48. Catriona
Alors qu'ils poursuivaient sur le chemin de terre, Catriona lança des coups d'œil furtifs au Chevalier se tenant à côté d'elle. Une mèche de cheveux s'était échappée de son chignon approximatif et se baladait devant ses yeux. Lorsqu'il cligna à plusieurs reprises pour finalement la remettre derrière son oreille, un sourire se dessina sur le visage de la noble. Sa barbe avait légèrement poussé depuis leur rencontre. Les cernes sous ses yeux marquaient la fatigue accumulée, mais certainement aussi la souffrance des plaies, des hématomes, qu'il était pourtant déterminé à lui cacher. Malgré tout ça, Catriona le trouvait toujours plaisant, attirant. Leur proximité dans la rivière lui avait plu, et rien que d'y repenser, ses lèvres esquissèrent une moue coquine.
— Pourquoi me regardez-vous ainsi ?
— Rien du tout, répondit-elle précipitamment.
Evrard leva un sourcil interrogateur, mais décida de ne pas approfondir, tandis qu'elle ralentissait, soudain songeuse.
Qu'est-ce que serait leur vie si elle et lui n'étaient rien de plus qu'un homme et une femme ordinaires ? osa-t-elle s'imaginer un instant.
Il ouvrait à présent la marche et elle en profita pour le contempler sans retenue. La différence entre le Duc et le Chevalier lui apparaissait d'une manière flagrante : D'un tout autre charme qu'Amaury, c'était un diamant beaucoup plus brut, taillées par des cicatrices enfouies profondément en lui et d'inlassables épreuves. Cet homme semblait avoir escaladé une montagne ou traversé un océan, juste par la force de ses bras. Fidèle dans ses convictions, il ne se laissait pas influencer. Face aux difficultés, il n'avait jamais dévié de sa version. Pour Catriona, c'était une preuve de courage et de fierté qu'elle considérait tout particulièrement. Il lui dévoilait rarement ses faiblesses et cela attisait sa curiosité et son envie de percer à jour ses mystères.
— Vous comptez les brins d'herbes ? lança-t-il par-dessus son épaule.
— Non, pourquoi ?
— Alors, avancez plus vite ! l'exhorta-t-il. Je vous rappelle que nous ne sommes pas entrain de faire une promenade champêtre.
Catriona trottina pour le rejoindre et lui donna un petit coup de hanche contre lui.
— Et maintenant ? le nargua-t-elle, le menton fièrement relevé.
— Vous ne voulez quand même pas que je vous tienne la main ?
— Je croyais que nous ne faisions pas de promenade champêtre ?
Il secoua la tête, agacé.
— Vous me fatiguez.
— Cela devient une habitude.
— Hélas.
Il accéléra une nouvelle fois le pas et elle s'efforça de maintenir l'allure à côté de lui.
— Dans combien de temps arriverons-nous à Dunkerque ?
— Quand vous cesserez de cueillir des marguerites.
Elle fit une moue boudeuse, vexée.
Catriona espérait que le missionnaire envoyé par Mairhead, de la Cour de France le soir de sa fuite, était déjà parvenu jusqu'à Lord Byron et lui avait remis la lettre. Ainsi, dès qu'elle débarquerait en Ecosse, elle pourrait réclamer le domaine de son père, tel attesté dans son testament.
Maintenant qu'elle avait atteint ses dix-huit ans, la jeune femme pouvait toucher son héritage, ses biens et ses terres. Pourtant, ce n'était pas ce qu'elle s'imaginait il y a encore quelques jours, alors que son fiancé occupait tout son esprit. Ce mariage avec le Duc Amaury De Crozat l'aurait mené vers une tout autre destinée. Elle serait devenue Duchesse d'un des plus grands duchés de France. Elle aurait mené une existence paisible, rythmé par la gestion domestique et l'éducation de ses enfants. Mais là voilà sur les routes, à des lieux de son confort, loin de ses amies Mairhead et Aileas, avec pour seul compagnon de route, un Chevalier cynique et l'espoir que son oncle honore sa parole.
C'était Lord Byron qui possédait les deux exemplaires du testament de feu Seumas Loveday le jour où ce dernier trépassa de la même maladie que le Roi Jacques V : le choléra. Catriona désirait si fort que tout puisse enfin s'arranger, qu'elle puisse revoir la maison de son enfance, les plages de galets et le paysage typique d'Ecosse. Elle pourrait même remercier Evrard en lui donnant le lopin qu'il désirait tant.
Ou, peut-être, partagerait-elle le domaine avec lui ?
Elle s'imagina soudainement devant l'autel, vêtue d'une magnifique robe en dentelle d'Italie. Quant à lui, il porterait des fanfreluches que les hommes instituaient progressivement et se mit à glousser.
Le Chevalier se retourna et haussa un sourcil interrogateur.
— Qu'est-ce qu'il y a encore ? bongonna-t-il.
— Vous...
Elle dû s'interrompre. Si elle avait continué, elle aurait éclaté de rire.
— Je...quoi ? demanda-t-il, une lueur à la fois curieuse et furieuse dans le regard.
— Rien, répondit-elle entre deux éclats. Je rêvasse comme toute femme de mon rang lorsque nous nous ennuyons.
— Marchez plus vite si vous vous ennuyez tant, lança-t-il en levant les yeux au ciel.
Catriona s'adossa au tronc d'un arbre tout proche, le corps secoué d'une hilarité à peine contenue.
— Est-ce que j'ai quelque chose dans le dos ?
Cet fois-ci, un fou rire incoercible et incontrôlé s'empara d'elle. Pliée en deux, les mains sur le ventre, elle tentait vainement de se reprendre. Evrard attendit patiemment, les bras croisés, qu'elle cesse de s'esclaffer.
— Est-ce qu'un jour, vous me ferez part de votre hilarité pour que je puisse rigoler aussi ?
Laissant libre court à son fou rire, elle parvint à peine à hausser les épaules.
— Rien du tout, tenta-t-elle d'articuler. Je vous imaginais juste...
— En train de faire quoi ?
— Avec une fraise, lança-t-elle avant de perdre une nouvelle fois sa contenance.
Il la regarda, interloqué.
— Le fruit ?
— Non, le vêtement.
— Vous avez vraiment des idées saugrenues ! s'exclama-t-il, horrifié.
Des larmes perlaient sur ses joues tandis que son estomac la faisait souffrir. Patient, Evrard attendait. Encore. Elle inspira à fond à plusieurs reprises, puis, quand elle estima s'être suffisamment ressaisi, elle s'écarta du tronc pour revenir sur le chemin.
Ils poursuivirent leurs routes pendant quelques minutes sans échanger un mot. Soudain, ce fût Evrard qui s'immobilisa, les sens aux aguets. La jeune femme l'imita, intriguée et inquiète.
— Qu'est-ce que vous avez... ?
— Silence, la coupa-t-il dans un murmure.
Il posa son index sur sa bouche pour lui intimer de se taire, la prit par le bras et l'entraîna dans un épais fourré non loin de là.
— J'ai entendu des voix d'hommes, expliqua-t-il à sa question silencieuse.
— Les soldats de Gauthier ?
— Attendez ici, je vais m'en assurer.
Il s'éloigna d'un pas furtif entre les arbres. Catriona patienta, angoissée à l'idée qu'ils aient été retrouvés. Pour rien au monde, elle voulait se retrouver face à Gauthier.
Les buissons frémirent sur le passage d'Evrard lorsqu'il revint auprès d'elle.
— Ce ne sont pas ses soldats. Suivez-moi et ne faites pas de bruit.
Elle obéit docilement, releva sa robe qui traînait sur les feuilles mortes et les branchages, pour éviter d'attirer l'attention. Elle imita le Chevalier lorsqu'il se cacha derrière un arbre, non loin de la route.
Devant eux, quatre hommes tentaient d'extraire un carrosse du fossé dans lequel il s'était embourbé. Ils s'invectivaient les uns les autres pour se donner du courage, mais le poids du véhicule les empêchait de le manier correctement et les éreintait. Depuis la fenêtre ouverte, le noble leur hurlait de se dépêcher. Les deux chevaux des gardes étaient attachés à un arbre non loin et broutaient, indifférents à ce qu'il se passait à côté d'eux.
— Nous allons prendre un de ces chevaux, murmura Evrard.
Les yeux écarquillés de la jeune femme réfutaient ce geste.
— Ce serait du vol ! protesta-t-elle.
— Franchement, au point où on en est, répliqua-t-il en haussant les épaules.
Elle secoua la tête d'un air réprobateur.
— Nous gagnerions un temps précieux.
— Mais c'est du vol ! répéta-t-elle. Cela est contraire à la loi.
— N'aviez-vous pas dit que la fin justifiait les moyens ? la rappela-t-il. Nous avons déjà commis un grand nombre de méfaits au cours de notre voyage...
Elle réfléchit quelques instants, mitigée entre son envie de respecter la loi et le désir de rejoindre Dunkerque au plus vite.
— Soit ! Faisons-le.
Evrard la regarda avec attention, attendant un reproche.
— Alors ? ajouta-t-elle d'un ton brusque.
— Je vais leur proposer mon aide. Pendant cette diversion, vous vous approcherez discrètement d'un des chevaux attachés et vous allez le libérer.
— Puis-je prendre le brun ?
Evrard leva les yeux au ciel.
— Si cela vous sied le plus.
La jeune femme acquiesça. Dans un soupir, Evrard sortit des buissons et s'avança dans leur direction pendant que Catriona les contournait à travers les bois.
— Qui va là ! hurla l'un des gardes en tirant légèrement sur le manche de son épée lorsqu'il le vit.
Evrard s'immobilisa à une bonne distance du carrosse et leva les mains en signe d'apaisement.
— Je ne suis qu'un modeste voyageur sans intentions malveillantes.
Depuis sa fenêtre, le noble le détailla froidement.
— Quelle est votre condition ?
— Chevalier.
— Parfait, vous allez vous rendre utile.
— D'où venez-vous? intervint le garde qui n'avait toujours pas lâché son épée.
— Je rentre chez moi, à Caen.
— C'est là que nous allons, déclara un homme grassouillet portant un manteau de cocher. Du moins, si ce maudit carrosse veut bien revenir sur la route.
Tandis que son compagnon s'approchait de la voiture, Catriona s'esquiva discrètement en direction des deux chevaux laissés sans surveillance. Elle se cacha derrière l'arbre et commença à défaire les rênes solidement nouées.
— Vous avez participé aux joutes ? demanda le laquais en tentant de pousser l'arrière du véhicule.
— Je suis très mauvais bretteur, j'ai très vite été éliminé.
— Etonnant que vous ne soyez pas resté plus longtemps, s'indigna le noble. Surtout aux vues des circonstances.
— Et vous, Monsieur ? ironisa Evrard.
— J'ai une affaire de la plus haute importance qui m'attend, siffla-t-il. Il y a eu un terrible accident, comme vous le savez certainement.
— Il y a toujours eu des morts et des blessés.
D'un geste qui se voulait discret, le deuxième garde porta sa main sur l'épée accrochée à sa ceinture.
— Ce n'est pas toujours le Roi, le blessé, rétorqua-t-il d'un ton accusateur.
Evrard comprit que le noble l'avait piégé. Catriona poussa un hoquet surpris. Le cochet tourna la tête dans sa direction et leurs regards se croisèrent.
— D'où sortez-vous ?
Ses yeux descendirent sur les rênes du cheval qu'elle tenait dans les mains.
— Vous n'étiez pas aux joutes ! hurla le garde en tirant son arme hors de son foureau.
Mais le Chevalier réagit bien plus vite. Il bondit vers lui et le frappa de toutes ses forces à la mâchoire, le faisant trébucher. Le laquais et le second soldat, stupéfaits n'eurent pas le temps de l'empêcher de rejoindre Catriona et de sauter en selle.
— Attrapez-les, beugla le noble en sortant du carrosse en enfonçant ses belles bottes cirées dans la boue.
Evrard attrapa Catriona pour la hisser devant lui et talonna sèchement le cheval pour le lancer au grand galop. Installée en amazone, elle tenta de toutes ses forces de s'agripper autour de son cou. Elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule massive et constata que le deuxième soldat avait rejoint sa propre monture et les poursuivait.
— Plus vite ! l'encouragea-t-elle.
— C'est au cheval qu'il faut le dire.
La jeune femme était ballottée en tout sens et commençait à glisser de la selle. Mais un bras puissant s'enroula autour de sa taille et la maintint fermement. Ils bifurquèrent brusquement entre les arbres et s'éloignèrent à vive allure pour échapper à leur poursuivant.
Nikkih et Kratzouille29
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