69. Evrard
— Comment se fait-il que vous voyagez ensemble ? demanda Lord Byron.
Evrard voulu se contenter de lui annoncer qu'il n'était que son guide, mais Catriona le devança :
— C'est mon fiancé, Evrard Le Gall, présenta-t-elle d'une voix essoufflée. Merci de lui faire bon accueil...
Evrard la contempla avec des yeux ronds, stupéfait. Même Lord Byron semblait interloqué à cette annonce et les observait bouche bée.
— J'ignorais une telle nouvelle, s'exclama-t-il en lançant un coup d'œil furtif au Chevalier. Je suis ravi de l'apprendre, toutes mes félicitations ! Je suis content que vous ayez trouvé le bonheur auprès d'un homme de si haute prestance, ajouta-t-il en serrant les doigts de Catriona dans les siens.
— Je vous remercie.
— Avez-vous déjà commencer les préparatifs ?
— Cela tarde encore, intervint précipitamment Evrard avant qu'elle ne réponde.
Il ne manquait plus qu'elle prétende que la date soit déjà fixée !
— Chaque chose en son temps, raisonna Lord Byron. Quel dommage que je n'ai pas eu l'occasion de participer à un tel événement ! Pourrais-je me rattraper en organisant une fête en votre honneur ?
— Ce sera avec plaisir, le remercia la jeune femme en inclinant légèrement la tête en signe de gratitude.
— Nous sommes vos obligés, opina Evrard à contrecœur.
— Je vous en prie, suivez-moi, les invita-t-il en désignant son carrosse.
L'un de ses gardes leur ouvrit la portière mais Evrard ne laissa personne s'approcher de Catriona, préférant l'aider lui-même à monter dans l'espace exigu de la voiture. Il l'installa confortablement sur la banquette, mais lorsqu'il voulut redescendre, Lord Byron lui barra le passage :
— Restez avec nous ! protesta-t-il. J'ai hâte de m'enquérir de toutes vos aventures ! L'un de mes hommes s'occupera d'emmener votre cheval...
Evrard n'osa pas lui avouer que dans sa précipitation, il n'avait pas demandé le consentement de son propriétaire pour l'emmener avec lui. Lord Byron appela le dénommer Arran qui fronça les sourcils au fur et à mesure de ses paroles. Lorsqu'il eut terminé, ce dernier protesta dans un gaélique si furibond qu'Evrard eut presque de la peine pour lui. Mais malgré son expression renfrognée, il attrapa les rênes du cheval et l'entraîna derrière lui en direction de la route.
— Voilà une bonne chose de faite, apprécia le Lord en frottant ses mains d'un air satisfait. Soyez sans crainte ; Arran saura en prendre grand soin.
— Parfait, répliqua Evrard avec indifférence.
Il était bien trop préoccupé par l'état de Catriona pour se soucier de quoi que ce soit d'autre. Leur hôte donna un ordre dans sa langue à son cocher et referma la porte sur eux. Le carrosse s'ébranla lentement pour rejoindre le chemin. Par la fenêtre, le Chevalier aperçut les soldats les encadrer solidement.
— Je suis heureux de pouvoir vous accueillir dans mon domaine, reprit-il en s'installant plus confortablement sur la banquette en face d'eux. Je vais mettre à votre disposition tout le confort nécessaire pour que votre séjour vous soit agréable.
— Merci, répliqua Catriona.
Evrard se rembrunit imperceptiblement. Il n'avait plus l'habitude de séjourner dans le luxe d'un manoir. Et la dernière fois qu'il avait franchi les portes d'un château, c'était pour se retrouver enfermé dans les cachots de son frère aîné. Il doutait que cette nouvelle existence lui plaise.
— Vous constaterez que le domaine n'a guère changé au cours de ces dernières années, poursuivit-il en regardant la jeune femme avec émotion. Vous souvenez-vous du parc dans lequel vous jouiez enfant ?
— Et de la vieille haquenée sur laquelle vous m'appreniez à monter, acquiesça-t-elle.
— Que de merveilleux souvenirs j'ai de vous à cette époque ! Savez-vous, cher ami, que cette ravissante demoiselle avait un caractère bien trempé quand elle était petite ? ajouta-t-il en s'adressant à Evrard.
— Cela ne m'étonne guère, répondit-il. Elle le possède toujours, d'ailleurs.
— Mon épouse avait bien du mal à la garder concentrée, évoqua-t-il, le regard brumeux. Que de temps passé à veiller sur elle !
— Je suis devenue bien plus assidue par la suite. Et plus calme.
— Tant mieux. Il faut un esprit rigoureux pour diriger un domaine. Avez-vous déjà eu l'occasion de le faire, Evrard ?
— Non, répondit-il sans détour. Mon seul héritage est mon épée.
— Vous n'êtes pas fils unique ? s'étonna-t-il en fronçant les sourcils. Je croyais que vous étiez le seul héritier mâle ?
— Ce n'était pas le cas, il y a peu.
Le Chevalier ne voulait pas dévoiler son lien de parenté avec la famille De Ferrand, de peur que leur hôte ne change d'attitude à son égard, même s'il aurait été plus honnête de lui avouer la vérité. D'autant plus qu'il ne tarderait certainement pas à la découvrir. Il le regardait déjà avec un intérêt grandissant, comme s'il savait qu'il ne lui disait pas tout.
— Vous allez très vite vous y habituer, continua-t-il comme si de rien n'était. Si vous avez la même adresse pour diriger un domaine que de gérer le caractère de votre dulcinée, vous réussirez sans mal à rendre à Loveday Hall ses lettres de noblesse.
— Je m'y efforcerai, marmonna-t-il, nullement impressionné par cette soudaine pression.
— Je ne me fait aucun souci pour vous deux, assura-t-il en inclinant la tête vers Catriona d'un air courtois. Vous me paraissez être un couple à la complicité solide.
— Nous le sommes, approuva-t-elle en adressant un sourire à Evrard.
Il le lui rendit avec un peu moins d'entrain. A quoi était-elle en train de jouer ? Pourquoi lui mentait-elle alors qu'elle n'avait cessé de lui affirmer qu'ils pouvaient lui accorder leur confiance ?
Catriona se mit à grimacer. Elle n'aurait pu faire autrement car la route était sinueuse et irrégulière, parsemée de pierres et de nid-de-poule contre lesquelles les roues du carrosse butaient régulièrement. Son état de faiblesse ne lui permettait pas de supporter le voyage et d'admirer les paysages de son enfance.
— Tout va bien ? s'inquiéta-t-il.
— Oui...Pardonnez-moi, murmura-t-elle, sa tête dodelinant dangereusement au rythme des secousses. Je suis épuisée...
— Je comprends, agréa Lord Byron avec gravité. Vous êtes passée par tant d'épreuves éprouvantes ! Reposez-vous, nous vous réveillerons à notre arrivée. J'aurai même une surprise qui vous attend !
— J'ai hâte de la connaître, murmura-t-elle avant de fermer les yeux et de sombrer sans un profond sommeil, la tête posée contre l'épaule d'Evrard et un bras encerclant son torse pour se caler tout contre lui.
— Quelle jeune femme remarquable, commenta Lord Byron dans un murmure pour ne pas la réveiller.
— Oui, elle est pleine de surprises.
— C'est tout de même curieux ; vous ne m'avez pas donné le même nom qu'elle, souligna-t-il avec beaucoup d'intérêt.
— Catriona vous a donné celui sous lequel je me suis rebaptisé, répondit-il. Mais je ne vous ai pas menti lorsque je vous ai dit que j'étais un De Néel par le sang de ma mère.
— Je vous crois volontiers, répliqua-t-il. Mais je ne comprends pas pourquoi elle a prétendu que vous étiez fiancé alors qu'il n'en est rien.
— Parce qu'elle est bête.
Avec beaucoup de douceur, il replaça une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Sans doute a-t-elle pensé qu'elle me protègerait si elle prétendait que nous étions destinés à nous unir, ajouta-t-il distraitement sans cesser de la contempler. Et vous avez fait semblant de la croire.
— Je pense qu'elle a bien assez souffert dans sa vie. Si elle est heureuse de prétendre être votre promise, cela me convient. Pour le moment, ajouta-t-il en lui lançant un regard pénétrant. J'ose espérer que j'ai affaire à un homme d'honneur.
— Je n'ai rien fait et ne ferai rien pour la compromettre.
— Je l'espère, dans votre intérêt. J'ai beaucoup d'affection pour elle. Ma femme et moi l'avions toujours considéré comme notre fille.
— Et je suis persuadé que vous lui avez donné bien plus que Dame D'Usez.
Lord Byron grimaça à l'évocation de la mère de Catriona, comme s'il avait mangé quelque chose de très acide.
— Elle vous en a parlé ?
— J'en sais assez pour ne pas avoir envie de la rencontrer.
— C'est la sensation qu'elle donne à tout le monde. Une femme aigrie et odieuse avec son entourage, surtout avec sa propre fille.
Il jeta un coup d'œil à Catriona, comme pour s'assurer qu'elle dormait profondément, avant de se pencher vers Evrard.
— Jane ne voulait pas d'elle, chuchota-t-il. Elle détestait aussi Seumas, mais elle ne pouvait pas passer à côté d'un si bon parti. Et quand Catriona est arrivée, elle a dirigé contre elle toute sa frustration et sa rancœur. Ma femme, Lady Byron, était présente lors de l'accouchement. Si vous aviez vu sa déception et sa colère lorsqu'elle a tenu son bébé dans les bras pour la première fois !
— Je suppose qu'avoir une fille n'entrait pas dans ses projets, devina-t-il.
— Cela l'a fortement contrarié, affirma-t-il avec vigueur. Même la mort de son mari ne l'a pas fait décolérer.
— Si mes souvenirs sont exacts, Catriona était très jeune quand cela est arrivé...
— Elle n'avait que six jours. Quelle terrible perte cela dû être pour elle, de grandir sans père...J'ai tenté de remplir ce rôle au mieux. C'était bien le moindre service que je pouvais rendre à Seumas ! Ma femme s'était occupée de son éducation, et de lui apporter toute l'affection dont elle avait besoin.
— Il ne fallait pas compter sur Dame D'Usez pour cela, n'est-ce pas ?
— Cela aurait été trop demander. Lorsqu'elle a accepté la demande en mariage du Marquis D'Usez et qu'elles sont parties en France, ma femme les a accompagnées. Elle craignait que Jane en profite pour s'en prendre à Catriona.
— Elle m'a dit que votre épouse est décédée au couvent...commença le Chevalier d'un ton hésitant.
— C'est exact, murmura-t-il avec tristesse. C'était une femme remarquable, si douce...
— Mes plus sincères condoléances.
Lord Byron hocha la tête en guise de remerciement et son regard se perdit quelques instants à travers la fenêtre. Evrard jeta un coup d'œil à Catriona qui dormait toujours, confortablement lovée contre lui. Maintenant qu'elle se sentait en sécurité, elle paraissait beaucoup plus détendue, malgré la pâleur de son visage et son front encore brûlant de fièvre.
— Jane est la cause de tout, reprit soudain le noble avec une lueur féroce dans le regard. Je suis prêt à couper ma main droite si elle n'a pas fomenté un mauvais coup contre ma femme.
— Que voulez-vous dire ? s'étonna Evrard en relevant la tête vers lui.
— Catriona vous a expliqué comment ma femme était morte ? Il paraît que la fièvre l'a terrassée, déclara-t-il. Mais je n'en ai jamais cru un seul mot.
— A quoi pensez-vous ? Un empoisonnement ?
— Est-ce inconcevable ?
— Je l'ignore...
Evrard préférait rester prudent sur le sujet. Il ne connaissait la Marquise D'Usez qu'à travers les paroles de Catriona et de Lord Byron. Il n'avait aucune raison de douter de leur bonne foi, mais le Chevalier ne savait que trop bien ce que des accusations précipitées pouvaient avoir comme conséquences.
— J'espère qu'à présent, elle sera à l'abri, souhaita le Lord. Je ferais tout pour que cette jeune femme soit heureuse et en bonne santé.
— Moi aussi, je ferai ce qu'il faut pour la protéger.
Entre ses bras, Catriona esquissa un léger sourire, comme si elle l'avait entendu.
Kratzouille29 & Nikkihlous
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