8. Catriona

La luxueuse calèche dans laquelle Catriona devait se rendre en ville était agrémentée de splendides lanternes et d'ornements en bronze argenté et ciselé. La caisse et les portières, peintes en noir rechampi d'or, étaient enrichies des Armes et attributs des rois de France et de fleurs de lys.

Les nobles, apprêtées pour l'occasion, pavanaient en attendant le départ du convoi, sur le parterre de graviers blancs dans l'enceinte du château. Dans leurs mains parfaitement manucurées se tenaient de beaux éventails aux montures d'ivoire ou de nacre, idéal pour combattre la chaleur étouffante et les corsets trop serrés pour l'occasion. Pour tromper l'ennui, les dames s'amusaient à communiquer dans un langage codé entre elles grâce à cet accessoire importé par Catherine de Médicis, propice au badinage.

Catriona empoigna sa longue robe en Damas brodé de fils d'or d'un rouge vénitien et s'avança jusqu'au carrosse. À l'instant où elle s'engagea sur le marchepied, une voix familière retentit dans son dos. Son visage s'illumina et son cœur rata un battement à la vue d'Amaury.

Vêtu d'un gros pull ample noir, d'un pantalon serré et de grandes bottes foncées, l'homme s'élançait vers elle. La joie de la revoir pouvait se lire au travers de son attitude. Catriona se précipita à sa rencontre.

— Amaury, que fais-tu ici ?

— Je tenais à te souhaiter une bonne journée avant que tu ne partes.

La jeune femme sourit devant la gentillesse de son futur mari.

— Tu es magnifique, reprit-il en regardant son allure divine.

Derrière eux, le convoi s'organisait progressivement. Catherine de Médicis sortait habituellement du château uniquement accompagné de sa garde personnelle. La plupart de ces hommes, les plus fidèles, s'employaient à sa sécurité jour et nuit.

— Merci. Cela me fait très plaisir de te voir.

Sa main gagna la sienne, douce et grande, tandis que des soldats commençaient à affluer depuis la grande porte.

— Je pense que c'est le moment de te dire au revoir, nota le blond, armé d'un sourire ravageur.

Les joues de la jeune femme virèrent au rose, elle baissa les yeux et le léger rictus qui prit timidement possession de ses lèvres était bien trop irrésistible pour Amaury qui ne put s'empêcher de lui voler un bref baiser.

L'attachement qui les liait l'un à l'autre était infini, presque mystique. La Cour s'extasiait devant leur coup de foudre depuis le retour de la jolie brune. Pour ce récent petit couple, Cupidon semblait avoir visé au centre de la cible.

À contrecœur, leurs mains se lâchèrent, elle rejoignit la calèche et monta les marches. À l'intérieur, la jeune femme s'extasia sur l'habitacle, qui était entièrement recouvert de satin de soie brodée, ivoire et or.

Quelques minutes plus tard, la reine apparut des remparts. Catherine de Médicis lui paraissait être une femme dont la supériorité de son rang la rendait froide, hautaine, pourtant c'était le cas, mais sous ses parures plus imposantes les unes que les autres, elle arborait des airs tristes et épuisés.

Lors du trajet, Catriona fit la connaissance des deux dames qui partageaient sa voiture.

— Nous avons été invités par la Reine elle-même, lança d'un ton arrogant la plus vieille. Et vous ?

— C'est aussi mon cas.

Elle replaça une épingle dans son chignon d'une hauteur telle qu'un oiseau pouvait y faire son nid.

— Vraiment ? Je ne vous connais pas.

— Je suis Catriona Loveday, se présenta-t-elle, redressant les épaules pour se tenir encore plus droite.

— Ah oui, votre mère n'est autre que Jane D'Usez, n'est-ce pas ?

La brune acquiesça d'un signe de tête.

— Quel malheur ! Perdre son mari pendant une partie de chasse royale, j'espère sincèrement qu'il aura profité de ce privilège seigneurial, répondit-elle dans un soupir faussement désolé. Mon doux Alphonse est très proche du Roi, il m'a raconté ce qu'il s'était passé ce jour-là.

La petite blonde aux cheveux frisés, qui était restée muette jusqu'à présent, se manifesta soudainement.

— Père m'a dit que son visage s'était coloré d'un bleu grisâtre quand ils l'ont retrouvé.

La pauvre bonne sœur avait viré dans les mêmes tons, se rappela Catriona. Elle décida d'en apprendre plus.

— Était-il blessé ?

— Oh oui, c'est certain. Alphonse était couvert de sang quand il est rentré à nos appartements, répondit la vieille femme. Et ce n'était pas celui d'un animal. Ne le répétez pas, mais il n'a jamais su tirer sur quoi que ce soit. Je ne sais pas si cela vient de la compassion ou simplement qu'il est trop sot pour viser une cible. Vous savez ce qui me surprend le plus dans cette histoire ? ajouta-t-elle en se redressant.

— Non ? demanda poliment la brune.

Elle commençait à la trouver de plus en plus antipathique.

— Le Marquis D'Usez était loin du lieu de chasse m'avait-il avoué, souffla-t-elle sur le ton de la confidence. Ils suivaient les traces du grand gibier, dans le nord, et le défunt Marquis se trouvait à quelques kilomètres à l'ouest d'Amboise – elle marqua une pause – Pourtant, personne n'a pensé au crime.

— Mère, cela ne pouvait être qu'un accident de chasse, répliqua la blonde.

— Chérie, nous ne savons même pas qui a tiré sur ce pauvre Marquis.

La vieille dame se signa d'un geste lent avant de constater que le convoi arrivait à Amboise, ce qui lança un nouveau sujet de discussion, au grand regret de Catriona.

— Ce sont des petites gens, des criminels, du bétail, déclara la vieille dame d'un ton presque dégouté.

À travers les vitres, elles observaient la foule qui saluait ce défilé de fiacres avec un mélange de curiosité et de crainte.

— C'est grâce à eux que nous pouvons manger à notre faim...chuchota la fille.

Sa mère ne lui prêta aucune attention.

— Que pensez-vous d'eux, Catriona ? demanda-t-elle en plissant les yeux.

— Je...Je ne sais pas, avoua-t-elle, gênée.

N'ayant pratiquement aucun contact avec le bas peuple, cela était difficile pour elle de s'imaginer répondre à une telle question.

D'un seul coup, des cris résonnèrent, puis un mouvement de foule se créa et le carrosse s'arrêta brusquement. La petite blonde colla son nez à la fenêtre pour tenter d'apercevoir ce qu'il se passait.

— Que vois-tu ? Que vois-tu sotte d'enfant, réponds-moi ? insista la vieille dame.

— Rien, bougonna sa fille avant de se rasseoir en croisant les bras.

— Comment cela rien ? Je suis certaine qu'ils nous attaquent, le bas peuple veut notre mort depuis toujours ! s'excita-t-elle, balançant son éventail pour s'aérer.

Son accessoire battit si violemment que Catriona pensait qu'elle allait se casser le poignet. Sa respiration devint saccadée et elle tapota la main sur son cœur. Comme une furie, la noble sortit de la voiture en hurlant :

— Au secours ! On m'assassine ! On attente à ma vie ! Aidez-moi ! Gardes !

Sa fille la supplia de revenir en sécurité, mais elle ne l'entendit pas. Perdue dans ce monde rempli de personnes qu'elle n'appréciait guère. La panique l'envahit.

Sans réfléchir, Catriona sortit de la calèche, ses pieds quittèrent la marche qui les séparait de la sécurité pour un grand danger. L'odeur de transpiration qui émanait de la foule était forte et masqua son doux parfum de camomille. Elle tenta d'attraper la vieille femme par le bras, mais un nouveau mouvement se forma et la fît valser d'un pied sur l'autre, la faisant perdre son équilibre. La brune n'eût pas le temps de soupirer qu'elle fût violemment projetée à terre. Les pavés lui griffèrent les paumes, tandis que de lourdes bottes écrasaient ses doigts, lui arrachant un cri de douleur.

Comme piquée par l'adrénaline, elle réunit ses forces du haut de son un mètre soixante et s'agrippa aux habits pour se redresser, mais la foule continuait à s'affoler, la poussant, la bousculant. Avec peine, Catriona essaya de se frayer un chemin pour retourner près du carrosse, mais l'hystérie des individus l'en empêcha. Ses yeux balayèrent l'espace, tandis que sa gorge se serrait et que sa respiration devenait saccadée. Rapidement, son regard repéra un espace tranquille où elle pourrait reprendre ses esprits, arrêter de trembler de tout son être et surtout ne plus être malmenée.

Une main appuyée contre le mur d'une petite maison, elle se força au calme quelques secondes, reprit son souffle, puis attrapa un tabouret sur lequel elle grimpa pour regarder au-dessus des têtes afin d'évaluer la distance qui la séparait du cortège. Un juron sortit de sa bouche ; la jeune femme n'arrivera jamais à faire le chemin inverse.

Elle réfléchit, regarda autour d'elle et décida de contourner par d'autres ruelles pour essayer d'atteindre un endroit plus propice pour trouver de l'aide. Catriona se mit en route et emprunta au hasard un passage, qui déboucha près d'un ivrogne qu'elle observa du coin de l'œil. La partie supérieure de ses cheveux châtains était attachée en chignon tandis que les autres mèches gouttaient sur ses épaules et sa nuque. Son gilet de cuir brun, usé par le temps, recouvrait une chemise grise, mais qui avait dû être blanche à l'origine. Il portait des brassards du même cuir, d'un pantalon sombre et des bottes couvertes de boue.

Elle détourna le regard, dégoutée, et entama la suite de son périple dans les rues, bien que celles-ci soient des dédales déserts.

Ce n'était vraiment pas prudent, se dit-elle à mi-voix. Je n'aurais jamais dû quitter la grande rue.

Son cerveau lui dictait de faire demi-tour et ses pieds n'étaient pas contre cet avis, mais au moment où elle rebroussa chemin, deux odieux personnages lui bloquèrent la route. Ils la détaillaient avec une lueur dans le regard qui lui déplut. Elle recula d'un pas lorsqu'ils s'approchèrent dangereusement. La panique s'insinua dans ses veines et elle tourna les talons pour les fuir, mais l'un d'eux, le plus bedonnant, lui attrapa rudement le bras et la tira en arrière. Elle se retrouva projetée dans les bras du second, habillé d'une tunique jaune et crasseuse, qui s'empressa de passer un doigt sur sa joue de porcelaine sur laquelle une larme avait créé un sillon. Le gros se colla à son dos et renifla sa nuque.

— Tu sens bon, petite catin, ricana-t-il.

— Lâchez-moi ! ordonna-t-elle avec le peu de courage qui lui restait. Vous ne savez pas qui je suis !

— Tu es juste une petite pouliche qu'on va avoir du plaisir à chevaucher.

— Je suis sûr que t'es encore vierge, n'est-ce pas fillette ?

— Enlève donc ta robe qu'on puisse s'amuser !

Alors que leurs mains commençaient à caresser ses hanches et soulever les pans de sa robe, Catriona se débattit violemment et s'arracha de leur étreinte. Elle se mit à courir, le plus vite possible. Les clappements de ses chaussons se mirent à résonner sur les pavés, mais sa course s'interrompit lorsque ses pieds se prirent dans sa robe, trop longue, trop volumineuse pour pareil exercice. Elle perdit l'équilibre et eut le réflexe de lever les bras pour éviter que sa tête heurte le sol. Le rire gras des deux hommes résonna au-dessus d'elle et les larmes jaillirent sans qu'elle puisse les retenir.

L'un d'eux lui agrippa les cheveux et la força à se remettre debout.

— Assez joué, petite garce !

— S'il-vous plaît...pleura-t-elle. J'ai de l'argent...prenez tout, mais laissez-moi !

Ses implorations ne rencontrèrent que les ricanements des deux tortionnaires.

— On s'en fout de ton argent, on veut juste te baiser.

L'homme à la tunique jaune l'immobilisa tandisque son complice déchirait le tissu écarlate de sa robe pour accéder plusfacilement à ses jambes. Tétanisée, Catriona ne put qu'assister, impuissante, àce qui était en train de se dérouler. Elle aurait voulu hurler aussi fort quepossible, appeler l'aide dont elle avait besoin, mais ce ne fut qu'un sonfaible, presque inexistant qui franchit ses lèvres.

Nikkihlous et Kratzouille29

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