76. Catriona
Catriona et Evrard profitèrent du beau temps pour se balader dans l'immense étendue qu'offrait la région des Menteith. La beauté verdoyante des plaines qui s'étalait sous leurs yeux les captivait.
L'idée de montrer la splendeur de l'Ecosse à Evrard avait germé dans la tête de la jeune femme un peu plus tôt dans la journée. Lord Byron leur avait proposé une escorte mais Evrard avait poliment décliné l'offre, arguant qu'il était capable de la protéger tout seul. Catriona lui en était reconnaissante, car c'était ainsi l'occasion rêvé pour eux de discuter en toute intimité et d'enfin connaître les sentiments du Chevalier à son égard.
Car Evrard ne lui avait toujours pas fait part de sa décision et cela l'inquiétait et la frustrait. Elle ignorait si elle devait s'accrocher à l'espoir qu'il resterait ou si elle devait se résigner d'être abandonnée.
Pourquoi se montrait-il si retissant à faire son choix alors qu'il n'avait jamais fait preuve d'autant d'hésitations tout le long de leur périple ? Qu'avait-il décidé en fin de compte ? Allait-il partir ? Était-ce pour cela qu'il l'évitait depuis hier soir ? Le Chevalier s'éclipsait à chaque fois qu'elle était désireuse de converser, prétextant être occupé. Pourtant, il était là, avec elle, profitant des éclaircies de cette douce après-midi. Cet étrange sentiment qu'il laissait s'installer en elle la pétrifiait chaque pas davantage.
La noble s'arrêta un instant, le souffle court, gagnée par la fatigue. La promenade devenait de plus en plus éreintante au fil des sentiers de terres accidentés.
— Pouvons-nous nous arrêter un instant ?
Evrard lui lança un regard inquiet.
— Quelque chose ne va pas ?
— J'ai juste besoin de reprendre mon souffle, reprit-elle en essuyant les perles de sueur sur son front avec son mouchoir. J'avais oublié qu'ici, une promenade avec de bonnes chaussures était de rigueur.
Elle releva légèrement le bas de sa robe.
— Voyez-vous, Mairhead s'est crue à la Cour de France en préparant mon vêtement.
Evrard fût secoué d'un rire plein, sans retenu.
— Cela veut-il dire que je devrais vous porter jusqu'à la porte ? se moqua-t-il.
— Cela veut juste dire que j'ai besoin d'une pause, répliqua-t-elle, confiante.
— Bien.
Le Chevalier l'aida à s'asseoir sur une pierre et s'allongea nonchalamment dans l'herbe à ses côtés. Le silence s'épaississait entre eux alors que Catriona se demandait comment elle allait pouvoir aborder le sujet qui la taraudait. Elle sentait que ce serait à elle d'en avoir le courage car Evrard était profondément absorbé par la contemplation des reliefs qui s'étendaient à perte de vue et ne semblait pas pressé de discuter.
— Les préparatifs de la soirée avancent bien, déclara Catriona d'un ton faussement joyeux.
— Je suis ravi de l'apprendre, répondit-il d'un ton morne. D'ailleurs, à ce propos, reprit-il avant de marquer une courte pause. Je dois vous avouer quelque chose.
Catriona redressa les épaules et serra ses mains sur les genoux pour tenter de refreiner les tremblements qui les parcouraient. Son cœur rata un battement lorsqu'elle le vit s'asseoir et la regarder avec sérieux.
Allait-il enfin lui avouer ce qu'elle désirait entendre ?
— Lord Byron a découvert ma véritable identité, déclara-t-il. Je me doutais bien qu'il n'allait pas lâcher prise aussi facilement après mes réponses évasives de la veille...Il a trouvé l'arbre généalogique de ma Famille en menant quelques recherches et il sait maintenant que mon vrai nom est Guislain De Ferrand. Il a accepté que je reste et de me présenter aux invités comme étant Evrard De Néel.
Ses espoirs se brisèrent sous ses mots. Quel crétin !
— Très bien, marmonna-t-elle d'un ton qui se voulait aimable et léger.
Elle détourna le regard sur un grand chêne isolé au milieu d'un pré.
— Vous ne vous demandez pas pourquoi j'ai donné ce nom plutôt que De Ferrand ? insista-t-il face à son manque de réaction.
— Peu importe la raison, c'est sans doute la mieux pour vous.
— Je ne pouvais pas prétendre être un De Ferrand, répliqua-t-il d'un ton agacé. Lord Byron s'est montré très conciliant, mais ce ne sera sûrement pas le cas des autres clans écossais. Cette Famille a trop souvent trahi pour être acceptée.
— Dois-je vous rappeler qu'à la mort de Gauthier, vous êtes devenu le dernier Comte De Ferrand ?
— Le domaine est mort avec Gauthier, car aucune instance judiciaire m'autorisera à le reprendre. Je suis un repris de justice condamné à l'échafaud.
— Est-ce l'unique raison de votre présence ici ? Parce que vous avez peur qu'en retournant en France, ils vous arrêtent et vous pendent ?
— C'est à cause de vous et de vos inventions que je ne peux pas partir.
Catriona réprima l'envie de se jeter dessus pour l'étrangler de toutes ses forces. Comment pouvait-il lui faire un tel reproche, alors que hier soir encore, ils s'entrelaçaient et s'embrassaient fougueusement ?
— Si je m'en vais maintenant, puisque je suis officiellement votre fiancé, je ne peux décemment pas partir sans nous causer du tort. C'est notre honneur à tous les deux qui serait irrémédiablement tâché.
— C'est uniquement une question d'honneur ?
— Pour quelle autre raison cela aurait pu être, puisque vous ne m'avez pas laissé le choix en prétendant être ma fiancée ?
Il sembla regretter ses paroles au même instant, car il tourna brusquement la tête pour éviter son regard. Catriona comprit qu'à cause de son mensonge, le Chevalier se sentait pris au piège alors qu'il avait horreur de ça. En souhaitant le protéger, elle s'était montrée égoïste.
— Je regrette, c'était une erreur de ma part, je n'aurais jamais dû dire cela, avoua-t-elle.
Evrard reporta son attention sur elle, mais elle baissa aussitôt les yeux. D'un geste léger, elle sentit son doigt effleuré son menton et le tourner vers son visage.
— Vous le pensez sincèrement ?
— Oui... Je voulais simplement vous protéger.
— Une souris comme vous, me protéger ? ricana-t-il avec un sourire ouvertement moqueur.
— Ce n'est pas non plus une raison pour vous moquer de moi, protesta-t-elle en repoussant sa main.
— J'accepte vos excuses.
— J'en suis rassurée.
L'ambiance se détendit considérablement. Evrard se rallongea dans l'herbe et ferma les yeux pour profiter du soleil. Catriona, en revanche, n'avait toujours pas les réponses à ses nombreuses interrogations malgré qu'elle ait essayé.
Une fois de plus, elle s'était heurtée à sa réticence de se confier. Il semblait aussi hermétique qu'une porte de cachot, contrairement à elle qui avait eu le courage de lui avouer son envie de partager sa vie avec lui, fonder une famille avec lui, partager son lit avec lui. C'était lui et personne d'autres. Cela ne lui importait guère qu'il soit un hors-la-loi. S'il le fallait, elle fuirait avec lui, abandonnerait son domaine, sa vie, ainsi que toute l'aisance matérielle dont elle avait toujours bénéficié.
Pour lui.
Mais voilà, tant qu'il ne lui disait pas la même chose, elle resterait dans ses doutes.
Elle avait l'impression d'être le second rôle d'une pièce de théâtre, éclipsée par le fantôme de Néline. Quand il n'avait pas nié être attaché à son ancienne fiancée, elle n'avait pas pu répudier une vive douleur qui s'était accrochée à elle comme une sangsue. Il ne semblait pas vouloir lui accorder un amour aussi puissant qu'elle était prête à lui donner. Ou alors uniquement pour le plaisir charnel.
Cela lui laissait un goût amer. Catriona était déçue et en colère de n'être qu'un trophée de plus sur son mur de chasse. A cet instant, elle avait décidé qu'elle ne serait pas la proie, mais le chasseur. Puisque Evrard semblait rester indécis, c'est elle qui prendrait les choses en main et mènerait la danse.
— En fait, pour quelle raison m'avez-vous fait demander hier ? demanda-t-il, la faisant sortir de ses pensées tortueuses.
Il lui fallut quelques secondes pour comprendre de quoi il parlait.
— C'était pour vous remercier.
— Je vous en prie.
Ils échangèrent un sourire complice.
— Êtes-vous prêt pour le bal ?
— Je pense que je m'en sortirais mieux dans les discussions plutôt qu'à la danse.
— Oh, si mal que ça ? le taquina-t-elle. Dans ce cas, j'ai hâte de vous voir danser avec vos deux pieds gauches.
— Il est hors de question que je danse, je n'ai pas envie de me ridiculiser, maugréa-t-il.
— Dans ce cas, je danserai avec quelqu'un d'autre, ce ne sont pas les bons cavaliers qui manqueront, lança-t-elle avec insouciance.
Sa réaction fût à la hauteur de ses espérances. Il se renfrogna aussitôt et commença à arracher un à un les brins d'herbes sous sa main. Il mâcha sa langue comme s'il cherchait un argument pour contrer sa décision.
— Vous n'êtes pas en état de danser, vous allez tomber.
Elle sourit intérieurement, car elle savait très bien qu'il ne pouvait pas trouver de meilleure excuse.
Je le suis, et je vous le prouverai.
— Je ne serai pas toujours là pour vous empêcher de trébucher.
— C'est ce que nous allons voir.
Catriona se leva d'un bond. Dans sa précipitation, elle avait momentanément oublié son état de santé et chancela une seconde. Le Chevalier se hâta mais avant qu'il ne l'aide, le vertige passa et la jeune femme s'avança de quelques pas. Elle ferma les yeux et se visualisa comme au temps de la Cour, lorsqu'elle dansait au rythme de l'orchestre. Dans un geste mille fois répété, elle se mit à se mouvoir aux notes d'une musique qu'elle s'imaginait dans sa tête.
Avec grâce, elle attrapa le devant de sa robe du bout des doigts et exécuta une rapide révérence à l'adresse d'Evrard. Elle relâcha le tissu et leva son pied droit, puis le gauche avec aisance. Ses poignets dessinèrent des cercles harmonieux dans le vide, comme si elle peignait un tableau, avec délicatesse. Catriona tournoya sur elle-même, son jupon de soie bleue flottant autour de ses jambes comme des vagues. Elle tourbillonnait, de plus en plus vite, à mesure que la musique dans sa tête augmentait d'intensité et que le regard du Chevalier était happé par ses mouvements, comme captivé par ce spectacle qu'elle n'offrait qu'à lui seul. Elle exécuta un léger bond sur le côté, les bras levés vers le ciel comme si elle voulait le toucher. Puis, elle cessa de danser et fit un signe de main vers le Chevalier pour l'inviter à la rejoindre.
— Non. C'est déjà assez compliqué avec de la musique, alors sans... refusa-t-il.
Catriona se pencha et attrapa sa main pour l'obliger à se relever.
— Allez ! Dansez avec moi ! l'enjoignit-elle.
Mais plus elle tirait sur son bras, plus il mettait de la résistance dans ses muscles. Et avant qu'elle ne puisse trouver une idée pour l'obliger à se lever, ce fût Evrard qui l'amena à lui d'un petit coup sec du poignet. Elle perdit l'équilibre avec un léger cri de surprise, son corps bascula en avant et elle atterrit contre le torse de son compagnon. Une main puissante s'enroula autour de ses hanches alors que ses iris bleues se plantèrent dans les siens.
— Je vous avais dit que vous tomberiez, déclara-t-il, un sourire narquois sur les lèvres, visiblement réjouit de la situation.
— C'est à cause de vous que je suis tombée, espèce de niot, protesta-t-elle.
Catriona lui donna une tape sur l'épaule, mais elle ne parvenait pas à être en colère, pas plus qu'elle ne parvenait à décrocher ses yeux des siens. La dernière fois qu'ils avaient été si proches était dans le petit salon, se déshabillant mutuellement, explorant la chaleur de l'autre, prêts à céder à la passion qui les dévoraient depuis des jours. Ce souvenir brûla ses joues et elle ne pouvait s'empêcher de se demander si le Chevalier repensait lui aussi à ce moment. Cette interrogation s'intensifia lorsqu'il la pressa plus fortement contre lui. Elle se décala sur le côté, reposa la tête sur son pectoral et se blottit dans ses bras qu'il avait enroulé autour d'elle. Catriona sentit le bout de ses doigts effleurer ses côtes avec délicatesse.
Être auprès de lui, humer son odeur et écouter les battements de son cœur était de loin le meilleur moment qu'elle avait vécu dans sa vie. La jeune femme mis sa main sur son torse. Elle sentait sa cage thoracique se soulever au rythme de sa respiration qui devenait de plus en plus tranquille. Lorsqu'elle courba la nuque pour le regarder à nouveau, elle découvrit qu'il s'était endormi.
Et c'était la première fois qu'elle le voyait si serein. Elle pouvait passer des heures à le contempler.
Nikkihlous & Kratzouille29
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