Il continuait de me fixer du regard. De temps à autre, sa bouche s'ouvrait, prête à poser ses questions. Mais ses sourcils se fronçaient à nouveau et il se replongeait dans ses pensées, ses réflexions. Il se remit à entrouvrirent les lèvres, allant jusqu'à émettre un petit son semblable à un « Mais... » et lever la main en interrogation.

— Hunter, j'aime beaucoup les poissons, surtout parce que j'ai de la peine pour eux en me disant que beaucoup devront vivre toute leur existence dans un aquarium à regarder chaque jour des têtes de cons en les observant tenter de les faire bouger en tapotant sur le plexiglas. Mais si tu pouvais arrêter d'imiter la carpe et te décider à me poser tes questions ou bien choisir de te taire à jamais, je t'en serai reconnaissante.

— Hella, est-ce que tu réalises que ce que tu prétends n'a aucun sens ? Selon toi, le Roi des Soverains, autrement dit le Roi du monde des créatures magiques et du surnaturel, aurait décidé de t'épargner la vie et même de te laisser partir parce que tu es la petite-fille de l'un des Soverains.

— En vérité, il est mon arrière-arrière...

— Peu importe. A la rigueur, imaginons que tu n'es pas en train d'inventer une histoire pour me cacher la vérité. Après tout, tu as juste attaqué l'une de leur guerrière. Mais Lettie a détraqué l'esprit d'une Soveraine. Pourquoi accepté de la laisser en vie ?

— Alors, très bonne question. Non, vraiment, c'est une excellente question, affirmais-je avant de me tourner vers Lettie. Lettie, pourquoi penses-tu que les Soverains ne t'ont pas tué ?

La jeune femme avait encore la cuillère à soupe dans la bouche, son gros pot de pâte à tartiner dans les mains. Le couvercle était tenu par Lucifer, qui paraissait avoir accepté de laisser une distance de deux mètres entre lui et elle.

— Parce que tuer c'est mal ? proposa-t-elle, surement prise au dépourvu alors qu'elle s'empiffrait de chocolat sous toutes ses formes.

— La voix de la sagesse a parlé. Les Soverains ne l'ont pas tué parce que tuer c'est mal.

Hunter bégaya un instant avant de se sortir de la confusion.

— Le bien et le mal, tout ça leur importe peu. D'ailleurs, tu rencontreras peu de personne dans notre monde qui accorde de l'importance à ce genre de connerie.

— Si ! intervint de nouveau Lettie en levant la maison avec un grand sourire entouré de chocolat. En fait, de nombreuses espèces de votre monde ont leurs croyances et leurs règles de vie. Et en sachant qu'il y a une forte probabilité pour que les dieux existent vraiment selon certaines études menées par des kappas il y a quelques temps, je dirais qu'il y a de forte chance pour que de nombreuses créatures surnaturelles accordent de l'importance à la notion manichéenne classant des actions comme étant soit bonne soit mauvaise. Autrement dit, le Bien et le Mal.

— Lettie, quand est-ce que tu as trouvé le temps de fouiller dans les livres de ma bibliothèque ?

— Tu m'as donné un double de tes clés. Alors pendant que tu étais en vacances, il est possible que j'ai emprunté certaines choses.

— Hella ! s'énerva alors Hunter. Revenons à ce qui importe vraiment. Pourquoi la Soveraineté t'a laissé partir et pourquoi Lettie n'est pas condamnée ?

Lucifer se décida enfin à détacher son regard de Lettie, nous accordant un peu de son temps et de son savoir de vieux dragon rabougri et ridé.

— Je connais Mikail. Lettie ne présente aucune menace, en comparaison à toi, la sorcière. Qu'une Soveraine ait été plongée dans la folie lui importe peu, surtout si cette dernière a cherché le conflit.

— En quoi je suis une menace ?

Il était évident que j'étais une sorcière à l'avenir s'annonçant glorieux. Mais je me souvenais parfaitement de ce moment très désagréable entre moi et ce Roi arrogant, puissant. Son aura, sa force, ou ses phéromones. Peu importe ce qu'il avait utilisé, il était parvenu à me paralyser sans aucun effort. Je n'étais certainement pas une menace pour lui.

— Les Soverains ne donnent pas de bâtards. Les hybrides n'existent pas. Soit tu nais Soverains soit tu nais autrement. Mais ceux qui possèdent un ancêtre Soverain naissent parfois avec un petit plus. Un charisme naturelle, une puissance supérieure à celle de leur espèce, une apparence enchanteresse... Tout autant de possibilité que de réalité enveloppant les capacités de la Soveraineté. Mais toi, tu es une sorcière. Et une sorcière est une menace supplémentaire parce que vous êtes vraiment... agaçantes.

Il semblait faire des efforts surhumains pour ne pas insulter mon espèce, ce que je trouvais particulièrement amusant. D'autant que cela ne signifiait pas que je lui donnerai le feu vert pour profiter de la naïveté de mon ange dépressif psychologue. Elle et ses pâtisseries ne seraient jamais abusés par un dragon portant le nom de l'une des pires ordures que de nombreux bouquins tenaient pour responsable de pas mal d'atrocités dans le monde. Et puisque les légendes avaient bien souvent une réalité fondée...

— Donc une sorcière, descendante de la Soveraineté et mettant K.O l'un de leur meilleur exécuteur... Tout va contre toi, sorcière.

***

Tout était prêt. Ou plutôt, tous les ingrédients étaient réunis. Restait à savoir si sa mère remplirait son rôle convenablement. Elle avait la fâcheuse tendance de tout faire foirer au dernier moment ou bien de changer le plan initial pour ne suivre que ses propres projets. Mais Strix connaissait tellement de défauts sur sa mère que le plus étonnant aurait été qu'elle ait des qualités.

Peut-être qu'être une mère attentionnée souhaitant aider sa fille en ferait partie ?

Dans l'immédiat, ses désirs de sauver Hella de l'influence des loups devraient attendre parce qu'un autre problème requérait son attention en tant que Sorcelière. Les sorciers de la liste bougeaient, et le phénomène ne se limitait pas à deux ou trois noms.

Le nom de Jalil était revenu souvent. Notamment parce que ce dernier faisait de nouveau surface. D'après les espions, son but était une menace pour le monde de la sorcellerie. Ce maudit Mage souhaitait ramener à la vie son amant. Le geste aurait pu être d'un romantisme sans conséquence s'il n'avait pas s'agit de Cassian Desondes. Or, aux dernières nouvelles, l'homme décédé était très bien six pieds sous terre. Sorcier puissant, non concerné par les limites naturelles de la sorcellerie, Cassian avait possédé une identité très complexe. Pas de dieu, ayant le règne animal au complet pour possible familier et chaque élément pour alliés, il était presque étonnant que sa carte de tarot ait pu être tiré. La carte de la Lune. Le Coven de l'œil, celui qui l'avait accueilli, avait tenté de caché son existence, mais récemment les secrets semblaient remonter à la surface. Et avec les faits et gestes surveillés de Jalil, le Convent prenait conscience de nombreuses choses.

Notamment que Hella Doux avait été une toute autre personne. La fille de ce Cassian, jusqu'alors passé sous les radars. La méfiance et la surveillance autour d'Hell allait se resserrer. Sait-on jamais, elle pouvait être aussi « prometteuse » et donc aussi dangereuse pour le Convent que son père ? Elle possédait déjà le talent d'emmerdeuse de sa mère...

— Pourquoi tous ces sorciers bougent-ils en même temps au lieu de rester tranquillement dans leur coin ?

Bonne question du Mage français Hélios.

— Le premier Siège nous demande de suivre les mouvements de ces derniers.

— Comment ? Mais il ne s'agit pas de notre travail ! se plaignit l'un des sorciers, révélant ce que chacun pensait tout bas.

L'espionnage et la surveillance revenait au 5ème Siège, autrement dit Anis Charmille et ses sbires, chargés de l'espionnage et du renseignement. Eux, au 4ème Siège, se chargeait de la Justice et des conflits. Le corps armée du Convent.

— Je comprend votre réticence mais les ordres sont clairs. Nous avons pour instructions d'exécuter tout écart, donc nous devons nous charger nous-même de faire du babysitting.

Hélios assignait des rôles à différent sorcier avant de finir avec Strix, qui pouvait aisément deviner la personne qui lui serait assigné.

— Agnès de Chantraine, lui annonça Hélios. Tu es proche de Hella, donc ce sera plus facile pour toi de te fondre dans le décor.

Evidemment.

Alors que chacun repartait à ses occupations, Strix eu un sourire vraiment amusé. Peut-être que finalement Hunter n'aurait pas besoin de son aide pour tout foutre en l'air ?