80. Catriona
Deux jours plus tard, Catriona décida d'enfin rejoindre le domaine de Loveday Hall. Elle était soumise encore à quelques vertiges mais dans l'ensemble, son état s'était considérablement amélioré. Sur la route, Evrard et elle chevauchaient côte à côté le long du fleuve.
— Impatiente ? s'enquit le Chevalier.
— Oui, sourit-elle. Je me réjouis de vous faire découvrir la maison dans laquelle j'ai grandis.
— J'ai hâte de la découvrir.
Quelques instants plus tard, la silhouette du château se découpa entre terre et ciel. Catriona lança son cheval au galop et ne s'arrêta que lorsqu'elle fût devant les deux statues de cerfs qui montaient la garde à l'entrée du domaine de son défunt père. Au loin, la face sud du château des Loveday était illuminée par les éclaircies en cet après-midi mitigé. Les deux compagnons avaient longuement hésité, mais l'envie de la jeune femme de retrouver ces lieux avait finalement pris le dessus sur la météo douteuse.
La jeune noble inspira profondément.
— Tout va bien ? demanda le Chevalier, la regardant avec doute.
— Oui... Jamais j'aurais cru être ici en cet instant.
Catriona donna un petit coup de talon pour faire avancer son cheval, son amant à sa suite.
— Voyez-vous cet arbre au loin, Evrard ?
— Je le vois.
— C'est sous celui-ci que je préférais me prélasser plutôt que d'étudier mes leçons avec Lady Byron.
Catriona se souvint de la douceur de l'herbe fraiche dans laquelle elle s'allongeait, des senteurs de la bruyère, du piaillements des oiseaux perchés dans les branches du frêne. Un sourire naquit sur ses lèvres alors qu'ils empruntaient la charrière qui menait à l'entrée principale. Celle-ci était surplombée du symbole de la famille Loveday, enjolivé par des ornements gravés dans la pierre blanche. Quatre serviteurs, deux hommes et deux femmes, attendaient leur venue sur le perron.
La plus jeune, des cheveux blonds dépassant de sa coiffe, vint les accueillir.
— Lady Loveday, salua-t-elle avec une profonde révérence. Je vous souhaite un bon retour sur vos terres.
— Je vous remercie, sourit-elle.
Les trois autres l'imitèrent et l'un d'eux, avec d'épais cheveux roux, l'aida à descendre de sa monture tandis que l'autre, à la barbe blonde et volumineuse, prit les rênes de Dîleas pour permettre à Evrard de descendre.
Catriona remarqua que la deuxième servante contemplait Evrard d'un air béat, qui lui déplu particulièrement.
— Lord Byron nous a averti de votre arrivée, annonça le serviteur aux cheveux roux. J'espère que vous avez fait bon voyage.
Evrard se tenait un peu en retrait, le regard plissé comme s'il cherchait à comprendre la conversation qui était en train de se dérouler.
— Je vous remercie pour votre accueil. Je vous présente mon futur époux, Evrard De Néel, ajouta-t-elle en l'attirant vers elle et en glissant son bras sous le sien.
Décidée, Catriona l'entraîna derrière elle et franchit le seuil avec le sentiment d'émotion teinté de mélancolie. Elle était enfin de retour à la maison. Jamais un lieu ne lui avait autant manqué. Le long couloir parqueté et au murs couvert de boiserie sombre s'étendaient devant elle. Précédé par les serviteurs, elle bifurqua sur la gauche et atteignit une pièce haute de plafond baignée par la lumière qui filtraient à travers les grandes fenêtres. Elle jeta un coup d'œil à Evrard qui observait les boiseries finement sculptées et les confortables fauteuils d'un air interloqué et appréciateur. Il leva les yeux vers le portrait accroché au-dessus de la cheminée.
— Est-ce votre père ? demanda-t-il, sans quitter des yeux le portrait de l'homme richement habillé.
Catriona s'approcha à son tour et croisa le regard serein et assuré de Seumas Loveday.
— Oui, confirma-t-elle.
— J'ai l'air plus vieux que lui, fit-il remarquer avec une note inquiète dans la voix.
Elle passa son bras autour du sien pour le rassurer.
— Ce portrait a été fait bien avant sa mort, expliqua-t-elle.
Elle leva les yeux vers le balcon aux moulures sombres qui surplombait la pièce. Dans ses souvenirs, c'était son grand-père qui avait fait construire cette mezzanine pour observer de haut ses invités avant de les rencontrer. Mais son attention fût vite happée par un second portrait, celui de sa mère. Contrairement à Seumas, Jane d'Usez la contemplait d'un œil froid et méprisant. Une colère sourde lui brûla le ventre et fît bourdonner ses oreilles.
— Que fait-elle ici ? siffla-t-elle.
Désorientée, la servante blonde balbutia :
— Et bien... Elle a toujours été ici.
— Plus maintenant. Vous, ajouta-t-elle en désignant les deux servants qui sursautèrent. Décrochez ce tableau et jetez-le au feu immédiatement !
— Le jeter au feu ? répéta la blonde d'un air ahuri, pendant que les deux hommes se précipitaient pour retirer le portrait du mur.
— Jane Loveday n'a pas sa place dans cette demeure !
Avec un sentiment de satisfaction vengeur, elle les regarda se débarrasser de sa mère dans les flammes de la cheminée.
— Est-ce qu'il y a d'autres objets appartenant à ma mère dans cette maison ? reprit-elle d'un ton autoritaire.
Les domestiques baissèrent la tête d'un air piteux.
— Quelques-uns, admit l'homme à la barbe imposante.
— Et bien, nous allons changer cela.
D'un pas résolu, elle quitta la pièce et fit parcourir son regard sur chaque meuble et chaque babiole qui pouvaient lui rappeler sa génitrice. Dans son dos, les domestiques tentaient tant bien que mal de tempérer sa colère mais elle resta sourde à leurs supplications.
— Madame, il n'est peut-être pas utile de vous mettre dans une colère pareille, risqua la brune.
Pour toute réponse, Catriona lui fourra sèchement un vase dans les mains avec un regard si glacial que la servante n'osa plus protester.
— Catriona, si vous pouviez éviter de blesser vos gens... soupira Evrard en croisant les bras d'un air désapprobateur.
— Je ne veux plus jamais voir quoi que ce soit ayant appartenu à Jane dans ce château ! explosa-t-elle. Montez un bûcher dans la cour s'il le faut, c'est là où elle finira si elle remet un pied ici.
Les domestiques lancèrent un coup d'œil paniqué au Chevalier.
— Faites ce qu'elle vous dit, marmonna-t-il d'un ton résigné.
— Bien sûr qu'ils vont faire ce que je leur ordonne. Vous ne comprenez rien, le fustigea-t-elle en lui lançant une statuette féminine en marbre.
— Ce n'est pas difficile de comprendre que vous désirez remettre la décoration au goût du jour, ricana-t-il en attrapant l'objet au vol.
Le voir sourire d'un air narquois ne fit qu'accroitre sa colère.
Les deux servants obéirent et quittèrent précipitamment la pièce.
D'un pas rageur, elle emprunta l'escalier qui menait au balcon et retira du couloir tous objets en rapport avec Jane. Le parquet et le plafond bas au poutre apparente répercutaient ses sa fureur.
— Débarrassez-moi de cela ! ordonna-t-elle en lançant un petit coffret par-dessus son épaule. Et cela aussi ! Et cela va aussi au feu ! et cela... Non, finalement, je peux le garder.
Elle se déplaça ainsi de pièces en pièces, triant d'un simple coup d'œil tout le mobilier qu'elle souhaitait voir détruit. Dans le bureau de feu son père, elle remarqua une pile de livres que Jane avait l'habitude de la forcer à lire. Catriona avait détesté chaque instant à feuilleter ces ouvrages.
— Brûlez-moi tout ça aussi, ragea-t-elle en jetant le premier ouvrage de la pile à un domestique.
La voix d'Evrard lui parvint derrière elle.
— Catriona...
— Ne me demandez pas de me calmer. Prenez ceci plutôt ! pesta-t-elle en lui tendant une encyclopédie.
— Je ne vois pas comment je le pourrais.
Agacée, elle se retourna et s'aperçût soudain qu'Evrard et les servantes avaient les bras chargés de babioles et d'artefacts divers. Elle distinguait à peine leurs visages derrières les imposants monticules.
— Il va falloir tempérer vos ardeurs, reprit-il avec un sourire éloquent.
— Ah...oui... admit-elle. Je me suis un peu emportée. Pourriez-vous apporter tout cela dans la cour, s'il vous plait ?
— A vos ordres, Milady, lui répondit-il.
Sa colère retomba peu à peu, elle déchargea l'une des femmes de plusieurs objets et les accompagna dans la cour où les deux servants avaient monté un bûcher à la hâte. Lorsque tous leurs chargements atterrirent sur le bois, Catriona attrapa une torche et l'en approcha, le regard satisfait. Sans se soucier des mises en gardes d'Evrard à ses côtés, elle projeta les flammes dans le tas.
Nikkih & Kratzouille29
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