2. Catriona
La calèche de Catriona et de ses deux dames de compagnie s'avançait sous le bruit éloigné des trompettes. Un petit étang longeait le chemin de graviers blancs qui menait au château d'Amboise. La jeune femme, qui venait de fêter ses dix-huit ans, jeta un coup d'œil par la fenêtre et observa les pierres qui formaient à chacune cette architecture colossale et splendide qui n'avait pas quitté ses souvenirs durant ces cinq années loin de la Cour. Mairhead, la plus jeune de ses demoiselles de compagnie, semblait ne plus pouvoir cacher son excitation tandis qu'Aileas tentait de rassurer Catriona, anxieuse à l'idée de revoir les membres de la Cour.
— Ne sois pas si inquiète, tout va bien se passer.
— Je me demande comment elle va réagir en me voyant, murmura-t-elle. Cela fait si longtemps que nous ne nous sommes pas parlé.
Soudain, le cocher tira sur les brides et les chevaux s'arrêtèrent. Les servants de la Cour ouvrirent la porte, déposèrent un marchepied et aidèrent Catriona à descendre du carrosse. Les demoiselles s'empressèrent de tenir sa longue cape de velours rouge foncé pendant que Catriona faisait attention à ne pas trébucher sur sa simarre de satin d'un bleu pâle. Autour d'elles, les préposés s'attelaient déjà à monter les nombreuses malles dans ses appartements. Au bout de l'allée qui menait au château, elle aperçut d'abord deux têtes aux reflets châtains qui l'attendaient : François et sa sœur Elisabeth, les enfants royaux. Leurs visages radieux démontraient toute la joie que leur procurait le retour de leur vieille amie au château. Cela remontait à loin le temps où ils s'aventuraient dans l'immense demeure et les jardins qui s'étendaient à perte de vue. Puis, Catriona reconnut immédiatement le visage angélique de son promis, aux légères boucles blondes, se tenant aux côtés de François : Amaury. Mais elle n'eut pas le temps de s'attarder sur lui, car déjà, la présence de sa mère, raide et distante, accentua son malaise. Elle la regardait avec un tel dédain qu'elle en grimaça. Et la vue de son petit frère, replié dans son ombre, n'arrangea pas son sentiment. La jeune femme laissa échapper un léger soupir avant de s'avancer courageusement dans leur direction.
Elisabeth se précipita à sa rencontre, semblant oublier le temps qui les avait séparés depuis leur dernier moment ensemble et lui prit les mains.
— Catriona Loveday ! s'exclama-t-elle. Je suis vraiment ravie de te revoir parmi nous.
— Merci Elisabeth, lui répondit-elle en s'inclinant légèrement devant elle. Votre absence m'a peiné.
François, qui avait suivi sa sœur, exécuta une révérence plus réservée pour la saluer.
Décontracté et audacieux, Amaury traversa le grand parterre pour les rejoindre, s'inclina à son tour et lui déposa un baiser sur la main. La noble ne put retenir un sourire qu'il lui rendit aussitôt.
— Bienvenue à la Cour de France, Mademoiselle, lui dit-il en lui adressant un regard charmeur.
— Appelez-moi Catriona.
Son air gêné la trahissait.
— Soit, mais tutoie-moi, s'il te plaît.
Face à son embarras, Mairhead et Aileas pouffèrent dans son dos. Amaury ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, mais il fut sèchement poussé de côté par Jane D'Usez. Catriona perdit son sourire et se prosterna devant elle.
— Bonjour, mère, souffla-t-elle.
Celle-ci la salua d'un geste austère de la tête, sans lui répondre.
Catriona abandonna l'idée d'avoir davantage de conversation avec elle. Déjà petite, elle ne lui adressait la parole que pour la rabrouer, soit parce qu'elle ne se tenait pas droite à table ou qu'elle ne se concentrait pas sur ses leçons et cette mésentente s'était accentuée depuis son mariage en secondes noces avec le Marquis D'Usez. Elle s'accroupit pour se mettre à la hauteur de son demi-frère qui avait suivi leur mère. James avait tellement grandi. La dernière fois que la jeune femme l'avait vu, il n'était qu'un nourrisson. Ses cheveux bruns lui faisaient penser aux siens à son âge, bouclé et en pagaille. À présent, ceux de Catriona lui tombaient jusqu'aux creux des reins, ondulés, brillant et soyeux.
— Bonjour James, annonça-t-elle avec douceur. Je suis ravie de te revoir.
— Nous aussi, rétorqua sa mère d'une voix glaciale en tirant James par l'épaule pour l'éloigner d'elle.
Sentant la tension qui était en train de monter entre les deux femmes, Elisabeth intervint :
— Suis-moi, je vais t'accompagner à tes appartements.
— Merci.
La princesse prit sa main et l'entraîna à l'intérieur du château. Elles suivirent de longs dédales bordés de fenêtres qui laissaient entrer la lumière du soleil de cette chaude après-midi de juin, de tableaux de grands maîtres italiens et d'étendards aux couleurs de la France.
— Te souviens-tu ? la questionna subitement Elisabeth d'un ton ému. Nous nous cachions toujours derrière ces draperies quand nous jouions à cache-cache avec mon frère.
Catriona fronça les sourcils, perplexe, ce qui arracha un rire moqueur à son amie.
— Oui... se rappela-t-elle. Il faisait semblant de ne pas nous trouver pour nous laisser un avantage.
— Effectivement, tu as raison.
Les deux femmes empruntèrent un large escalier dont les marches étaient faites en bois massif.
— Et lorsque nous faisions la course jusqu'à ton ancienne chambre ?
— Bien sûr que je m'en souviens, soupira Catriona en roulant des yeux. J'étais toujours bonne dernière. Tu gagnais tout le temps, bien que tes robes aient été encore plus longues que les miennes.
— Je suis certaine qu'aujourd'hui encore, je vous bats encore tous les deux.
Un petit gloussement sortit de sa gorge, d'un naturel presque inquiétant. Les mimiques d'Elisabeth collaient parfaitement avec l'attitude générale de la Cour, entre moquerie et flatterie.
— Certainement, cela ne fait aucun doute.
Catriona s'arrêta et fit mine de réfléchir.
— Vous avez toujours ce cheval à bascule que j'appréciais tant ?
— Je crois, répondit la princesse en haussant les épaules, désintéressée. Il doit être dans ton ancienne chambre.
Elisabeth fit quelques pas tandis que Catriona resta perdue dans ses pensées.
— Je voudrais prendre le temps d'y retourner plus tard, reprit-elle.
— Cela ne te servira pas d'y aller, il n'y a plus rien et plus personne n'y va, rétorqua son amie. Tu y perdrais ton temps.
— Oh, d'accord, souffla-t-elle, déçue. Peut-être irais-je quand même, rien que pour me remémorer des souvenirs...
Une grande porte en chêne se modela face à elles. Un homme en cotte de mailles et armé la gardait sans broncher.
— À ta guise ! Mais je t'aurais prévenue. Nous nous reverrons plus tard, ajouta la princesse en s'inclinant. Je dois aller me préparer pour la fête de ce soir.
— Que fêtons-nous ?
— Faut-il forcément un prétexte ? Ne connais-tu donc plus suffisamment ma mère ?
— Cela est vrai, mais je pensais qu'avec ton futur mariage, cela se serait calmé pour préparer ce grand jour attendu de tous.
Un énorme soupir s'échappa de la bouche d'Elisabeth.
— Sais-tu que tu as de la chance d'épouser Amaury ? D'aussi loin que je m'en souvienne, vous étiez inséparables, n'est-ce pas ?
— Oui, je l'apprécie, avoua Catriona, les joues virant au pourpre.
— Tu vas épouser quelqu'un que tu aimes...Il semblerait qu'en tant que princesse, la seule chose que je ne pourrais pas connaître est bien celle-ci.
Ses yeux devinrent vitreux en regardant la brune avant de reprendre avec un léger rictus aux lèvres :
— Mais pour le moment, j'essaie de ne pas y penser.
Elles se saluèrent avec courtoisie et Catriona gagna ses appartements. La pièce était joliment décorée sur les commandements et indications de Catherine de Médicis. Une grande tapisserie dominait la pièce, tandis qu'une peinture bucolique représentant un petit hameau était accrochée en face du lit. Elle arpenta sa chambre en touchant chaque bibelot et chaque meuble somptueux dont la Cour raffolait.
Fatiguée de son long voyage, Catriona s'allongea un instant sur les draps de soie bleu nuit, couleur de la royauté française. Elle ne put s'empêcher de se dire qu'ils étaient d'une extrême douceur, bien loin de ceux qu'elle avait connus durant son séjour au couvent.
Elle repensait à Amaury De Crozat. Il avait tellement changé depuis qu'ils étaient enfants. Ses longues jambes lui donnaient cet air élancé. Elle les aimait beaucoup plus maintenant qu'à l'époque, lors de leurs courses poursuites à travers tout le château. Il était resté mince, mais son sourire ravageur avait eu l'effet escompté sur elle. Ses yeux, d'un bleu océan, pouvaient engloutir tout un monde avec une facilité déconcertante et ne plus jamais le laisser s'en échapper. Rien qu'à y repenser, les joues de la jeune femme s'embrasèrent. Elle était complètement tombée sous son charme.
Nikkihlous & kratzouille29
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