4. Catriona
Les dernières lueurs du jour laissaient place aux milliers de bougies que composaient les longs et froids couloirs du palais. Catriona observait ses deux demoiselles de compagnie qui étaient venues spécialement d'Écosse pour elle. Leurs relations qui duraient depuis leurs tendres enfances la ravissaient. Le visage innocent parsemé de petites taches de Mairhead était doux, avec de jolis traits arrondis. Ses longs cheveux roux attachés en tresse resplendissaient sous le crépuscule de cette fin de printemps. Aileas, son contraire, avait de longues boucles blondes et des courbes généreuses. Grande au profil aquilin, l'air confiant qu'elle arborait minutieusement lui correspondait entièrement. Elles partirent en quête du fameux cheval à bascule auquel Catriona tenait tant et par la même occasion, revoir ses anciens appartements.
Au détour d'un couloir, les trois femmes croisèrent le chemin du dauphin de France et de sa suite.
— Oh, Catriona ! lança-t-il, visiblement content à sa vue.
La jolie brune le salua d'une révérence timide et prit la parole :
— François, quel plaisir de vous voir.
— Voulez-vous faire quelques pas avec moi ?
Catriona hésita un instant. Se promener avec le futur roi n'était pas coutume pour son rang, mais elle finit tout de même par accepter avec plaisir, consciente de l'honneur qu'elle lui marquait.
— Comment se passent les préparatifs pour la fête de ce soir ? demanda-t-elle.
— Comme à son habitude, Mère a dépensé à outrance pour épater tout le monde.
Catriona lâcha un petit gloussement, mais se reprit très rapidement.
— C'est évident, Sa Majesté n'a pas changé depuis notre enfance.
Derrière eux, les nobles les suivaient à distance pour ne pas entendre leur conversation. Malgré cela, Catriona se sentit mal à l'aise, car elle sentait leurs regards la jauger. Elle ne cessait de leur lancer des coups d'œil inquiets par-dessus son épaule et les rougeurs de ses joues finirent par la trahir auprès de François qui les congédia d'un ordre clair et sans appel.
— Qu'allez-vous faire dans cette partie du château ? la questionna-t-il une fois seuls. Plus personne ne s'y rend.
— Je... Je voulais voir si je pouvais retrouver un objet, votre sœur m'a dit qu'il y serait peut-être.
François sourit, curieux.
— De quel objet parlez-vous ?
Catriona se sentit bête.
— Un petit cheval à bascule. Je sais, c'est idiot, mais il a une importance sentimentale et cela me tient vraiment à cœur de le retrouver.
Pour toute réponse, le dauphin émit un petit rire.
— Vous en souvenez-vous ? ajouta-t-elle.
Au même moment, un homme accourut dans leur direction. Essoufflé, il s'inclina devant le Dauphin et lui expliqua que son père, Henri II, le conviait à la salle du trône le plus rapidement possible pour une affaire urgente. François s'excusa auprès d'elle, s'inclina et suivit le serviteur dans les couloirs.
Quelques mètres plus loin, Catriona découvrit son petit frère jouant aux billes, seul. Elle s'immobilisa et l'observa discrètement. Il semblait triste en lançant d'un geste mollasson ses petites pierres précieuses de forme ronde sur le sol. Après tout, c'était compréhensible ; son père était décédé il y a de cela qu'une semaine dans un tragique accident de chasse. C'était l'une des raisons qui poussèrent Catriona à revenir à Amboise. La seconde étant de s'assurer un avenir en devenant la femme d'Amaury De Crozat, un mariage qui avait été arrangé par sa mère il y a bien longtemps.
Elle décida de se manifester auprès du garçon.
— Bonjour.
James sursauta, bien que le ton de sa demi-sœur fût délicat. Ses yeux verts en amande l'examinèrent, bouche bée, puis un son étranglé jaillit de ses lèvres.
— Puis-je me joindre à toi ? demanda-t-elle d'un air amusé.
Il fronça furieusement les sourcils.
— Sais-tu seulement y jouer ?
— Bien sûr, j'y jouais souvent quand j'avais ton âge.
Dans un soupir, James lui donna quelques billes. La présence de la jeune femme l'embêtait et elle le remarqua. Il lança la petite boule noire, neutre, puis tenta d'aligner la sienne.
— À toi.
Catriona projeta sa bille bien trop loin, ce qui la fit rire.
— Je suis moins adroite que toi.
James resta indifférent à la flatterie.
— Comment te sens-tu ? demanda-t-elle pour reprendre la conversation.
Il leva vers elle un regard las.
— Je vais bien.
L'enfant croisa les bras et prit un air bougon, comme s'il voulait se refermer et se protéger de sa sœur. Bien que Catriona comprît qu'il ne voulait pas lui parler, elle persévéra :
— J'ai aussi perdu mon papa, tu sais, mais j'étais bien plus petite que toi.
— D'un accident de chasse ?
— Non, d'une maladie. J'avais à peine quelques jours lorsqu'il est décédé. Mère m'a toujours dit qu'à son enterrement, il y avait tellement de monde venu lui rendre hommage qu'ils n'ont pas pu tous entrer dans la petite chapelle.
— Papa n'avait pas beaucoup d'amis ici.
— Ah non ?
James se gratta les ongles, gêné.
— Il ne semblait pas mort d'une balle, comme tout le monde le dit.
Catriona ne savait pas quoi dire. Même si elle détestait cet homme qui l'avait envoyé au couvent ces cinq dernières années, elle ressentit un élan de compassion pour ce petit bout qui n'avait plus de père. Elle n'avait jamais connu le sien et cette absence lui avait toujours manqué.
— Il semblait comment ?
— Comme si la maladie l'avait ravagé.
— Qu'est-ce qu'il te fait penser ça ?
La jeune femme ne parvenait plus à cacher sa curiosité. Plus elle discutait avec son demi-frère, plus elle avait l'impression que la mort de son beau-père n'était peut-être pas due à un accident de chasse comme tout le monde le prétendait. Cela ne faisait que renforcer ses soupçons, elle qui avait déjà été victime d'une tentative d'assassinat quelques jours avant son arrivée au château.
Au couvent, une sœur avait pris l'habitude de lui apporter une tasse de thé et de parler avec elle. Mais ce jour-là, Catriona avait malencontreusement renversé la tasse. Son chien, Tavish, s'était empressé de laper le breuvage avant qu'elle ne le retienne. Presque aussitôt, elle avait compris que quelque chose de terrible venait de se produire. La sœur et la pauvre bête avaient commencé à se tordre de douleur et avant qu'elle ne puisse appeler à l'aide, la mort les avait emportés. La cause avait été rapidement découverte ; seul du poison aurait pu déclencher une telle réaction. Se pouvait-il que son beau-père ait eu moins de chance qu'elle ?
Avant que James ne puisse répondre, leur mère apparut dans le couloir. Sa longue robe noire ne laissait apparaître aucune chair, tandis que sa coiffe de la même couleur cachait entièrement ses cheveux.
— Que faites-vous encore à traîner dans les couloirs ? gronda-t-elle. Il est bientôt l'heure de la fête.
James bondit sur ses pieds et courut vers sa mère, alors qu'elle toisa du regard sa fille.
— Oui, je n'avais pas vu le temps passer, Mère, s'excusa-t-elle. Je vais rejoindre mes appartements pour me préparer.
— Je vous reverrais au dîner.
Catriona s'empressait de rejoindre Mairhead, qui avait déjà sorti une robe de velours verte brodée. Elle l'enfila promptement et s'assit sur le tabouret où Aileas l'attendait pour la coiffer. Son amie, après avoir brossé ses cheveux, dégagea son visage en tressant des nattes qui disparaissaient derrière ses oreilles, puis compléta avec un diadème discret en or. La blonde prépara dans un petit récipient en bois un peu de teinture, mélangés à des cochenilles préalablement écrasées et déposa délicatement sur les lèvres de la jeune femme. Elle appliqua un fard à joues fait d'ocre rouge qui lui donna soudain bonne mine.
Tandis que Catriona était prête pour la soirée, Mairhead et Aileas se préparèrent à leurs tours.
— Qu'avez-vous pensé d'Amaury ? questionna-t-elle ses amies.
— Il est très beau, rétorqua Mairhead dans un soupir théâtral.
— Oui, il a l'air tellement doux comme garçon, ajouta Aileas en lui donnant une tape sur le bras. Toutes ces robes, viennent-elles de Paris ?
— Sans exception, répondit Catriona, contente qu'elles leur plaisent.
— Es-tu tombé sous son charme ? reprit Aileas.
— C'est bien possible. Enfants, nous ne nous quittions que rarement et le revoir m'a troublé.
Comme à chaque fois qu'elle parlait d'Amaury, elle rougît.
— Vous allez très bien ensemble, assura Mairhead en tressant ses cheveux.
— J'espère que c'est pareil de son côté, soupira Catriona.
— Qui pourrait hésiter face à une beauté telle que toi ? continua la rousse.
Les jeunes femmes semblaient enfin prêtes pour aller à la fête.
— Vous êtes toutes ravissantes, s'exclama Catriona, admirant la simarre de velours bleu de Aileas, qui accentuait la clarté de ses boucles blondes. Tu es vraiment très élégante ! Quant à toi, Mairhead, je ne suis pas certaine que le mot « élégant » soit réellement approprié.
La rousse se contenta de rire en tournant sur elle-même, rayonnante.
— Nous devrions y aller, ne faisons pas attendre nos hôtes.
Nikkihlous & Kratzouille29
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