7. Evrard

Evrard avait la fâcheuse tendance de ne jamais garder ses pièces trop longtemps dans sa bourse. Heureusement, il savait se renflouer.

Le Chevalier s'installa à sa table, sortit ses cartes et attendit que les joueurs viennent tenter leur chance. Le premier était un benêt trop distrait pour jouer correctement ; Evrard le déchargea de son argent en quelques minutes. Le second était plus attentif, mais il n'avait aucune stratégie pour parer la sienne.

La bourse à présent pleine, il quitta la taverne pour chercher de quoi manger. C'était jour de marché, donc trouver son bonheur parmi les nombreuses échoppes allait se révéler plus aisé qu'à l'accoutumée.

La foule était dense, l'empêchant d'avancer à son rythme. Evrard aimait se déplacer avec aisance, sans obstacle sur sa route. Mais il prit son mal en patience et se laissa porter par le mouvement jusqu'à la rue principale.

Commerçants et artisans avaient installé leurs boutiques de part et d'autre de la route, étalant leurs marchandises sur de larges tables à tréteaux. Il y avait des bijoux, des tissus, des remèdes, des pots en métal ou en céramique, de la viande séchée, du pain, des fruits, du vin, des ustensiles pour travailler le bois, le fer et le cuir. Un boucher avait même installé de grandes broches sur lesquelles il faisait rôtir à la main des poulets entiers.

Alors qu'il s'approchait des échoppes, affamé, Evrard remarqua un nombre important de gardes qui patrouillaient, bien plus que d'habitude.

Par réflexe, le Chevalier se plaqua contre la colonne d'une galerie pour rester hors de leur vue. Tendu, il les regarda discrètement. Ils ne semblaient pas chercher quelqu'un en particulier, se contentant de rappeler à l'ordre celles et ceux qui ne se tenaient pas tranquilles. Cela le rassurait un peu, au moins, ils n'étaient pas là pour lui, même s'il songea que cette fois il aurait dû prendre son épée. Dans la densité de la foule, son sentiment de vulnérabilité lui déplut. Pour mieux adapter son comportement, il devait savoir ce qu'il se passait.

Evrard sortit prudemment de sa cachette. Tout en observant ce qui l'entourait, il tapota l'épaule d'un marchand qui se retourna, visiblement mécontent d'être interrompu dans sa criée.

— Pourquoi toute cette agitation, l'ami ? demanda-t-il, sans se démonter. Qu'est-ce qu'il se passe ?

Le marchand le regarda comme s'il était sot :

— Tu ne sais pas ? La reine Catherine va défiler en ville avec toute sa Cour. Il faut bien leur créer un passage de libre. Laisse-moi travailler maintenant ! ajouta-t-il en le chassant d'un geste de main impatient.

Cette information inquiéta Evrard, qui savait d'expérience que la richesse appelait le vol. Un cortège royal et une population nombreuse pour y assister, les brigands sauteraient sur la première occasion pour commettre un forfait. À présent, il regrettait sérieusement de ne pas avoir pris ses armes pour se protéger en cas d'attaque. Un mouvement de foule, un vent de panique, un coup de couteau bien placé, inutile d'être un duelliste hors pair pour réussir un méfait pareil.

Le Chevalier s'éloigna de l'agitation. Les ruelles parallèles étaient moins peuplées, mais il trouva tout de même une échoppe qui vendait de la bière. Le commerçant engagea la conversation, mais Evrard y mit un terme en apercevant du coin de l'œil deux hommes, à l'aspect douteux, lorgner un peu trop avidement sa bourse.

Les sens aux aguets, il s'enfonça davantage dans le dédale de ruelles. Les forbans tentèrent de le suivre, mais connaissant les lieux mieux qu'eux, les semer fut un jeu d'enfant. Un rapide coup d'œil par-dessus son épaule lui confirma leur abandon, et il put se détendre et profiter de sa bouteille de bière, qui était moins mauvaise à la deuxième gorgée qu'à la première.

Son rythme cardiaque s'accéléra subitement. Inconsciemment, ses pas l'avaient conduit jusqu'à une maison qu'il connaissait bien. Sur le porche, adossée contre l'encadrement de la porte, une jeune femme faisait des sourires charmeurs à tous les hommes qui passaient devant le bordel. Lorsqu'elle tourna la tête dans sa direction et qu'elle l'aperçut, Florie changea aussitôt de posture pour prendre un air plus lascif encore.

— Bonjour Chevalier, lança-t-elle de sa voix la plus séductrice.

— Bonjour belle demoiselle, répondit-il en s'avançant vers elle.

Florie avait toujours été sa préférée. Elle le savait, et certainement qu'elle en jouait. Un peu. Même s'il préférait penser que la fille de joie était sincère quand elle lui affirmait qu'il était un bon amant.

Il monta les quelques marches du perron et posa sa main contre le mur, à quelques centimètres de la longue crinière blonde de la jeune femme.

— C'est un plaisir de te revoir, ajouta-t-il.

— Plaisir partagé, affirma-t-elle. C'était très ennuyeux sans toi.

Elle fit glisser un doigt sur sa lèvre encore fendue de sa dernière bagarre :

— Toi, en revanche, tu sembles avoir une vie de plus en plus agitée, commenta-t-elle.

— Je ne tiens pas en place.

— Sois prudent tout de même...Avec le cortège qui va passer, les rues sont infestées de truands. Je ne voudrais pas qu'il t'arrive malheur...ajouta-t-elle d'un ton suggestif.

Evrard sourit à son geste d'affection :

— Tu m'as manqué, déclara-t-il d'un ton suave.

— Je l'ai remarqué à tes nombreuses missives, ironisa-t-elle.

Mais son sourire et son regard lui indiquèrent qu'elle ne lui en voulait pas. Au contraire.

— Tu en veux ? proposa-t-il en lui tendant sa bouteille.

Elle renifla, dégoûtée :

— Je préfère que tu me payes en pièces, répliqua-t-elle. La bière, c'est pas le genre de la maison.

— De la maison, non, mais le tien ?

Florie éclata de rire.

— Tu sais bien que je ne peux rien te refuser, Chevalier, minauda-t-elle. À toi encore moins qu'aux autres.

— Ne parle pas d'eux, gronda-t-il. Je ne veux pas savoir.

— Je t'ai vexé ?

Evrard ne savait jamais s'il devait se mettre en colère ou rire quand elle lui parlait ainsi. Florie avait cette insolence, cette nonchalance qui la rendait irrésistible. Tout comme ses longs cheveux blonds, ses yeux de biche et ses courbes généreuses.

Il glissa une main dans sa bourse et lui tendit une pièce.

— Pour une heure, ça ira ?

La jeune femme fit une moue faussement dubitative :

— Tu tiendrais une heure ?

Il s'approcha d'elle jusqu'à ce que son torse se colle à sa poitrine, fit glisser une main sur le creux de ses reins en descendant sur sa croupe. Il se pencha sur son cou et souffla :

— Je peux te le prouver, maintenant si tu veux...

En se redressant, il vit un éclat dans ses prunelles et ses joues avaient pris une adorable teinte rosée.

— Suis-moi.

Elle lui attrapa la main et le tira à l'intérieur. Ils montèrent précipitamment les escaliers et s'enfermèrent dans la chambre de Florie. Evrard la plaqua aussitôt contre le mur et embrassa chaque parcelle de son corps, la dénudant au fur et à mesure qu'elle haletait contre son torse. Elle lui griffa le dos en retirant sa tunique, glissa ses doigts dans ses cheveux pour l'embrasser encore plus passionnément. Florie enroula ses jambes autour de son bassin et soupira dans son cou:

— Toi aussi, tu m'as manqué, beau Chevalier...

Kratzouille29 & Nikkihlous

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