52. Catriona
Un flux de pensées noires assaillait incessamment son esprit, alors que ses doigts tâtonnaient sa plaie qui allait certainement lui marquer la peau à jamais.
Tandis que le martèlement des sabots du cheval résonnait sur le chemin de terre battue, Catriona se perdit au plus profond de son être. Sa propre mère avait voulu la tuer et Amaury n'était devenu qu'un pion sur son infâme échiquier. Elle avait ôté la vie d'un homme, de la même manière que Dieu en avait pour habitude. Son regard se posa sur ses doigts, et sur cette main, celle qui avait eu la force de planter ce couteau dans la gorge de Rodolphe. Pendant un instant, la jeune femme se remémora le visage du mercenaire qui, elle en était certaine, allait la hanter toute une vie.
La noble était lassée de la route, dépitée et anéantie. Sa tête divaguait ; c'était inique. Tous ces événements régnaient au travers d'une terrible injustice.
Les poches sous ses yeux marquaient la fatigue accumulée de ces derniers jours, son existence ne lui avait accordé aucun répit, la poignardant mentalement de la même manière que cette lame s'était enfoncée, tailladant à vif sa chair de porcelaine. Sans compter Gauthier et ses soldats...
Elle se frotta les yeux avec une étrange impression de déjà-vu. Elle sentait monter un sentiment qu'elle ne connaissait que trop bien ; la colère. Pourtant, sa naissance n'avait pas lieu d'exister, pas maintenant. Elle espérait qu'Evrard ne remarquerait pas son trouble, mais plus les secondes passaient et plus elle bouillonnait. Après tout, c'était entièrement de la faute de ce maudit Chevalier si elle avait été blessée et qu'ils arpentaient cette énième route sinueuse.
Catriona se sentait de plus en plus mal. Son corps se crispa, ses nerfs flanchèrent progressivement. Sa petite voix intérieure en était la cause, accablant son guide de tous ses maux et la faisant regretter de l'avoir fait sortir de sa geôle.
Soudain, il lui semblait étouffer. D'un bond, elle sauta de la selle.
— Catriona ?
Elle sursauta à l'entente de son prénom. Evrard tira sur les brides pour immobiliser la monture. Son expression irritée la faisait bouillonner davantage encore, comme s'il la prenait de haut.
— Que faites-vous ? demanda-t-il.
Bon sang, elle ne supportait même plus sa voix. Tout l'énervait en lui, de sa personnalité méthodique à son ton condescendant. Cela la rendait jalouse.
Elle en était absolument jalouse.
— C'est de votre faute tout ça !
Evrard eût un long soupir.
— A quoi vous vous attendiez ? Que le monde est beau, rempli d'arcs-en-ciel, que les gens sont bons, gentils ? Je suis désolé de vous l'apprendre, mais les leprechauns n'existent pas plus que les sorcières ou les bêtes féroces.
— Je... Je... Vous portez la poisse, voilà tout ! s'écria-t-elle en toute mauvaise foi, frappant le sol de sa botte.
Evrard soupira à nouveau en levant les yeux au ciel. Il se gratta la nuque et reporta son attention sur elle sans faire le moindre commentaire, comme s'il attendait qu'elle poursuive.
— Vous attirez les ennuis comme le fumier attire les mouches. Vous êtes maudit.
— Reprenez-vous, mordiable, je n'ai pas envie de gérer les caprices d'une enfant.
— Je ne suis plus une enfant ! Vous ne m'écoutez jamais. Cela fait des jours que je vous suis comme un petit chien sans que vous me demandiez mon avis.
— Normalement, un guide passe toujours en premier.
— Pour éviter les ennuis ? Voyez-vous, c'est pire.
— On n'est pas encore mort que je sache.
— Quelle catastrophe pourrait bien nous tomber dessus ? Regardez l'état de ma robe, de mes cheveux, mes ongles ! Ils sont couverts de terre.
— Mais vous respirez.
— Evidemment que j'inspire et expire ! s'agita-t-elle en tout sens. Bien sûr que je suis parfaitement calme.
— Ça se voit, susurra-t-il avec un sourire narquois.
— Ne me prenez pas pour une imbécile. C'est de votre faute !
Son doigt pointa scrupuleusement la poitrine d'Evrard, et si cela avait été un glaive ou une épée, elle aurait eu aucun scrupule à l'employer.
— En quoi est-ce de ma faute ? Vous êtes venu me chercher en prison.
Elle abaissa la main et détourna la tête.
— La plus belle erreur de ma vie, murmura-t-elle. J'aurais eu mieux fait de mourir à la place de Tavish, ajouta-t-elle, la gorge nouée.
Ses mains s'aventurèrent dans ses boucles négligées. Un de ses doigts se coinça dans un nœud et lui arracha un juron alors que son pied frappa à nouveau le sol.
— Tavish ?
— Mon chien, cracha-t-elle avec dédain.
— Vous enviez le sort de votre chien ? reprit Evrard en secouant la tête d'un air incrédule. C'est ridicule. Vous êtes forte.
— Vous disiez pourtant que j'étais d'une incroyable stupidité ! gronda-t-elle en plantant son regard noir dans sa direction.
— J'ai également dis que vous étiez la bêtise personnifiée. Comme quoi, je ne suis pas infaillible.
Un petit rire nerveux s'étrangla dans sa bouche et elle posa une main sur sa tempe.
— J'en ai assez de vous.
Tout en faisant les cent pas, Catriona se mit à bougonner envers elle-même.
— Est-ce que vous pouvez continuer vos pas en les faisant toujours dans la même direction ? Cela nous permettrait d'avancer, proposa Evrard.
Catriona le foudroya du regard.
— Vous n'êtes qu'un cuistre, stupide et arrogant.
— Et vous, vous devenez vulgaire.
La jeune femme lui tourna le dos et poursuivit la route, essayant d'oublier jusqu'à sa présence. Elle entendit le bruit des sabots reprendre et le vit la suivre du coin de l'œil. Elle tenta de retrouver son calme, mais lorsqu'un soupir retentit à ses côtés, sa colère reprit de plus belle.
— Qu'est-ce que vous avez à soupirer ? Bon Dieu, pourquoi existez-vous ? fulmina-t-elle en ramassant une pierre et en la jetant avec hargne dans les fourrés.
— Actuellement, si j'existe, c'est simplement pour vous voir lancer des cailloux, ricana-t-il avec un demi-sourire. Ce spectacle vaut le coup d'œil.
Elle lui adressa un sourire perfide et dans un mouvement brusque, elle s'élança hors de la route et s'enfonça dans les bois. La jurons du Chevalier firent écho entre les arbres, la faisant rire. L'entendre pester valait tout l'or du monde. Satisfaite d'avoir réussi à le pousser à bout, elle poursuivit sa course en évitant les ronces et les racines. Elle aurait voulu mettre plus de distances possibles entre eux, mais c'était sans compter ses longues jambes et son endurance qu'elle n'aura certainement jamais. Un torse dur comme du métal la heurta de plein fouet et des bras puissants se refermèrent autour d'elle.
— Cela suffit ! gronda-t-il.
La jeune femme tenta de le repousser avec ses mains mais sans succès. Elle céda sous la pression et ses jambes s'écroulèrent sous son poids. Surpris, Evrard la lâcha et elle atterrit durement sur le tapis de feuilles mortes.
— Si vous vous roulez par terre en hurlant, je vous bâillonne, l'avertit-il en se penchant au-dessus d'elle.
Son manque d'empathie à son égard lui fit monter les larmes aux yeux.
— Mordiable, ressaisissez-vous.
— J'en ai assez de tout !
— Courage, nous sommes bientôt arrivés au bout de notre périple et vous ne m'aurez plus sur le dos.
— Ce n'est pas ce que je veux, sanglota-t-elle.
— Vous voulez allez jusqu'en Ecosse, non ? Alors, levez-vous.
— Vous ne comprenez rien.
— Très bien, vous l'aurez voulu.
Il se baissa soudain et l'empoigna par les hanches. Un couinement surpris franchit ses lèvres lorsque ses pieds quittèrent le sol et que son ventre heurta l'épaule du Chevalier.
— Je ne suis pas un sac de pommes de terre ! tonna-t-elle.
— Avec toutes vos bêtises, vous ne me laissez pas le choix.
Hurlant à foison, ses mollets tentaient de lui donner des coups dans le ventre, tandis que ses petits poings frappaient son dos. Elle le sentit se raidir.
— Mordiable, mes plaies ! jura-t-il. Je vais vous attacher au cheval.
— Vous n'oseriez quand même pas ?
— Voulez-vous parier ?
— Vous n'être qu'un fieffé idiot !
Nikkihlous & Kratzouille29
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