44. Catriona
Scènes pouvant heurter la sensibilité de certains /!\
Un bruit de métal s'entrechoquant sortit Catriona de ses rêves. Bien qu'elle ait cogité une bonne partie de la nuit au sujet de Rodolphe, la fatigue avait finalement prit le dessus. Elle se leva pour aller regarder par la fenêtre d'où venait ce tapage et remarqua plusieurs gardes dans les jardins alors que l'aube pointait à l'horizon. Ils se précipitèrent d'un bout à l'autre du terrain, les mains crispés sur leurs armes, s'invectivant à grands cris. Quoi qu'il était en train de se passer, cela devait être d'une grande importance.
Intriguée, la jeune femme se hâta de s'habiller et quitta sa chambre. Alors qu'elle tourna à l'angle du couloir, elle faillit entrer en collision avec une domestique.
— Bonjour Mademoiselle, la salua-t-elle avec une courte révérence. Avez-vous bien dormi ?
— Que se passe-t-il ? demanda Catriona en éludant sa question. Pourquoi autant d'agitation ?
— C'est justement à ce sujet que je viens vous chercher. Monsieur Rodolphe souhaite s'entretenir avec vous.
Elle sentit un frisson glacé lui parcourir la colonne vertébrale.
— Maintenant ?
— Oui. Si vous voulez bien me suivre.
Elle lui emboita le pas dans les escaliers et arrivées au palier du premier étage, elle aperçut Néline, immobile, les mains sur son ventre arrondi qui semblait l'attendre.
— Merci Elise, je vais prendre le relais.
La domestique ne chercha pas à discuter et s'en alla précipitamment à d'autres tâches. La châtelaine lui fit signe de la suivre en pressant le pas. A plusieurs reprises, elle jeta des coups d'œil nerveux autour d'elle comme pour s'assurer que personne ne les écoutait.
— Guislain s'est échappé, l'informa-t-elle dans un souffle. Gauthier est parti à sa recherche mais soyez sans crainte, il ne le retrouvera pas.
Catriona fût profondément soulagée d'apprendre cette nouvelle, mais ne parvenait pas à comprendre pourquoi elle n'était pas avec lui. L'avait-il abandonné ?
Un grand bruit retentit soudain et Néline se tût aussitôt. Deux soldats passèrent devant elles au pas de course, sans se préoccuper des deux femmes. Elle attendit qu'ils se soient suffisamment éloignés pour demander :
— Comment a-t-il fait pour s'échapper ?
— Il a reçu une aide externe.
— Vous ? s'étonna Catriona.
— Il n'y a pas que vous qui vous souciez du sort de Guislain.
Non loin, le cliquetis de la cotte de maille et du fer les fit taire à nouveau avant de s'éloigner dans la demeure.
Bien que réconforté de savoir Evrard en sécurité, Catriona ne put s'empêcher de ressentir une pointe d'agacement. Elle aussi avait désespérément cherché le moyen de sauver le Chevalier, mais Néline l'avait supplanté sans le moindre effort.
L'épouse de Gauthier lui prie la main et l'entraîna à sa suite dans le couloir.
— A présent, la priorité est de vous faire sortir d'ici à votre tour, lui chuchota-t-elle précipitamment.
— Et comment comptez-vous vous y prendre ? insinua-t-elle d'un ton ironique.
— Par la grande porte.
La jeune femme s'arrêta, interloquée.
— Je vous demande pardon ?
— Tous les gardes sont à la poursuite de Guislain. Personne ne vous remarquera si vous quittez le château d'un pas détaché et assuré. Après tout, vous êtes notre invitée, ils n'oseront pas vous arrêter. Mon mari est loin.
— Et Rodolphe ?
Le visage de Néline s'assombrit.
— C'est une contrariété dont je me serais bien passée, asséna-t-elle. S'il veut vous voir c'est parce qu'il pense sûrement que c'est vous qui l'avez aidé à s'enfuir.
— C'est absurde, j'étais dans mes appartements toute la nuit, le garde peut en attester, s'indigna-t-elle en s'arrêtant à nouveau.
Néline lui reprit la main pour la forcer à la suivre.
— Puisque c'est le cas, vous arriverez rapidement à vous en défaire. Contentez-vous de jouer la carte de la surprise. Rodolphe n'a aucune raison de vous retenir plus longtemps que nécessaire.
Catriona ne lui montra pas qu'elle doutait de ses paroles et porta la main à la perle qui ornait son cou pour se donner contenance. Le mercenaire avait bien une raison de s'entretenir plus longuement avec elle, mais elle ne lui en fit pas part. Elle ne faisait pas assez confiance à l'épouse de Gauthier pour lui révéler ce qu'il avait tenté de lui infliger la veille.
— Lorsque vous sortirez, vous quitterez immédiatement le château, poursuivit Néline. J'ai dit à Guislain de vous attendre à la vieille chapelle, dans les bois.
— Comment puis-je faire pour la trouver ?
— Franchissez le portail et tournez immédiatement à droite. Longée le mur jusqu'à l'angle et vous verrez un sentier qui s'enfonce dans la forêt. Suivez-le jusqu'à la clairière où est planté un grand chêne. Vous ne pouvez pas le rater, il porte des initiales sur son écorce. Contournez-le en direction de l'ouest.
— C'est où l'ouest ?
— Savez-vous à quoi ressemble des fraisiers sauvages ? demanda-t-elle avec impatience.
— Oui.
— Non loin du chêne, il y en a tout un bosquet. Passez devant eux et allez toujours tout droit. Avez-vous compris ?
— C'est limpide.
Elles arrivèrent devant une porte et Néline s'immobilisa devant.
— C'est ici que nos chemins se séparent, déclara-t-elle d'un ton très protocolaire. Bonne chance Catriona. Soyez très prudente avec lui, ajouta-t-elle en lançant un coup d'œil explicite au battant.
— Je ne lui dirai rien, promit-elle.
La châtelaine esquissa une révérence aussi profonde que lui permettait son ventre arrondi et s'éloigna d'un pas rapide, l'abandonnant à son sort. Catriona toqua quelques coups et une voix brusque lui ordonna d'entrer. Elle obéit docilement et fit quelques pas dans la pièce. Rodolphe, de dos, ne se retourna par à son arrivée, trop occupé à observer une carte dépliée sur l'imposant bureau. Une longue minute s'écoula avant que le mercenaire ne lui adresse la parole :
— Où est Guislain ?
Catriona se tendit et l'angoisse lui crispa le ventre. Elle avait la sensation de revivre l'instant où il l'avait attaqué dans la forêt.
— Très certainement là où vous l'avez enfermé hier soir, risqua-t-elle, les mains serrées l'une dans l'autre.
Il se retourna et planta son regard noir dans le sien. Elle comprit qu'il attendait beaucoup plus que cette réponse-là.
— Est-ce que cela veut dire que vous l'avez perdu ?
— Perdu... le mot est exact, malheureusement, cracha-t-il, furieux.
Il fit un pas dans sa direction et Catriona mobilisa tout son corps pour ne pas reculer devant lui.
— Savez-vous à quel point il est frustrant de courir après ce bâtard de Guislain pendant plus de cinq ans, d'arriver enfin à le capturer et de le traîner aux pieds de son frère, pour qu'ensuite, moins d'une journée plus tard, j'apprenne qu'il s'est à nouveau échappé ?
— Cela doit être très... contrariant ?
— En effet. Si Gauthier m'avait écouté, Guislain serait déjà mort à l'heure qu'il est.
Il s'approcha davantage.
— Avez-vous quelque chose à voir avec cette mystérieuse évasion ?
— Jusqu'à maintenant, je n'en avais aucune idée, affirma-t-elle. Croyez-moi, j'étais dans ma chambre toute la nuit, demandez au garde posté devant celle-ci.
Elle avait tenté de réfréner l'angoisse dans sa voix mais elle découvrit avec horreur que Rodolphe avait perçu sa peur.
— Le garde m'en a déjà informé.
— Vous pensez bien que je ne peux pas être au courant de ce qui se passe dans ce château si je suis cloitrée dans mes appartements.
— Certes. Toutefois, un détail m'interpelle.
— Lequel ?
— Pourquoi est-ce que notre ami commun se serait enfui sans vous ?
Catriona refusa d'entrer dans son jeu et de répondre. Le sourire du mercenaire se fît plus sournois encore.
— Peut-être parce qu'il pense que vous ne valez plus la peine ?
— Pourquoi penserait-il cela de moi ? répliqua-t-elle malgré elle.
— Il ne supportait pas l'idée que je vous ai prise.
Elle le regarda d'un air sidéré.
— Vous n'avez pas osé dire ça ?
— Il ne l'a pas très bien pris d'ailleurs, commenta-t-il d'un ton détaché.
— C'est un mensonge ! pesta-t-elle, outrée. Il n'a pas pu croire une chose pareille.
— Permettez-moi de vous affirmer le contraire, susurra-t-il avec un sourire déplaisant aux lèvres.
Il s'approcha d'elle d'un pas si lent qu'elle pouvait le dévisager. Sa brigandine noire resplendissait, tout comme sa tunique. Ses bottes, sûrement cirés par l'un des servants, brillaient de mille feux et un grand couteau était accroché à sa ceinture.
— L'Aventiz a sauté sur la première occasion pour sauver sa peau. Et vous ne valez plus rien à ses yeux à présent. Mais n'ayez crainte, moi je suis encore là, ajouta-t-il en la dévisageant avec une lueur possédée dans le regard.
— Vous n'aurez pas votre moment de gloire.
— Bien sûr que oui. Vous allez m'accorder vos faveurs. Voyez-vous, cela fait très longtemps...
Il leva une main pour caresser sa joue.
— ...Que je n'ai plus connu la chaleur d'une femme..., révéla-t-il alors que son visage s'approchait du sien.
Catriona pût ressentir son souffle chaud, l'odeur de transpiration la dégoutait au plus haut point. Et brutalement, le souvenir de ses deux brigands qui voulaient la violenter prit possession de son esprit et la fît frissonner. Sa respiration s'accéléra sous l'angoisse.
Comme un animal piégé dans une trappe, elle tenta d'échapper à son sort ; la gifle qu'elle lui porta fût si forte que la peau de Rodolphe devint écarlate presque instantanément.
— Comment osez-vous ? s'égosilla-t-il en massant sa joue endolorie, fou de rage.
Il lui retourna le coup du plat de main et elle manqua de perdre l'équilibre. Ses doigts s'accrochèrent autour de son cou, soulevant à bout de bras la jeune femme qui ne put presque plus poser les orteils à terre.
— Je vais vous apprendre la soumission.
Le mercenaire l'attira brusquement contre lui et tenta de l'embrasser, mais Catriona détourna aussitôt la tête et sa bouche termina dans sa nuque. Rodolphe inspira profondément. L'intense soupir qui sortit de ses lèvres s'accompagna d'un léger relâchement de la main, qui glissa dans ses cheveux, les agrippa férocement et l'entraîna à sa suite sans ménagement.
Elle entendit le cliquetis menaçant de la clé tournant dans la serrure, condamnant son seul échappatoire et cela la fit frémir d'horreur.
— Que faites-vous ? vociféra-t-elle. Ouvrez la porte !
Il se contenta de lui lancer un regard glacial en défaisant de sa main libre les boucles de sa brigandine.
— Est-ce donc ainsi que vous vous conduisez avec une dame ? le réprimanda-t-elle, le teint livide.
Rodolphe lâcha sa poigne et Catriona en profita pour reculer de quelques pas, manquant de trébucher sur les pans de sa robe.
— Avec une catin, oui ! l'insulta-t-il en retirant son vêtement.
Elle se refusait d'être docile. Elle n'allait pas lui permettre de faire d'elle ce qu'il voulait.
— Vous êtes une putain utile à mes plans. Je vais devancer Guislain et engrosser sa belle et j'en tirerais un immense plaisir.
Il retira sa chemise et décrocha le premier bouton de son pantalon.
— Pourquoi le haïssez-vous ?
— Assez parler ! Je vais m'assurer dès à présent que vous êtes fertile.
— Vous êtes abject, ragea-t-elle d'un ton instable. Vous n'être qu'un chien juste bon à ramasser les restes.
Ses mots provoquèrent sa fureur, l'atteignant dans sa fierté de plein fouet. Enragé, Rodolphe abattit l'espace entre eux et dans son aveuglement, sa main se referma comme une serre sur le cou de la jeune femme.
— Je vais vous prendre de force, j'espère que vous aimez hurler, vociféra-t-il.
— Vous ne triompherez pas ! feula-t-elle.
Il la repoussa brutalement et elle poussa un hoquet de douleur quand ses reins frappèrent le bureau. Avant qu'elle ne puisse réagir, il fondit sur elle, saisit ses hanches pour l'asseoir sur le meuble et lui écarta les cuisses de force. Elle tenta de le repousser, mais sa main s'était refermée une fois de plus sur sa nuque et l'empêchait de respirer. Il tentait de remonter le tissu de sa robe pour accéder à son intimité. A travers le voile embué de ses yeux, elle remarqua le couteau du mercenaire qui était à sa portée. Sans hésiter, elle s'en saisit et lui donna un coup rapide dans le ventre pour le faire lâcher prise.
Rodolphe poussa un cri de douleur et recula précipitamment en maintenant une pression sur sa blessure.
— Sale chienne ! éructa-t-il en voyant le sang s'écouler entre ses doigts.
Catriona, sous le choc, lâcha la lame qui atterrit dans un bruit mat sur le parquet. Elle descendit promptement du bureau et remis une distance sécuritaire entre eux. Rodolphe se transforma en une colère digne d'un Troyen. Il ne laisserait pour rien au monde Catriona s'en sortir à présent, pas avec ce qu'elle lui avait fait.
— Merde ! Tu te prends pour qui, petite garce ?
Après un rapide silence, une lueur prit possession de son visage et il ricana en grimaçant.
— Petite sotte, tu penses que Guislain va venir à ton secours ? Tu penses vraiment qu'il est encore dans le coin à l'heure qu'il est ? Ouvre les yeux, il t'a abandonné, il t'a laissé toute seule, c'est toujours ce qu'il fait, il fuit, il laisse tout derrière lui, haleta-t-il.
— C'est faux ! le contredit-elle.
Il reprit son souffle péniblement et s'appuya contre le mur.
— Il a déjà abandonné Néline autrefois ! Et il a fait pareil avec toi pour sauver sa peau. C'est un lâche que j'aurai grand plaisir à tuer lorsque je l'aurai retrouvé !
Rodolphe se redressa avec un rictus, empli de haine et s'avança vers elle.
— Evrard a bien plus de noblesse que vous n'en aurez jamais ! protesta-t-elle d'une voix claire partant dans les aigües.
— La ferme !
Le coup de poing en plein dans son estomac l'atteignit si violemment qu'elle fût projetée en arrière. A demi assommée, elle trébucha et tenta de se rattraper à la tapisserie, pendue contre le mur, avant de s'écraser durement sur le sol de tout son long, emportant le tissu dans sa chute.
Le poids de la tenture s'abattit sur elle, compressa son abdomen, ses côtes déjà blessées et son ventre, la faisant gémir de douleur, mais elle n'eût pas le temps de réagir que Rodolphe la rejeta avec fureur pour la découvrir.
Il passa une jambe de chaque côté de son bassin, empoigna ses cheveux et lui administra un second coup de poing. Catriona sentit dans sa bouche le goût ferrugineux du sang, pendant que les deux mains de son tortionnaire s'enroulèrent sur sa trachée d'une fermeté presque inouï, radical, il voulait la voir morte.
La panique la gagna, l'air commençait à lui manquer.
— Crève ! aboya-t-il, rouge de colère.
Ainsi, c'était comme ça qu'elle allait mourir. Sous la violence d'un homme.
Luttant une nouvelle fois, s'accrochant à sa dernière chance, Catriona tâta autour d'elle, cherchant un objet pour le blesser, pour qu'il desserre enfin ses liens suffocants autour de sa gorge. Ses doigts se refermèrent sur un objet et, réunissant son ultime espoir, frappa Rodolphe.
Soudain, un liquide rouge et visqueux goutta sur son visage, les mains du mercenaire se dénouèrent instantanément et l'oxygène reprit petit à petit possession d'elle. L'homme la regardait d'un air abasourdi. Et sa respiration devenait de plus en plus saccadée.
Dans la main de la jeune femme, seul le manche en bois du couteau ressortait, la lame étant plantée dans la gorge de son agresseur.
Brusquement, son corps s'effondra de tout son poids sur elle. L'air que ses poumons avaient réclamé et enfin reçu quelques secondes auparavant, s'étaient à nouveau évaporé sous la lourdeur de ce corps.
Catriona ne pouvait pas y croire, elle venait de tuer un homme. Un spasme prit possession de tout son être, impossible à contrôler. Elle tremblait, elle avait froid, elle avait mal. Son esprit réclamait Evrard, elle avait besoin de lui, de la sécurité qu'il lui apportait. Maintenant.
Une larme s'échappa et créa un sillon dans le sang qui commençait déjà à sécher sur sa joue tandis que le cadavre devenait de plus en plus lourd à supporter.
— Evrard ! s'époumona-t-elle. Evrard !
Elle recommença, encore et encore à s'en casser la voix, mais elle était seule. Il l'avait abandonné.
Puis une odeur de brûlé parvint au nez de Catriona et une épaisse fumée s'élevait au-dessus d'eux. Elle tordit la tête et vit la tapisserie en feu, juste à côté de la cheminée. Il avait dû la jeter trop près des flammes dans son accès de rage. Apeurée, l'adrénaline prit possession de la jeune femme, au prix d'un colossal effort, elle arriva à jeter le corps sur le côté et se releva péniblement. Son regard se tourna sur le tissu, réduit en poussière.
L'incendie se propagea à une vitesse alarmante sur les meubles et les tableaux alentours. Dans un toussotement, elle posa ses iris sombres une dernière fois sur Rodolphe,inerte sur le sol, puis déverrouilla la porte et s'enfuit de la pièce encourant.
Nikkih & Kratzouille29
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