30. Catriona

Les chevaux fatiguées, Evrard décida de s'arrêter dans une petite ferme non loin de la grande route qui menait tout droit à Paris.

— Attendez-moi là, ordonna-t-il d'un ton autoritaire pendant qu'il descendait de la monture.

Catriona l'observa s'avancer d'un pas confiant vers un homme à l'allure frêle sous sa chape en laine. D'un geste timide, il renoua les attaches de sa cale en lin, où quelques petites mèches de cheveux grisâtres dépassaient subtilement. Vêtu d'une cotte beige et de chausses brunes en laine, il frotta ses mains dans un vieux chiffon qu'il jeta sur un tonneau.

Le paysan n'était pas impavide face à la carrure de son guide, qui lança avec une aisance stupéfiante la discussion. Après quelques signes de têtes et deux trois sourires pincés, Evrard, un air victorieux sur le visage, revint auprès d'elle.

— Il nous propose de soigner les chevaux et de dormir dans la grange cette nuit contre deux sols et de l'aide aux champs, qu'en pensez-vous ?

— Je pense que c'est honnête, dit la jeune femme en acquiesçant d'un signe de tête avant de lui tendre les pièces qu'elle gardait précieusement sur elle.

Il retourna vers le paysan pour conclure l'affaire, puis aida Catriona à descendre du cheval. Au même moment, une tignasse blanche aux reflets jaunâtres sorti de la chaumière et les salua avec gaité. Cela devait être sa femme.

— Bonjour, les salua-t-elle en frottant ses mains sur son tablier. Blaise, qui sont ces gens ?

Son mari lui expliqua la situation qu'elle prit très au sérieux.

— Voulez-vous entrer Mademoiselle ? Vous semblez avoir fait longue route.

— Merci beaucoup, Madame.

— Appelez-moi Anne.

Quant à Evrard, il n'avait malheureusement pas cette chance. La promesse d'aider le fermier lui tenait à cœur, bien que la fermière lui eût proposé de se reposer. Blaise, qui avait déjà entre les mains la bride d'un magnifique cheval de trait brun, l'attendait en tapant du pied près de la clôture, le pressant.

L'intérieur de la maison était simple. Une grande table en bois prenait la majeure partie de l'entrée et un petit fourneau en pierre dans lequel était déposé des brindilles et des bûches brûlantes, occupait l'espace à droite de la porte. Contre le mur d'en face, une grande cheminée dans laquelle un chaudron suspendu à un crochet en fer émanait de la vapeur, rendant la pièce chaleureuse. Plus loin, une échelle permettait de monter dans une partie du toit, certainement la chambre.

La vieille dame prit avec ferveur une grande cuve en fer couvert d'un drap blanc et la plaça devant l'âtre.

— Un bon bain vous fera du bien.

Puis, elle fit cuir de l'eau dans une énorme bassine d'eau, la renversa dans la baignoire avant de réitérer son geste à plusieurs reprises sous le regard attentif de Catriona qui attendait toujours près de l'entrée. La paysanne s'éclipsa un instant et revint avec une pile de vêtements.

— Prenez ceci ma petite, je vais décrasser les vôtres.

— Ce n'est pas nécessaire.

— Je ne le proposerais pas si cela me dérangeait. Allez, entrez dans ce bain avant qu'il ne refroidisse.

— Je ..., reprit la noble.

Elle regarda derrière son épaule.

— Oh, ne vous en faites pas, personne n'ouvrira cette porte avant des heures.

Catriona, gênée, se mordit la lèvre inférieure en remettant une de ses mèches de cheveux derrière son oreille.

— Je vous le jure, Mademoiselle, reprit l'hôtesse en lui tendant le tas d'habits. Vous serez tranquille, les hommes ont beaucoup de travail et ne rentreront pas avant la tombée de la nuit. Puis, mon mari et moi sommes les seuls habitants de cette modeste demeure, ajouta-t-elle avant de placer de la cendre dans un saut. Je reviendrais dans quelques minutes chercher votre robe.

Dans un soupir résigné, elle déposa les affaires propres sur la grande table et débuta le même protocole que la veille, un ruban après l'autre, puis le laçage de son corset, et laissa tomber les tissus sur le sol avant de plonger dans le bain. La chaleur qui engloba son corps lui procura un bien-être inouï, elle se sentait revivre. D'un geste délicat, elle défit sa tresse et rejeta la tête en arrière dans l'eau pour les laver.

Après avoir récupérer sa robe pour la nettoyer avec les cendres, la paysanne s'occupa de remettre des brindilles dans le fourneau. La voyant lui tourner le dos, Catriona en profita pour sortir de l'eau. Sans attendre, le corps encore trempé, elle enfila la robe faite en coton d'un bleu grisâtre et terne qu'Anne lui avait donné. Elle cacha avec ses cheveux les marques que les mains du mercenaire avait laissé sur son cou avant de rejoindre la paysanne.

— Que faites-vous ?

— Je fais le souper, chère enfant.

Bien que Catriona n'eût jamais mis les pieds dans une cuisine, pas même lors d'une fringale nocturne, elle proposa son aide par politesse.

— Bien sûr, épluche les navets, tu veux ?

La jeune femme acquiesça d'un signe de tête, mais lorsqu'Anne posa un couteau et le panier d'osier sur la table, elle ne comprit pas tout à fait où elle voulait en venir. Catriona s'assit et regarda interloquée les légumes.

— Comment dois-je procéder ?

La vieille dame se retourna de ses poêles et cligna des yeux, étonnée.

— N'as-tu jamais épluché de navets ?

— Non, dit-elle d'un air coupable.

Au château, elle n'avait qu'à sonner la cloche, demander avec amabilité et une serviteuse lui apportait le tout sur un plateau. Les seules navets qu'elle ait vues, ce sont ceux en purée ou mijotés.

— Pouvez-vous me montrer ? reprit-elle, prête à apprendre.

— Evidemment.

D'un geste précis, Anne en prépara un, avant de tendre le couteau à Catriona, qui s'avisa, mais s'écorcha rapidement un doigt.

Une goutte de sang s'échappa de son index et s'écrasa sur le bois. Par reflex, la jeune femme secoua la main, puis mit son doigt douloureux dans la bouche. La paysanne ferma les yeux, mais garda tout de même un sourire timide en lui tendant une petite bande de tissu dans lequel Catriona enveloppa sa coupure.

— Vous êtes maladroite de surcroit, déclara Anne.

— Je dois l'avouer, je n'ai jamais cuisiné de ma vie, reprit la noble d'un ton gêné.

— Comment se fait-il ? Une fille de ton âge doit savoir le faire.

— Je..., hésita-t-elle.

Etais-ce une mauvaise chose de lui dire la vérité ? Elle n'avait pas le cœur à lui mentir, Catriona avait besoin d'une oreille attentive.

— Je vivais jusqu'à récemment à la Cour et avant cela, dans un couvent, mais aucune sœur ne voulait m'apprendre à cuisiner, avoua-t-elle en baissant le regard. Par contre, je sais traire une chèvre, reprit-elle fièrement.

La paysanne la regarda d'un air effaré avant de marmonner.

— Je comprends à présent, même si vos vêtements laissaient présager votre noblesse.

Sa voix devint plus grave, plus sombre.

— Pourquoi avoir quitter la Cour ? reprit-elle en fronçant les sourcils.

— Je rejoins l'Écosse, mon pays de naissance, expliqua Catriona, un sourire rafraichissant sur les lèvres.

— Et l'homme qui vous accompagne ?

— Oh, Evrard, il est mon guide. Heureusement qu'il est là, je ne saurai me repérer dans ces vastes contrés.

— Ce n'est pas donné à tout le monde, c'est certain.

Son ton plus réservé la surprit, mais elle garda son entrain. Peut-être que la sachant noble, la paysanne n'osait plus s'adresser à elle avec la même familiarité ? Après tout, elles ne venaient pas du tout du même monde.

— Tenez, coupez les carottes en lamelle sans te blesser, voulez-vous ?

— Je crois que j'y arriverai cette fois-ci, lui dit-elle un rictus aux coins des lèvres.

Nikkih & Kratzouille29

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