23. Evrard
Au petit matin, Evrard revint au campement avec un lapin fraichement attrapé. Il était satisfait de constater qu'il n'avait rien perdu de ses talents dans la confection de collets.
Il s'agenouilla devant le feu qu'il avait allumé pour les réchauffer de leur nuit glaciale, sortit son couteau de la ceinture et commença à le préparer avec des gestes méticuleux. Concentré sur sa tâche, il ne remarqua pas tout de suite que la jeune noble l'observait. Elle suivait chacun de ses gestes avec un regard ébahit.
— Vous n'avez jamais vu comment préparer un lapin ? se moqua-t-il doucement.
— Contrairement à vous, j'avais des domestiques pour préparer mes repas, répliqua-t-elle avec morgue.
— J'espère que vous en avez bien profité, car dorénavant, les choses vont changer pour vous.
Il releva la tête pour la regarder droit dans les yeux.
— A présent, vous ne devrez compter que sur vous-même. Dans notre situation, faire confiance à quiconque pourrait se révéler dangereux. Vous devez être capable de vous débrouiller et de vous défendre seule. Est-ce compris ?
— C'est limpide.
Il fronça les sourcils. Il se demanda si elle lui affirmait cela pour lui faire plaisir ou simplement pour qu'il lui fiche la paix.
— Est-ce que vous connaissez au moins les quelques règles élémentaires de survie ? demanda-t-il d'un ton qui se voulait patient.
— Lesquelles ?
— Savoir faire un feu, par exemple. Ou comment se construire un abri, confectionner des collets ou se repérer dans un environnement.
— Je ne sais rien de tout cela.
Evrard l'aurait parié. Mais cette réponse le contraria tout de même.
— Nous allons avoir beaucoup de travail... soupira-t-il. Approchez, je vais vous donner votre première leçon.
La jeune femme obéit de très mauvaise grâce. Apparemment, le voir écorcher et vider un lapin ne faisait pas partie des choses qu'elle souhaitait voir dans sa vie et il dû la rappeler à l'ordre plus d'une fois.
— Concentrez-vous, marmonna-t-il, agacé.
— Pourquoi me montrez-vous cette horreur ? protesta-t-elle. C'est à vous de remplir ces tâches. C'est vous l'homme.
Une fois de plus, il redressa la tête pour planter son regard dans le sien.
— Je peux vous prouver par d'autres moyens que je suis un homme, rétorqua-t-il avec un sourire suggestif.
— Je ne veux pas le savoir.
— Contrairement à ce que on vous inculte à la Cour, vous devez être capable de vous débrouiller seule.
— Vous êtes mon guide. Faites-le, ordonna-t-elle d'un ton sans réplique.
— Il se pourrait très bien que nos routes se séparent bien plus vite que vous ne le pensiez.
— Comptez-vous m'abandonner ? répliqua-t-elle.
— Et faillir à ma promesse ? Non, je ne vous abandonnerai pas, sauf si vous m'en donnez l'ordre.
Un silence s'installa quelques secondes entre eux, uniquement entrecoupés par les coups de couteaux qu'Evrard donnait à la chair du lapin.
— Pourquoi rejoindre l'Écosse ? demanda-t-il subitement.
Il ne se souvenait plus très bien de ses leçons de politique et ne connaissait pas la situation actuelle de ce pays. Tout ce dont il se rappelait, c'était que l'Écosse et l'Angleterre n'étaient pas amies. Sans compter les Normands et les Bourguignons qui ne cessaient de se mêler à leurs conflits.
— Pourquoi voulez-vous savoir cela ? préféra-t-elle demander, éludant sa question. Mes affaires ne vous regardent en rien.
— Certes. Mais permettez que je m'étonne de cette destination très spécifique. Vous ne comptez pas seulement vous éloigner de la Cour de France, mais aussi de tous ses occupants. Avez-vous de la famille là-bas ? Des terres ? Une fortune ?
— Je n'ai plus de famille. Quant aux terres et à la fortune, oui, peut-être, mais je ne sais pas ce qu'il en reste.
— Intéressant...
Elle lui lança un regard soupçonneux et il baissa aussitôt la tête sur son gibier.
— Pourquoi toutes ces questions ? demanda-t-elle d'un ton sec.
Il pesa rapidement le pour et le contre. Mais dans cette situation, il ne pouvait plus faire semblant et cacher le projet qui lui était venu à l'esprit au cours de la nuit.
— Je vous conduirai en Écosse, déclara-t-il. Parce que je vous ai donné ma parole. Et pour rien vous cacher, c'est également parce que j'espère quelque chose en retour.
— Je n'ai rien à vous donner.
— Bien sûr que si. Même en Écosse, vous êtes une noble, non ? Vous avez du pouvoir, une fortune, des terres...
— Rien n'est moins sûr, objecta-t-elle. Cela fait des années que je n'y suis plus retournée. Et je ne vois pas très bien où vous voulez en venir.
— Très bien : Je vais vous conduire jusqu'en Écosse, où vous serez en sécurité. Quand vous serez retourné sur votre domaine, j'aimerais, en gage de remerciement, que vous me donniez une terre sur laquelle je pourrais m'installer.
Il s'attendait à ce qu'elle refuse immédiatement. Ou qu'elle le traite de fou. Mais il ne songea pas une seconde qu'elle puisse lui rire au nez. Elle s'en tenait les côtes et il dû attendre quelques secondes qu'elle reprenne son souffle.
— Vous avez fini ? grogna-t-il, vexé.
— Oui..., hoqueta-t-elle en essuyant des larmes. Oui c'est juste...que je ne m'attendais pas... à ce que vous me demandiez cela !
— Vous auriez préféré une proposition plus indécente ? ironisa-t-il. Je peux la formuler si le cœur vous en dit, ce n'est pas l'envie qui me manque.
La jeune femme cessa aussitôt de rire et ses joues prirent une couleur cramoisie.
— Vous êtes d'une incorrigible insolence ! s'écria-t-elle, rouge de honte. Comment osez-vous me réclamer une terre ? J'ai pris des risques pour vous faire évader de prison, j'estime alors que nous sommes quittes.
— Vous avez remboursé votre dette en me sauvant, je vous l'accorde. Mais pour ce qui est de ma rémunération pour vous conduire jusqu'à votre destination, un petit lopin de terre fertile n'est pas trop exagéré.
Il estimait même que son marché était très honnête. Il ne lui demandait pas non plus un manoir ! Même s'il n'y avait qu'une ruine au milieu de ce terrain, il s'en contenterait parfaitement. Se construire une maison n'était pas l'exercice le plus compliqué qu'il ait dû faire au cours de ces dernières années.
Mais la demoiselle secoua la tête :
— Même s'il m'en reste, je n'ai pas le pouvoir d'octroyer des terres au premier vagabond venu.
Malgré lui, Evrard sentit la colère gronder.
— C'est tout ce que je suis à vos yeux ? siffla-t-il en se redressant d'un bond. Un vulgaire maraud, un chien galeux à qui on peut faire quelques tours avant de l'abandonner sur le bord de la route ? Une fois que je vous aurai conduite en Écosse et que vous pourrez vous prélasser dans de la soierie toute la journée, vous allez me congédier à coups de bâtons ? Ou aurais-je droit à une petite pièce lancée mesquinement à mes pieds ?
— Ni l'un ni l'autre, répondit-elle fièrement. Une fois arrivés, vous recevrez toute ma gratitude et ma reconnaissance. Mais je ne vous donnerai pas de terre, et encore moins de titre.
— Je ne vous demande pas de m'anoblir ! Mordiable, je suis déjà Chevalier !
— Un Chevalier qui a passé bien plus de temps en prison qu'à la Cour, fit-elle remarquer.
Evrard poussa une exclamation irritée :
— Vous êtes la bêtise personnifiée, rétorqua-t-il. J'ignore si vous êtes dotée de réflexion, mais de toute évidence, votre intelligence limitée vous permet tout juste à tenir sur vos deux jambes !
— Je ne vous permets pas ! s'offusqua-t-elle avec colère.
— Vous n'êtes qu'une enfant. Une enfant vaniteuse, arrogante, capricieuse et imprudente. Vous n'avez aucune idée du monde qui vous entoure, ni des conséquences de vos actes. Sans quiconque pour veiller sur votre précieuse petite personne, vous ne survivriez pas une journée.
— Je suis bien plus adroite et courageuse que vous ne le pensez !
— Ce que vous appelez du courage n'est en réalité que de l'inconscience. Et votre adresse n'est due qu'à la chance.
— Eh bien, laissez-moi ! s'emporta-t-elle. Je peux très bien me débrouiller toute seule, monseigneur Chevalier ! Je n'ai nul besoin d'un ivrogne empoté pour me montrer la bonne direction ! ajouta-t-elle en tendant une main théâtrale vers la forêt.
Evrard suivi sa main du regard.
— Vous montrez l'ouest.
— Pardon ?
— La direction que vous êtes en train d'indiquer, c'est l'ouest. L'Écosse, c'est au nord, donc par-là, asséna-t-il en montrant le point cardinal avec son propre bras.
Un ange passa.
— Rien ne m'empêche de faire un détour ! répliqua-t-elle en toute mauvaise foi.
— C'est cela, oui...susurra-t-il, moqueur.
Ses joues s'empourprèrent.
— Allez-vous-en ! ordonna-t-elle en le chassant avec de grands gestes de bras. Hors de ma vue ! Suivez votre propre chemin et laissez-moi tranquille.
— Vos désirs sont des ordres.
Evrard se baissa en une révérence moqueuse.
— C'est donc ici que nos routes se séparent, noble Dame. J'aurais adoré vous céder mon couteau pour que vous puissiez vous défendre contre les écureuils, mais j'aurais bien trop peur que vous ne vous creviez un œil avec.
Il lui tourna le dos pour rejoindre son cheval, esquiva habilement la pomme de pin qu'elle lui lança par derrière et monta en selle.
— Bonne chance, lança-t-il en faisant tourner son cheval. Et au cas où vous vous poseriez la question ; pour éteindre le feu, il faut pisser dessus.
Il éclata d'un rire goguenard quand il la vit rougir à ses paroles et, d'un petit coup de talon, lança sa monture au trot. Elle lui cria quelque chose qu'il ne comprit pas, et quitta la clairière sans se retourner.
Kratzouille29 & Nikkih
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