54. Catriona

Le lendemain matin, Dunkerque se dessinait sous leurs yeux. Une énorme arche faite de pierre était gardée par des soldats espagnols, la ville leur avait été confié suite au traité d'avril de la même année, il y a peine deux mois de cela.

Evrard et Catriona passèrent sans accroc. Ils empruntèrent le grand pont fait de bois, se mélangeant avec les fermiers, les marchands et la population qui allaient et venaient des remparts. Le martèlement des sabots de leur monture ne cessait de résonner à travers le brouhaha incessant, alors qu'ils pénétraient dans l'enceinte fortifiée.

Au fond de la rue, la grande tour surplombant la ville avait fière allure, bien qu'elle fût la seule debout. Toujours à ses pieds, les ruines de l'église catholique détruite par l'assaut français de l'an passé, gisaient misérablement.

— Regardez la splendeur de ce monument, déclara la jeune femme, subjuguée par sa hauteur.

Le Chevalier lança un rapide coup d'œil dans la direction du beffroi, mais très vite, il délaissa la vue pour se remettre sur ses gardes, inquiet. Et lorsqu'un marchand s'approcha d'un pas rapide vers Catriona, son avant-bras se planta sous la gorge du pauvre homme qui s'arrêta net, terrifié.

— Qu'est-ce que tu veux ? s'enquit Evrard.

— Rien, rien, geignit-il, tremblant.

Le Chevalier agrippa rudement sa chemise et le marchand leva les bras. Dans sa main, une petite pierre d'un bleu azur pendait à une fine cordelette tressée.

— Je voulais juste proposer mes bijoux à la dame, ajouta-t-il d'un ton instable.

— C'est très beau, mais nous ne pourrons pas l'acheter, l'informa Catriona avec douceur.

Evrard relâcha brutalement sa poigne et l'homme fit une rapide révérence avant de s'éclipser dans la foule.

Au loin, ils aperçurent l'enseigne d'une auberge. La maison était collée à d'autres, toutes construites en briques rouges et en pierre. Au bout de la rue, plus rien n'avait résisté à l'incendie, des décombres encore calcinés trônaient entre les édifices encore debout.

— Pourquoi nous arrêtons-nous ? demanda Catriona tandis qu'Evrard immobilisait la monture. Je vous rappelle que nous n'avons pas d'argent pour payer un lit ce soir. Je n'ai plus que ça qui, je l'espère, sera suffisant pour le bateau, indiqua-t-elle en lui montrant ses bagues.

Il se gratta la nuque, réfléchissant un instant.

— Nous pouvons vendre le cheval, proposa-t-il. Il est en bonne santé et semble très jeune. Avec la selle et le harnachement, nous pourrions sûrement en tirer un bon prix.

La noble haussa les épaules.

— Bien, faisons cela.

Evrard guida le cheval dans les rues jusqu'à la place principale qui grouillait d'activités. De nombreuses échoppes s'étaient installées à cet endroit et vendaient leurs produits aux passants. Un grand puit trônait en son centre autour duquel un groupe de femmes s'étaient rassemblées pour tirer de l'eau et échanger les derniers potins. Les marchands rivalisaient d'ingéniosité pour vendre à grand cri leurs dernières confections et une odeur nauséabonde s'élevait d'une dizaine de cages dans lesquels s'entassaient des poulets. Le Chevalier dérangea un commerçant en pleine négociation avec un client.

— Hey l'ami, tu sais où je pourrais trouver un repreneur pour ce cheval ?

— A l'écurie plus loin, le propriétaire cherche toujours des canassons en bonne santé, répondit-il avec impatience.

— Merci.

Ils se faufilèrent dans la foule à la recherche de l'établissement. Quelques mètres plus loin, une grande étable leur fît face. Evrard aida Catriona à mettre pieds à terre et ensemble, ils entrèrent à la recherche du maître des lieux. Mais il n'y avait qu'un enfant débrayé occupé à nettoyer un box à l'aide d'une fourche. Il s'en approcha doucement et lui tapota l'épaule.

— Petit, où est le bailleur ?

L'enfant sursauta et recula.

— Je vais le chercher, M'sieur ! rétorqua-t-il en déposant son outil contre le bois.

Il s'enfonça plus profondément dans l'établissement en appelant à grands cris :

— Mon oncle, mon oncle ! Quelqu'un veut t'voir, mon oncle !

Quelques secondes lui suffirent pour revenir avec un homme d'âge mûr, couvert de poussière.

— Qu'est-ce que je peux faire pour vous ? se renseigna-t-il d'un ton plein d'entrain.

— Nous cherchons à vendre ce cheval.

— Vous avez les papiers ? demanda-t-il en tournant autour de la monture.

— Non, répliqua Evrard d'une voix grave. Mais la selle et les brides sont incluses.

— Je vois...

L'homme l'examina de plus près, passant de sa croupe à sa tête, puis ausculta ses dents.

— Un homme cherche justement un bon palefroi pour sa femme. ... – il réfléchit un instant – Je peux vous donner vingt-cinq sols.

— Avez-vous compté le harnachement ?

Le marchand soupira.

— Pas plus de trente pièces, c'est mon dernier prix.

Evrard considéra longuement cette réponse. Catriona devina qu'elle ne lui convenait pas. Mais ne souhaitant pas prolonger les négociations plus que nécessaire, elle prit la décision à sa place.

— Accepté.

Son guide lui lança un coup d'œil exaspéré auquel elle répondit par une moue de défi. Le bailleur récupéra le cheval et leur versa leur dû.

— Trente sols ? fustigea-t-il en sortant de l'écurie. Vous avez perdu la tête ?

— Et bien quoi ? protesta-t-elle en haussant les épaules. C'est bien assez pour une chambre, j'ai vu l'écriteau sur la devanture de l'auberge.

— Et le bateau ? Vous y avez pensé ?

Son silence gêné eut guise d'aveux. Il secoua la tête.

— On aurait pu en tirer quinze sols de plus, ronchonna-t-il. Qu'importe, maintenant c'est fait.

Il prit la main de la jeune femme et se fraya un chemin dans la foule à la recherche du port. De nombreux bateaux étaient accostés sur les quais et la plupart des équipages étaient à leurs bords entrain de réparer les dommages causés par les intempéries des derniers jours. Les martèlements des outils leurs parvenaient distinctement au milieu des ordres et des encouragements braillés dans différentes langues.

Le Chevalier observa les différents navires présents et se décida sur un grément devant lequel cinq marins se pressaient pour embarquer les différents tonneaux et caisses.

— Ne lâchez pas ma main, chuchota-t-il à la jeune femme. Hey toi !

L'un deux releva la tête et se désigna du doigt d'un air circonspect.

— Oui, toi, répondit Evrard. Nous souhaitons rejoindre le port d'Edimbourg.

— Nous allons à Killybegs, répondit le marin. Allez voir le capitaine du Petit Jean, il traîne toujours aux abords de son galion, vous ne pourrez pas le manquer.

— Merci !

Evrard entraîna Catriona à sa suite le long du quai. Quelques mètres plus loin, ils distinguèrent le fameux trois mâts. Cela ne pouvait être que lui , car un homme s'affairait en beuglant en scots à son équipage. Il portait tout l'attirail des écossais, avec le kilt, le sporran, le plaid jeté sur l'épaule et retenu par une superbe broche en argent.

— Nous ne pouvons pas aller le voir, contesta la jeune femme en retenant fermement Evrard.

Il arqua un sourcil, intrigué.

— Que se passe-t-il encore ? Son drôle d'accoutrement n'est-il pas spécifique à l'Ecosse ? Il y a de grandes chances qu'il y fasse voile.

— C'est un protestant. Et il le revendique, objecta-t-elle. Regardez sa broche !

— Qu'est-ce qui vous inquiète ? Qu'il devine que nous sommes catholiques ?

— Parce que vous, cela ne vous inquiète pas ?

— Ce n'est pas inscrit sur notre front que je sache, rétorqua-t-il.

Catriona croisa les bras, butée.

— Bien, concéda-t-il dans un soupir. Nous allons encore chercher.

Mais après plusieurs allers-retours infructueux sur les quais, ils durent se rendre à l'évidence que le Petit Jean était le seul à voguer vers l'Ecosse.

— Nous n'avons guère le choix, asséna-t-il en regardant en direction du grément. Ne vous inquiétez pas, nous n'avons rien sur nous qui prouveraient que nous ne sommes pas de foi protestante.

La jeune femme campa sur ses inquiétudes.

— Et s'ils l'apprennent ?

— Et comment voulez-vous ... ?

— Je ne sais pas ! le coupa-t-elle d'une voix stridente, anxieuse.

— Dans ce cas, proposez-moi un plan.

— Je le répète ; je ne le sais pas.

Evrard fronça les sourcils.

— Vous comptez y aller à la nage ?

— Je ne répondrais plus à vos sarcasmes.

— Dans ce cas, permettez-moi de suivre mon idée.

Il tira la noble par la main et se présenta au capitaine, qui remplissait un registre assis sur une chaise en bois. L'écossais leva la tête dans leur direction, tout ouï. Après un court silence, Evrard se renseigna auprès de lui.

— Nous recherchons à gagner le port d'Edimbourg.

Sans sourciller, le capitaine répondit :

— Et ? Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

— Vous voguez vers ce port.

— Qui vous l'a dit ?

Les yeux du Chevalier fixèrent un instant le kilt fait de tartan. L'homme soupira bruyamment.

— Combien tu payes ? s'enquit-il.

— Quinze sols ?

— Pour vous deux ? Cinq de plus et ça fera l'affaire, insista-t-il d'un regard froid.

Evrard acquiesça d'un signe de tête.

— Nous partirons demain avant midi. Tâchez d'être présent. Nous ne vous attendrons pas et tu payes maintenant.

— La moitié de suite, l'autre lorsque nous serons à bord.

Le capitaine fit la grimace.

— Entendu, je n'ai pas que ça à faire de toute façon, je suis un homme occupé. Falbh a-mach!

Catriona et Evrard retournèrent à l'auberge qu'ils avaient vu plus tôt. Deux ivrognes en sortirent en titubant et en manquant de les heurter. A l'intérieur, des lustres en laiton éclairaient faiblement la surface rugueuse des tables en bois et un feu ronflait dans la cheminée. Une odeur avinée et piquante flottait dans l'air, se mélangeant aux effluves de soupe. Face à eux, derrière son comptoir, la gracieuse figure du tenancier les accueillit. Evrard s'accouda au bar, alors que Catriona prit la parole :

— Bonjour, nous aimerions une chambre pour la nuit.

— C'est dix sols.

— Dix sols ? répéta Evrard d'un ton étonné.

— Nous sommes fort imposés, reprit-il d'un ton grave et pleins de reproches. Alors, vous payez ? Ou vous partez.

Catriona sentit Evrard se tendre sous ses mots et le devança.

— Nous la prenons.

Elle regarda le Chevalier avec insistance, qui soupira avant de déposer les quelques pièces sur le comptoir.

— Vousallez nous ruiner. Aucune gestion de l'argent...marmonna-t-il dans sa barbe.

Nikkihlous & krazouille29

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