71. Evrard

Evrard était dans la grange, en train de s'occuper du cheval qu'il avait volé. Une partie de lui-même se fustigeait de ne pas l'avoir rendu à son propriétaire, mais l'autre lui soutenait que l'animal préférait rester auprès de lui.

— Il faudrait que je te trouve un nom, lui déclara-t-il en brossant sa robe.

Le cheval se contenta de baisser la tête sur le foin. Il avait suivi Arran docilement jusqu'à la grange du domaine de Lord Byron et s'était contenté de regarder d'un air intéressé le nouvel enclos dans lequel on l'avait installé. Le Chevalier avait insisté auprès des palefreniers pour s'occuper lui-même de l'étalon. Après tout, il lui devait bien cela. 

Pour ce qui était de le rebaptiser, il était bien moins inspiré ; les quelques-uns qu'il avait eu monté étaient déjà nommés. Il s'amusa donc à imaginer comment son ancien propriétaire l'appelait.  

— Cela doit certainement être un nom comme « Pégase », n'est-ce pas ? ironisa-t-il.

Le cheval se contenta de secouer sa crinière. Ce n'était pas auprès de lui qu'il allait obtenir une réponse.

— Il ne ressemble pas à Sauvage, commenta une voix dans son dos.

Evrard regarda par-dessus son épaule et aperçu la demoiselle de compagnie de Catriona s'approcher de lui. Sa chevelure rousse était nouée en une longue tresse qui se balançait élégamment au rythme de ses pas et le sourire doux qu'elle lui adressait l'interpella.

— Tiens, le feu follet a calmé ses ardeurs à mon encontre ? ironisa-t-il.

— Je vous ai mal jugé. Catriona m'a dit un grand bien de vous.

— C'est gentil de sa part.

Elle s'approcha un peu plus pour observer le cheval.

— Où est Sauvage ?

— Il est mort, avoua-t-il à demi-mot.

Son sourire s'effaça et elle écarquilla des yeux, choquée.

— Quelle horreur ! Catriona a dû être effondrée !

— C'est vrai, mais je n'avais pas le choix.

Cela n'ôtait rien au fait qu'il avait quand même dû abattre l'animal alors qu'il souffrait d'une patte cassée.

— C'est vous qui l'avez tué ? s'étrangla-t-elle.

— Il s'était fracturé la patte. Le mieux que je pouvais faire, c'était d'abréger ses souffrances.

Mairhead ne répondit pas. Elle leva une main pour que le cheval puisse la sentir, intrigué.

— Elle l'a vu sortir du ventre de sa mère, le saviez-vous ? demanda-t-elle en caressant doucement l'encolure. C'est elle qui l'a appelé ainsi et qui l'a éduqué.

— Catriona sait éduquer les chevaux maintenant ? ironisa-t-il. Décidemment, elle ne cessera jamais de me surprendre. Comment va-t-elle ?

— Elle se repose. La soigneuse est passé la voir, elle a dit qu'elle s'en remettra complètement d'ici quelques jours. Elle lui a préconisé beaucoup de repos.

— Très bien.

— A vous aussi, il vous en faudrait, commenta-t-elle en le regardant de haut en bas. Je suppose que vous n'avez pas eu l'occasion de beaucoup dormir durant votre périple, n'est-ce pas ? 

— Je dors peu.

— Allez quand même vous détendre, sourit-elle. Nous vous avons fait couler un bain et monté des vêtements propres dans vos appartements.

— Je vous remercie.

C'était étrange de s'entendre dire « vos appartements », comme s'il était un seigneur en ces lieux. 

— Mairhead ?

— Oui ?

— Comment dit-on « loyal » en gaélique ?

Elle arqua un sourcil, étonnée.

— Dìleas, répondit-elle.

— Dìleas, répéta-t-il en flattant le dos du cheval. Cela me plaît bien. 

— C'est son nom ?

— A partir d'aujourd'hui, oui.

La jeune femme le contempla d'un air interloqué mais ne lui demanda aucune explication. Evrard termina de brosser son étalon et rangea le matériel dans un seau à côté de l'enclos.

— Je vais suivre votre conseil et me détendre un peu, décida-t-il en essuyant ses mains sur son pantalon. 

Il fit quelques pas mais la voix de Mairhead l'appela à nouveau dans son dos :

— Milord !

Il s'immobilisa, surpris qu'elle l'appelle ainsi.

— Oui ?

— Je vous remercie d'avoir veillé sur Catriona.

Il lui adressa un sourire par-dessus son épaule et quitta la grange. 

Dehors, l'air était vif et sec, sans le moindre nuage à l'horizon. Le Chevalier s'arrêta quelques instants pour contempler les vastes étendus vertes qui se profilaient autour du domaine de Lord Byron. Il ne s'était pas trompé lorsqu'il s'était imaginé les paysages écossais.

Il traversa la cour et entra dans le bâtiment principal. Il monta au premier étage et poussa la porte de la chambre que lui avait fait préparer Lord Byron.

Ce dernier n'avait pas menti en affirmant qu'il ferait tout pour rendre leur séjour agréable. La pièce était encore plus spacieuse et lumineuse que ce qu'il avait cru. Son lit à baldaquin était si grand et confortable qu'il avait dû s'assoir dessus pour se rendre compte qu'il ne rêvait pas. Les draps étaient si fins qu'ils glissaient comme de l'eau sous ses doigts. Depuis sa fenêtre à meneau, Evrard avait une vue imprenable sur les landes. Il y avait un fauteuil élégamment sculpté qui faisait face à la cheminée et pour l'occasion, une grande bassine en bois trônait au centre de la pièce. Une pile d'habits propres était posée sur les couvertures ainsi qu'une paire de bottes parfaitement cirée.  

Le Chevalier trempa la main dans l'eau chaude de la bassine et sourit. Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus prit un bain digne de ce nom. Une éponge et plusieurs flacons étaient posés sur un petit tabouret à côté. Il en ouvrit un pour en sentir le contenu, mais manqua de s'étrangler lorsque l'odeur puissante de cèdre lui piqua les narines.

— Il est hors de question que je m'asperge de cette horreur ! protesta-t-il avec un reniflement dégoûté.

Il posa son épée à côté des vêtements propres, jeta les siens à terre sans plus de cérémonie et se glissa dans la bassine.

L'eau chaude le détendit considérablement et il n'en sortit que lorsque l'eau devint tiède, après avoir nettoyé chaque parcelle de son corps, en apportant un soin particulièrement minutieux à ses cicatrices.

Les dix coups de fouet qu'il avait reçu avant de débuter cette aventure, il y a quinze jours de cela, étaient pratiquement guéries, quoiqu'encore boursoufflées sous ses doigts. Et le V répugnant était devenu deux taillades blafardes sur son pectoral droit. Pour la première fois, Evrard se rendit compte qu'il avait presque autant de stigmates qu'il avait d'années.     

— Il est plus que temps que je me calme, soupira-t-il en se rhabillant. 

Le pantalon était un peu large, mais la tunique vert sombre tombait parfaitement sur ses épaules et les bottes étaient à sa pointure. Il venait de rajuster sa ceinture lorsque quelqu'un toqua à la porte.

Le Chevalier découvrit sur le seuil un serviteur qui le regardait d'un air surpris. Visiblement, il n'avait pas l'habitude qu'un invité vienne lui ouvrir.   

— Oui ? demanda poliment Evrard.

Sa compréhension du français ne lui permettait de s'exprimer que par geste et il se contenta de lui présenter le nécessaire à rasage qu'il avait dans les mains. Evrard passa une main sur sa barbe, constatant qu'effectivement, il était temps de l'élaguer.

Il le fit entrer et obéit aux indications muettes du serviteur qui l'installa dans le fauteuil tout en exécutants les préparatifs. Le Chevalier n'était guère rassuré lorsque la lame glacée du rasoir se posa sur sa gorge, mais les gestes du servant étaient précis lorsqu'il raclait sa peau.

Après quelques minutes de silence, ce dernier marmonna quelque chose qu'il ne comprit pas. Mais au son de sa voix, il sut que ce n'était pas une tentative d'entamer une conversation polie ou un compliment. Le ton était froid et sifflant. De toute évidence, il ne l'aimait pas.

Il contracta ses muscles davantage, prêt à toute éventualité. Dans d'autres circonstances, Evrard l'aurait certainement confronté et provoqué. Mais cette fois-ci, il avait une lame de rasoir sur la gorge. Un seul geste suffisait pour qu'il se fasse égorger comme un agneau. Le Chevalier n'avait d'autre choix que de rester parfaitement stoïque et silencieux, en espérant que cela suffise pour contenter le serviteur.    

Un instant plus tard, on frappa à nouveau à la porte et la voix de Mairhead se fit entendre de l'autre côté du battant.

— Entrez ! l'invita-t-il, profondément soulagé.

Le serviteur ne pourrait rien tenter devant un témoin.

— Catriona veut vous voir, annonça-t-elle en arrivant à sa hauteur. Vous avez une meilleure mine, ajouta-t-elle en le regardant de pied en cape.

— Le bain était très appréciable, la remercia-t-il. 

La jeune femme s'entretint avec le serviteur qui lui répondit d'un ton tout aussi détestable que lorsqu'il s'était adressé à lui. Mais elle ne se démonta pas et lui rétorqua quelque chose d'un ton sec, comme si elle le remettait à sa place. L'homme haussa les épaules, termina de raser la joue du Chevalier et rangea ses affaires avant de quitter la pièce sans un salut ou regard en arrière. 

— Est-ce qu'il est comme cela avec tous les français ou j'ai eu droit à un traitement de faveur ? commenta Evrard lorsque la porte se fut refermée.

— Ce ne sont pas vos origines qui lui déplaisent, c'est votre religion, expliqua-t-elle en secouant la tête d'un air agacé. 

— Je suppose que ce n'est pas très bien vu d'être catholique en Ecosse ?

— Pour beaucoup, oui. Pour lui surtout.

— Pourtant, rien sur moi ne laisse présager que je le suis, marmonna-t-il, songeur. A moins que cela ne soit inscrit sur mon front ? 

— Vous n'avez rien d'inscrit sur le front. Vous êtes même plutôt agréable à regarder, le rassura-t-elle avec un sourire charmant.

— Merci, se contenta-t-il de souffler.

En d'autres temps, ce compliment lui aurait fait plaisir. Il y aurait même vu une suggestion pour poursuivre la conversation jusque dans le lit et aurait tout fait pour atteindre ce but à grand renforts de flatteries et de sourires charmeurs. Sans dénigrer Mairhead qui demeurait une très jolie femme, le désir impétueux s'était assoupi au fond de son cœur. 

— Ne prêtez pas attention à Cormag ; il prétend sentir les catholiques à des lieux à la ronde, reprit-elle d'un ton désinvolte.

— S'il fait la même chose avec les perdrix, Lord Byron n'aurait plus besoin de chien de chasse. 

La jeune femme éclata d'un rire cristallin.

— Vous n'avez rien à craindre, reprit-elle avec sérieux. Cet incident est un cas isolé ici.

— Lord Byron est protestant ?

— Il a dû se reconvertir lorsque le régime mis en place s'est fait plus oppressant. L'Ecosse est déchirée dans ces guerres de religion et beaucoup pensent que le pays va devenir une province française depuis que Marie Stuart a épousé François de Valois.

— Cela ne plait pas à tout le monde, remarqua Evrard en se relevant.  

— Vous savez ce qui se passe quand la peur dicte notre conduite, répliqua-t-elle en secouant tristement la tête. Tout le monde est inquiet depuis ce qui est arrivé au Roi durant le tournoi...

Cet événement lui rappela la nuit glaciale qu'ils avaient passés dans la cabane en forêt. Catriona était soucieuse de l'état du souverain et Evrard avait tenté de la rassurer au mieux, sans grand succès.

— Sa Majesté ne s'est toujours pas remise de sa blessure ?

— Comment le pourrait-elle ? s'exclama-t-elle en écarquillant des yeux, consternée. Elle a reçu une lance dans le visage !

Evrard marqua un temps d'arrêt.

— Oh...

Il n'avait jamais su de quoi souffrait le Roi. Il avait affirmé à Catriona que c'était sans doute une entaille superficielle, mais un coup de lance dans la tête...

— J'ai entendu dire qu'il était blessé, mais je ne connaissais pas l'étendue de ses plaies, commença-t-il lentement. Mais si ce que vous dites est vrai, je comprends les inquiétudes des nobles.

— Vraiment ? 

— Je ne connais personne qui survivrait à une telle blessure. Peut-être même qu'à cette heure, le Roi est déjà mort.

— Ce serait fâcheux...murmura-t-elle, le regard songeur. Quoi qu'il en soit, vous êtes en sécurité ici, reprit-elle d'un ton plus énergique. Suivez-moi, je vais vous conduire jusqu'à Catriona.

Ils montèrent à l'étage supérieur et la jeune femme frappa quelques coups à une lourde porte.

— Catriona ? appela-t-elle en glissant sa tête par l'entrebâillement. Evrard est là.

Elle n'obtint aucune réponse. D'un signe de main, Mairhead l'invita à entrer à sa suite.

La chambre de la jeune noble était encore plus spacieuse que la sienne. Les rideaux du lit à baldaquin étaient tirés et cachaient Catriona de leur vue.

Ils s'approchèrent à pas feutrés et Evrard écarta l'un des pans. Il se retint de pousser une exclamation excédée :

— Elle dort à poings fermés !

— Oh, murmura Mairhead, gênée. Vous attendre a dû la fatiguer...

— Elle me convoque pour que je la regarde dormir ?

— Elle ne vous a pas convoqué, objecta-t-elle. Elle a demandé à vous voir, ce qui est très différent.

— Et c'est moi le Coquebert parce que je vous ai suivi ? répliqua-t-il d'un ton sarcastique.

— Moins fort ! le rabroua-t-elle dans un chuchotement furieux.

Mais leur conversation ne troublait pas Catriona qui dormait toujours profondément, les traits de son beau visage complètement détendus. 

— Je vous en prie Milord, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. Vous savez bien qu'il ne s'agit pas de cela.

Evrard marmonna une réponse incompréhensible et croisa les bras, irrité.

— Cette femme est en train de me rendre complètement Niot, pesta-t-il.

Il tourna brutalement les talons.

— Où allez-vous ?

— Vous ne pensez quand même pas que je vais rester là à la regarder dormir ? asséna-t-il sèchement. J'ai bien mieux à faire de ma journée.

Sourd aux protestations de la demoiselle de compagnie, il quitta la pièce en refermant soigneusement la porte. Déambulant dans le couloir, il songea à reprendre Dìleas pour aller explorer les landes alentours. Une balade avant de souper lui paraissait une excellente idée et il redescendit dans la grange pour seller son cheval.

Kratzouille29 & Nikkihlous

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