'humour ? m'étonnais-je de sa facilité de plus en plus habile à l'ironie.

— Je suis très amusante.

— Lettie, combien de tonne de chocolat as-tu mangé ces derniers temps ?

Elle se dressa comme un piqué avant d'arborer une esquisse gênée.

— Suffisamment pour avoir dû me ruiner d'un cinquième stock cette semaine.

La nouvelle me fit l'effet d'une claque. Evidemment qu'elle était aussi jouette ! Et s'en était d'autant plus inquiétant que cette révélation n'avait rien de rassurant concernant un Oiseau de Joie. Elle s'empiffrait de plus en plus, la malédiction due à sa nature gagnait du terrain bien trop vite. Et on se rapprochait dangereusement d'Halloween...

— Je ne suis pas de famille royale, lut-elle dans mes pensées. C'est juste une crise, ça va passer.

— Je suis désolée Lettie.

— Pourquoi ?

Soudain, elle écarquilla en grand les yeux, puis eu un regard pour son gâteau.

— Hella, tu n'as pas fait ça, n'est-ce pas ?

— Je n'ai pas le choix.

Et soudain, Lettie vacilla pour tomber. Elle avait perdu connaissance.

Aussitôt, ma grand-mère tira le tapis du salon, révélant un cercle et une série de symboles fraichement dessiné. Elle m'aida ensuite à disposer Lettie en son centre.

— Comment as-tu fait pour que la potion de pénétration n'agisse pas sur moi ? m'étonnais-je tout de même en m'apercevant que j'avais également mangé du gâteau.

— Hella, lorsque tu m'as demandé ce sort, j'ai compris ton intention. Ce genre de chose est bien trop dangereuse pour ton amie. Alors j'ai réalisé une autre concoction. Le lien des rêves.

— Le lien des... Attends, qu'est-ce que c'est que cette embrouille ?

Déjà, ma vue se troublait.

— Tu vas entrer dans l'esprit de ton amie, mais en contrepartie elle pourra entrer dans les tiens.

Mais avant de pouvoir contester ou insulter ma grand-mère pour son mensonge éhonté, je tombais aux côtés de Lettie, dans le cercle. Je n'avais souhaité que connaitre le passé de mon Oiseau pour pouvoir la sauver. Pas lui permettre d'avoir une raison de me prendre en pitié lorsqu'elle visionnerait le mien !


***


Ma tante me l'avait pourtant expliqué. Pénétrer l'esprit de quelqu'un, ce n'était pas de la tarte.

Je m'étais bien attendue à quelques difficultés, des obstacles voire des incompréhensions. Après tout, l'esprit pouvait être distordu, même si dans celui d'une ancienne psy on se serait attendu à de l'ordre. Une psy avec un esprit chaotique aurait été bien mal vu, n'est-ce pas ?

On ne pouvait pas dire que l'esprit de Lettie était détraquée. Pas de licornes robots défendant la galaxie chocolatée des redoutables cinq fruits et légumes par jour. Pas plus qu'une grande librairie venue de La Belle et la Bête. Il n'y avait rien. Et part rien, j'entendais vraiment rien.

Le vide total.

Pas de lumière, pas de ténèbre. Pas de son, pas de sensation de chaleur et de froid glacial. Pas de vent, pas d'émotion. Du vide purement et simplement.

Et au loin, une télévision. Je m'en approchais. L'appareil était un vieux modèle que même ma grand-mère ne possédait pas. La neige grésillait sur l'écran, aucun moyen pour changer la chaine. Je voulu l'éteindre mais rien à faire. Les boutons étaient autant utile qu'un billet de dix euros déchiré.

Puis la télévision changea, m'obligeant à reculer tandis qu'elle prenait forme pour devenir un écran plat tenu par un mur invisible et inexistant. Elle grésillait toujours autant.

Dans l'espoir de trouver mes réponses ailleurs, je me détournais, faisant alors face à une personne recroquevillée sur elle-même. Lettie, mince et fine. Bien plus que je ne l'étais, rendant la chose inquiétante. Et un regard absent...

Etait-ce une sorte de souvenir ?

— Lettie, où sommes-nous ?

Elle leva ses yeux vers moi, m'accordant un grand sourire.

— Oh mais c'est Hella.

Puis elle regarda de nouveau son écran.

— Qui es-tu ? gronda une voix dans son dos.

Un garçon. Plus jeune que Lettie, ses traits ressemblaient étonnamment à ceux de mon amie. Des cheveux châtains et un regard d'acier, il avait la carrure d'un homme connaissant les salles de sport et une fureur dans le regard...

Dans sa main, il tenait un sac. Des chocolats apparemment.

— Je te retourne la question. Que fais-tu dans la tête de mon amie ?

— Je suis son frère, connasse. C'est à toi de dégager d'ici !

— Tu mens, elle ne m'a jamais parlé d'un frère.

— Alors c'est que tu n'es peut-être son amie au final.

Il s'approcha de Lettie, me laissant avec une expression surprise et... déchirée. Pourquoi Lettie m'aurait-elle caché l'existence d'un frère ?

— Hé, la grosse, l'appela-t-il vulgairement avant de lui donner du chocolat.

— Oh, le mioche, accueillit-elle avec un grand sourire avant de se tourner de nouveau vers la télé, surprenant l'homme dont le chocolat venait d'être refusé.

Il posa son offrande avant de se tourner vers moi.

— Elle a refusé mon chocolat. Pourquoi ?

— Parce qu'il est dégueu ?

— Ce chocolat nourrit son âme, pauv' conne ! Quelque chose s'est passé ! Je la maintiens en vie grâce à ces chocolats de l'âme.

— Une banshee.

Il fronça des sourcils, ne semblant pas comprendre.

— Une banshee a crié il y a quelques temps et je pense qu'elle désignait Lettie.

— Les banshees, c'est les meufs qui crient la mort de quelqu'un, c'est ça ?

— Elles crient la mort de membres royaux.

— On est des bouseux de la campagne. Si j'étais aussi blindé, ma sœur ne vivrait pas seule en me faisant croire que tout va bien. Elle serait internée par mes soins dans un centre privé pour monstres ultra riches payant également pour la discrétion.

— Apparemment, on parle de sang royal pour des familles désignées ainsi par les dieux.

— J'ai la gueule d'un intello ? Explique-toi avec des mots simples, putain.

— Ouais bah j'ai pas plus compris que toi, OK ? C'est ta sœur l'intello, c'est elle qui a toujours les mots pour expliquer correctement les choses.

Il acquiesça de la tête, se tournant un instant vers Lettie avant de me redonner toute son attention.

— Pourquoi t'es là du coup ?

— Pour fouiller dans son passé, avouais-je sans hésiter, persuadée qu'en tant que frère capable de venir souvent pour nourrir l'âme de sa sœur afin de la sauver, il saurait comprendre et m'aider dans mon œuvre. Elle ne veut pas me donner ses origines, ni me laisser enquêter pour savoir si oui ou non elle est de sang royal.

— Son passé...

Il hésita un instant.

— Ce n'est pas pour les nanas dans ton genre qui ont eu la belle vie depuis la naissance.

— Crois-moi, ce n'est pas ce que je suis. Alors, tu vas m'aider ou pas ?

Après un soupir lourd de sens, il haussa des épaules.

— Si ma sœur est en danger, je vais t'aider. Mais si je découvre que t'as tenté de me baiser...

— Crois-moi, si c'était le cas tu prendrais ton pied au lieu de me menacer de mort.

— La croyance ne réconforte que les fantasmes et les espoirs. Et l'espoir c'est pour les faibles. Alors outre tes putains de métaphore, si tu tentes de me baiser, je te ferai regretter de ne pas être en Enfer en ce moment-même.

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