18. Catriona
Catriona laissa son regard vagabonder dans la grande salle. Elle devait le reconnaître, entre la décoration de la grange et celui qu'elle avait sous ses yeux, Elisabeth avait fait des merveilles avec ce banquet. Comme d'habitude, la royauté française n'avait pas lésiné à la dépense. Des guirlandes avaient été suspendues sur les chevrons, les tables étaient ornées de gigantesques bouquets de roses, une orfèvrerie riche et somptueuse avait été polie et déposée dans le buffet sur un large dais de brocart.
Une fois de plus, les regards insistants des autres convives la mettaient mal à l'aise et elle fut ravie qu'Aileas et Mairhead la rejoignirent.
— Ne fais pas attention à eux, Cathie, la réconforta son amie, une coupe de vin à la main.
— Comment le pourrais-je ? Je suis la risée de la Cour, se lamenta Catriona. Et maintenant, un innocent est en prison.
— Tu as entendu le Roi, il est recherché par les autorités depuis longtemps, c'est loin d'être un innocent, qu'importe son crime, trancha Aileas. Nous devrions plutôt profiter de cette soirée.
— Je vais essayer, marmonna-t-elle, nullement convaincue.
Un Lord aux cheveux poivre et sel participa à la discussion. Il avait fait fortune dans les épices, et bien que Catriona tentait de suivre ses longues mésaventures en Inde, elle ne pouvait s'empêcher de penser à Evrard, coincé dans une minuscule cellule, attendant sa mort.
Soudain, Mairhead lui tapota le bras.
— Ce n'est pas Amaury, là-bas ?
— Effectivement, confirma-t-elle en suivant son regard.
Son fiancé semblait tenir une conversation houleuse avec une dame âgée. À sa grande inquiétude, la brune remarqua la présence de sa mère à leurs côtés, l'air consterné.
— Excusez-moi..., bredouilla-t-elle avant d'aller dans leur direction.
Les mains timidement serrées l'une dans l'autre, elle se rapprocha d'eux. Immédiatement, Jane vint à sa rencontre, le regard encore plus féroce qu'à l'accoutumée.
— Je n'arrive pas à croire que tu oses encore te présenter en public après l'opprobre que tu as jeté sur notre famille, siffla-t-elle entre ses dents.
Catriona s'immobilisa aussi soudainement que si elle avait été frappée. Son visage perdit toute couleur sous la remarque acide de sa génitrice. Ses yeux se posèrent dans les siens, dénigrants.
— Rentres à tes appartements, j'ai déjà assez honte de toi et de ton comportement, cracha-t-elle en la chassant d'un geste de main méprisant. Tu ne te rends pas compte que ton attitude t'a fait manquer une chance unique dans ta vie.
— Mère, pardonnez-moi, mais je ne comprends pas de quoi vous parlez.
— Evidemment ! Comment en serait-il autrement, toi qui es si bête ?
La jeune femme ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Elle se trouvait complètement désarçonnée par les propos de sa mère. Cette dernière la foudroyait du regard comme si elle souhaitait la voir morte sur le champ. Incapable de lui tenir tête, sa seule issue était de s'en éloigner le plus vite possible.
— Mère, nous devrions reprendre cette conversation plus tard, suggéra Catriona d'un ton conciliant.
Sans attendre sa réponse, elle tourna les talons et sortit sur la coursive. A peine eut-elle le temps d'inspirer une grande gorgée d'air frais pour se calmer, qu'une main lui agrippa rudement le bras et la força à se retourner. La jeune femme se retrouva face au visage furibond de sa génitrice.
— Comment oses-tu me tourner le dos ? l'invectiva-t-elle avec violence. Comment oses-tu faire preuve d'autant d'insolence envers moi ?
Elle la secouait comme une poupée de chiffon. Grimaçant de douleur, Catriona tenta de se défaire de sa poigne, en vain.
— Lâchez-moi, implora-t-elle.
La Marquise d'Usez la poussa avec tant de force que son dos heurta la balustrade en pierre. En deux enjambée, Jane la rejoignit et lui susurra à l'oreille :
— Ce serait si facile de me débarrasser de toi. Tu es si incapable que personne ne s'étonnera de retrouver ton corps en contrebas.
Par réflexe, la brune jeta un coup d'œil par-dessus son épaule pour appréhender le vide. Pétrifiée, elle reporta son attention sur sa mère dont le visage avait l'expression d'un masque mortuaire.
— Qu'ai-je fais pour mériter votre haine ? osa-t-elle demander dans un souffle.
— Ton existence seule suffit à m'indisposer, trancha-t-elle. Tu es aussi butée, arrogante et irréfléchie que l'était ton père. Lui aussi était incapable de mesurer les conséquences de ses actes. Et quel en a été le résultat ?
— Il est devenu conseillé du Roi Jacques V ? suggéra-t-elle naïvement.
— Et il en est mort. C'est ce qui arrive lorsqu'on ne fait pas ce que j'exige.
Un frisson glacé parcouru la colonne vertébrale de Catriona tandis que sa génitrice recula de quelques pas.
— Et à présent, tu ne sers plus mes plans, asséna-t-elle en s'éloignant dans la pénombre de la coursive.
La jeune femme inspira lentement pour retrouver son calme. Elle sentait son cœur tambouriner dans sa poitrine et des gouttes de sueur perlaient dans son dos. Se détachant de la balustrade, elle reprit la direction des festivités d'un pas chancelant pour retrouver Mairhead et Aileas.
Soudain, Amaury apparut devant elle.
— Cathie, je te cherchais.
Catriona comprit que quelque chose n'allait pas, son promis avait une expression grave qui ne lui était pas familière. Il ne semblait pas heureux de sa présence. Amaury se racla la gorge et lui tendit la main.
— Tout va bien ?
Elle colla sur son visage un sourire de façade.
— Bien entendu. Pourquoi me cherchais-tu ?
— J'ai à te parler.
Les nerfs de la jeune femme se crispèrent davantage, mais elle parvint à ne rien laisser apparaître. Il lui prit la main et l'entraîna sur un balcon, loin des regards et des oreilles indiscrets. Amaury caressa délicatement ses doigts dans les siens. Bien qu'il fasse toujours preuve de douceur, Catriona sentit que son fiancé était tendu et ne semblait pas avoir la conscience tranquille.
— Tu sais que je t'aime, n'est-ce pas ?
Soulagée, Catriona eut l'impression d'être soudainement libérée d'un poids incommensurable.
— Oui, bien sûr que je le sais.
Le blond soupira bruyamment et lâcha sa main.
— Nos mères ne veulent plus qu'on se marie.
La jeune femme écarquilla les yeux, stupéfaite. Au même moment, des feux d'artifice retentirent. Les différentes couleurs illuminèrent leurs visages, mais elle le darda d'un regard perçant. La liberté fut de courte durée.
— Je leur ai dit que je le voulais, mais...
Catriona attendait. Il y aurait soit une fin heureuse et tout irait pour le mieux, car il serait à ses cotées, soit tragique et il n'y aurait pas de mariage. Mais elle se refusa de réfléchir à cette seconde hypothèse. Elle voulait croire en leur histoire.
— Je ne peux pas me retrouver sans toi, nous savons tous les deux que ce ne sont que des mensonges qui se racontent à la Cour.
Pour seule réponse, elle acquiesça, pas sûre de comprendre où il voulait en venir.
— J'ai réfléchi longuement, parce que je t'aime... Et maintenant que j'ai goûté à tes lèvres, je ne pourrais que difficilement m'en passer, déclara-t-il en lâchant un petit rire nerveux. Mais la réalité, je ne peux pas la changer... Je...ne peux pas t'épouser, Catriona, j'en suis désolé, ajouta-t-il, la voix cassée.
Les prunelles de Catriona étaient emplies d'incompréhension. Elle faisait face à une situation ubuesque. L'aimer ne suffisait donc pas ? Cet après-midi encore, Amaury avait le genou posé à terre pour lui demander sa main et était allé parler à un prêtre. Maintenant, il était réticent à cette union.
— Comment peux-tu changer d'avis ? Tu m'as fait une promesse.
— Nos familles ont décidé de ne pas s'unir. Qu'attends-tu de moi, exactement ? s'exclama-t-il, levant les mains au ciel, désabusé.
— Que tu respectes les engagements que tu as pris ce matin même ? asséna-t-elle, furieuse. Tu me dis que tu ne peux pas te retrouver sans moi, mais tu n'oses pas aller à l'encontre du choix de nos deux familles respectives ?
Sa voix se brisa sous ses paroles. Et quand elle vit Amaury se masser les tempes, elle soupira de dépit, puis tourna les talons.
— Catriona, attends !
Elle s'arrêta, dos à lui. Tout se mélangeait dans sa tête en un bouillon confus.
— Cela me fait du mal à moi aussi.
Elle se retourna enfin, planta son regard dans le sien et s'avança, mais alors qu'elle tentait d'enlever le fossé entre eux, il recula d'un pas en lui faisant signe de ne pas avancer. C'était un cauchemar, quelques heures auparavant, il l'embrassait tendrement, lui disait qu'il lui appartenait tout entier et en une fraction de seconde, en quelques paroles malencontreuses, Amaury ne la laissait même plus le toucher.
Elle scruta son regard si longtemps que cela le mettait de moins en moins à l'aise. Elle ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt et détourna ses prunelles vers le sol. Catriona prit conscience qu'elle était soudainement seule contre la Cour tout entière, contre les commérages. La brune l'aimait tellement fort et pourtant elle venait de le perdre. Une larme roula sur sa joue rosée par la fraicheur du soir, elle sentit la colère gronder en elle. Elle tenta d'intérioriser sa frustration en se frottant les doigts les uns avec les autres.
— Je suis tellement désolé, lui avoua-t-il.
En un clin d'œil, en un murmure de fumée, elle avait tout perdu, alors qu'elle était convaincue d'avoir un avenir entièrement tracé à ses côtés. Elle était souillée par de sales langues et n'avait plus le droit au bonheur. Tandis que les feux tambourinaient dans la sombreur du ciel, son cœur était quant à lui parti en éclat, Amaury l'avait brisé en mille morceaux.
— Dis quelque chose, bon Dieu.
Sa voix était rauque, un peu étouffée.
— Je n'ai plus rien à te dire, siffla-t-elle.
Sa voix tremblait, ce qui déconcerta le blond, qui resta muet quelques secondes, ne sachant quoi faire et encore moins quoi dire.
Tout se bousculait dans la tête de Catriona. Elle ressentait tellement d'émotions en même temps qu'elle savait qu'elle n'arriverait pas à se calmer. L'incrédulité, l'incompréhension, la colère, le chagrin, le désespoir, tous ses sentiments transparaissaient sur son visage, mais plus que tout, elle était bouleversée.
— Tu es un lâche, lui dit-elle en lui accordant à peine un regard.
Elle pivota sur elle-même et s'éloigna de quelques pas, Amaury la suivit des yeux, sous le choc.
— Comprends-moi, implora-t-il d'une voix portante.
Les paroles d'Amaury la figèrent sur place.
— Tout ce que j'ai fait jusqu'à présent...
— Ça suffit, ça suffit ! cria-t-elle en le coupant. Garde tes belles paroles !
Alors que la jeune femme s'échappait, elle entendit dans son dos Amaury pousser un cri de rage et le craquement du bois contre la pierre lui indiqua qu'il avait passé sa colère sur le mobilier.
— Merde ! jura-t-il.
La brune courut dans les couloirs sans se retourner pour rejoindre ses appartements. Au détour d'un angle, elle croisa une servante et lui demanda d'aller immédiatement chercher ses demoiselles de compagnie avant d'entrer dans sa chambre.
Furieuse et blessée, elle faisait les cent pas, jurant des mots inavouables devant la cheminée, avant de s'asseoir sur le petit divan et de prendre une grande respiration. Ses amies toquèrent à la porte et entrèrent sans attendre, paniquées.
— Cathie, que se passe-t-il ? Tu nous as fait demander ? demanda Mairhead.
— Oui, je ...
Ses deux demoiselles la regardèrent d'un air interloqué, ne comprenant pas l'état de la jeune noble. La brune reprit, la voix tremblante.
— Amaury ne veut plus de moi.
— Que s'est-t-il passé ? demanda Aileas.
— Oh, je suis tellement désolée, reprit Mairhead.
— Il ne veut plus de moi, à cause des commérages, répéta Catriona en se levant du sofa. Et je crois que ma mère a commandité la tentative d'empoisonnement que j'ai évité au couvent.
— Comment est-ce possible ? s'informa la blonde.
— J'ai bien l'impression qu'elle n'est pas innocente face à ça. Ni même au sujet de la mort du Marquis D'Usez.
— Il y a une différence entre une impression et une certitude, objecta Aileas. Tu n'en es pas certaine, que t'a-t-elle dit ?
— Que je devrais m'inquiéter pour ma vie, ici, à la Cour.
Une larme perla sur sa joue, mais Catriona se reprit aussitôt, la chassant de son visage pâle. Ses deux demoiselles de compagnie comprirent la situation dans laquelle leur amie se trouvait.
— Il faut que je parte d'ici immédiatement, reprit-elle, agitée.
— Ne dis pas de bêtise et ne prends pas de décision hâtive, il fait nuit et tu ne sais pas te débrouiller seule sur la route.
— Je ne peux pas rester, comprenez-moi ! haussa-t-elle le ton. Ma mère s'est procuré des herbes auprès de la Reine, elle va peut-être passer à l'acte cette nuit...
— Ne dit pas des choses pareilles, protesta Aileas. Tu deviens obsessive !
La jeune femme ne l'écoutait pas. Tournant en rond, elle réfléchissait à une solution pour se sortir de cette situation.
— Il y a bien ce chevalier, Evrard, qui croupie en prison, déclara-t-elle.
— Tu penses pouvoir lui faire confiance ? demanda Mairhead, en retrait.
— Je n'ai pas le choix, il n'y a que lui qui puisse m'aider maintenant... dit-elle sur un ton triste en s'approchant du secrétaire. Je ne veux plus rester ici. Je dois rentrer en Écosse.
— Tu comptes demander de l'aide à un criminel ? Tu as perdu la raison, s'exclama la blonde en tentant de la résonner.
— Je te répète qu'il est innocent, trancha-t-elle, une feuille de papier dans les mains.
Ses deux amies se lancèrent un regard circonspect. Face au comportement déraisonnable de Catriona, une seule solution s'offrait à elle : l'aider.
Alors que la brune se pressait d'écrire une lettre, Mairhead s'exclama :
— Nous sommes avec toi, que pouvons-nous faire ?
— Je vais aller voir ce chevalier, de toute façon, il n'a rien à perdre à m'aider, assura-t-elle en pliant le bout de papier et en coulant son sceau. Il finira sur l'échafaud si je ne l'aide pas. Mairhead, pourras-tu te charger de cette lettre, cela est très important, conclut-elle en la lui tendant.
La rousse la prit en acquiesçant.
— Bien entendu.
— Elle doit être remis en main propre au Lord Byron ! se corrigea la brune avant de se figer. Il faut que je me change, je ne peux pas rester comme ça, ajouta-t-elle en désignant ses ailes encore attachées dans son dos.
Elle n'allait pas revêtir une de ses nombreuses robes d'appart, trop longues et encombrantes, qui risquerait de gêner ses mouvements. Elle ne comptait pas non plus s'habiller en guenilles, elle avait un rang à tenir. Les commérages la considéraient déjà comme une femme volage, elle n'osait imaginer la réaction des nobles s'ils venaient à la croiser dans pareille tenue.
Elle opta pour l'une de ses plus simples simarres, noire et fluide avec un col en V, dont les manches serraient ses poignets et restaient amples sur ses mains. Avec ces dentelles et ces broderies, cela restait un vêtement somptueux, mais beaucoup plus pratique que ce qu'elle portait d'ordinaire. Une ceinture aux nuances dorées et cuivrées marquait sa taille Elle revêtit par-dessus un long manteau au col et aux manches parés de fourrure chaude, avec des motifs fleuris orangés qui tranchaient sur le tissage noir. Pendant que Mairhead tressa ses longs cheveux, Catriona se permit comme unique coquetterie un collier et des bagues aux doigts. Une fois apprêtée, elle s'observa dans le miroir et le résultat lui convint. Quiconque la verrait ainsi se dirait qu'elle était une belle et noble dame qui allait se promener à cheval, et non une fugitive qui se tenait prête pour un long voyage sinueux sur les routes du royaume de France pour ne plus jamais y revenir.
— Accompagnez-moi.
Les deux demoiselles de compagnie se lancèrent un regard interrogateur.
— C'est impossible, dit Aileas, fixant le sol. Tu auras plus de chance de t'enfuir toute seule.
Catriona s'attendait à cette réponse, mais elle était quand même déçue de l'entendre.
— J'enverrai quelqu'un vous chercher, promit-elle, une larme à l'œil.
Nikkih & kratzouille29
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