15. Evrard
Les soldats l'entraînèrent brutalement dans de nombreux dédales. Mentalement, Evrard compta les portes et les escaliers qu'ils descendaient pour se donner une idée de son emplacement dans la prison. Il aimait se repérer dans l'espace et bien que le bâtiment soit immense, le Chevalier aurait retrouvé sans peine le chemin du retour.
Si seulement il avait pu s'enfuir...
Les gardes le tenaient si solidement que faire un pas devant l'autre sans trébucher était pratiquement impossible
— Je sais marcher tout seul, avait-t-il asséné en tentant de se dégager alors qu'ils franchissaient la porte de la prison.
Mais le coup de poing qu'il avait reçu en guise de réponse l'avait dissuadé de recommencer.
Condamné à les suivre, il fut traîné jusqu'à une vaste pièce uniquement éclairée par un feu de cheminée. Malgré la chaleur étouffante qui y régnait, Evrard sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine lorsqu'il aperçut les flammes éclairer les meubles qui l'entouraient ; en face de lui trônait un chevalet, contre un mur, une roue, dans un coin opposé, un brasero allumé duquel dépassaient plusieurs tiges de fer.
La salle de torture. Il savait qu'il n'y aurait pas échappé, que c'était l'une de ses vieilles traditions qu'adoraient pratiquer les gens de bonnes mœurs. Mais il aurait quand même préféré que la garde s'en abstienne.
Le Chevalier estimait avoir eu son lot de malheurs dans cette vie. Qu'est-ce qu'ils lui avaient réservé ? La question par l'eau ? Les bras attachés dans le dos et suspendus au plafond ? Les brodequins ? Avec son statut et la nature de son crime, il pouvait s'attendre à tout.
— Préparez-le, ordonna une voix dans son dos.
Il n'eut pas le temps de voir qui venait de parler qu'il fut rudement poussé au centre de la salle. On lui enleva sa chemise et pour la première fois, Evrard en ressentit de la gêne. Cela ne l'avait jamais dérangé que Florie ou les autres filles de joie aperçoivent la longue cicatrice qui balafrait son torse, du nombril jusqu'au sternum. À leurs yeux, c'était une preuve de virilité et de force. Mais ces bourreaux ne seraient pas dupes à sa vantardise.
Ces derniers lui attachèrent les poignets à de lourds anneaux en fer, au-dessus de sa tête. Il sentait le métal glacé se refermer sur sa peau et l'immobiliser. Il ne pouvait plus compter sur ses bras pour se défendre ou se protéger. Cette vulnérabilité soudaine lui déplaisait.
Il redressa la tête pour faire face à ses bourreaux. Le capitaine et ses soldats étaient accompagnés d'un homme grand et mince à l'air autoritaire. Assis derrière un pupitre, il tenait une plume dans une main, un parchemin dans l'autre, et le dévisageait avec une expression de mépris glacé. Evrard reconnu sa voix lorsqu'il poursuivit :
— Evrard Le Gall, vous êtes accusé de viol sur une jeune fille innocente, énonça-t-il. Nous vous soupçonnons également d'avoir commis ce même acte odieux sur une noble Dame. Votre procès n'étant pas encore daté, nous vous conseillons d'avouer votre culpabilité, ceci afin de permettre au juge de ne pas perdre de temps avec votre triste personne durant l'audience.
— Inutile de jouer cette parodie de farce, rétorqua-t-il. Personne ne me laissera quitter cette ville vivant. Faites-moi plutôt quérir un prêtre, pour que je lui confesse mes péchés avant de rejoindre notre Seigneur.
— Notre Seigneur ne t'attend pas, répondit l'un des gardes avec mépris. Je me demande même si le Malin voudra de toi !
— Vous admettez donc avoir fauté ? reprit l'homme derrière son pupitre, la plume levée, prêt à écrire ses aveux.
— J'ai commis bien des erreurs au cours de ma vie. Mais je n'ai jamais porté atteinte à la vertu de cette jeune fille, ni à aucune autre.
L'interrogateur lui lança un regard sceptique, mais prit soin de noter sa réponse.
— Nous allons très vite découvrir la vérité. Procédez à l'interrogatoire, ajouta-t-il en s'adressant aux soldats.
Deux d'entre eux s'approchèrent. L'un tenait un fouet dans sa main.
— Combien de femmes as-tu déshonorées ?
— Aucune.
Le coup de poing qu'il reçut à la mâchoire le fit voir les étoiles.
— Où as-tu violé la noble Dame ?
— Je suis innocent.
Evrard reçut un deuxième coup, plus violent, dans l'estomac. Il eut le souffle coupé, mais s'interdit de gémir. Il refusait de donner cette satisfaction à ses geôliers. Cette séance de torture était uniquement destinée à le faire craquer. Mais il n'avouera jamais un crime qu'il n'avait pas commis.
— Tu aggraves ton cas, Chevalier, gronda le deuxième garde en soupesant le fouet. Pourquoi t'obstiner ? Dis-nous ce que nous voulons savoir et nous t'amènerons dans un cachot.
— Et échanger votre charmante compagnie contre celle des rats ? Quelle idée ! ironisa-t-il.
L'insolence était sa seule arme – dérisoire - pour se défendre et ne pas perdre la face devant eux. Et voir ses tortionnaires se crisper de colère lui apportait une certaine satisfaction dans sa situation.
— Ton effronterie ne te mènera nulle part, menaça l'interrogateur. Si tu continues à t'entêter, nous recourrons à des méthodes bien plus douloureuses...
—Nous ? Jusqu'à présent, je ne vous ai pas vu vous salir les mains.
— Et tu ne le voudrais pas, répliqua-t-il. Je laisse ce plaisir à mes hommes. Ils n'aiment pas les fornicateurs de ton espèce et crois-moi, ils ont hâte d'en découdre avec toi.
Du coin de l'œil, Evrard aperçut les gardes hocher la tête en signe d'approbation, le sourire aux lèvres.
— Et de toute évidence, nous ne serons pas les premiers à avoir le plaisir de t'amocher, ricana l'un d'eux en passant un doigt sur sa cicatrice.
— Contrairement à toi, j'ai prouvé mon courage sur le champ de bataille, siffla-t-il entre ses dents.
La colère bouillonnait dans son sang et ses poings étaient si serrés que ses ongles s'enfonçaient dans ses paumes.
— Ah bon ? s'étonna-t-il avec un sourire goguenard. Tu es donc le Chevalier le plus sot que je connaisse pour ne pas avoir pensé à mettre ton armure !
Evrard lui asséna un violent coup de pied, de toutes ses forces. Le garde hurla de douleur en se courbant en deux, les mains crispées sur ses bijoux de famille.
— Toi non plus t'as pas pensé à mettre une armure à cet endroit ? le nargua-t-il.
— Sale merdaille ! s'égosilla-t-il. Immonde pendard ! Je vais t'écorcher comme un goret !
Il se précipita vers la cheminée, attrapa une bûche enflammée et revint sur lui, le bras levé, prêt à lui fracasser le crâne. Toujours enchaîné, Evrard ne parvint à esquiver le coup qu'à moitié. Les flammes frôlèrent sa mâchoire, roussissant ses poils de barbe, et l'atteignit au torse, quelques centimètres au-dessus de sa cicatrice. Sous l'effet de la douleur et du choc, il poussa un juron.
— Tu n'aimes pas le feu, Chevalier ? susurra son bourreau.
Apparemment, le voir souffrir semblait l'avoir calmé. Il lui attrapa les cheveux et l'obligea à regarder les divers instruments de torture autour de lui.
— Nous allons procéder lentement. Tu vois ces tiges de fer qui dépassent du brasero ? Elles sont restées dans les braises toute la matinée pour qu'elles deviennent bien rouges. Ce n'est pas agréable d'en avoir une qui te transperce la plante des pieds. Et je ne te parle même pas de l'odeur de chair brûlée ! Si tu coopères, nous n'allons peut-être pas te vider les entrailles.
— Ta sollicitude me touche, grimaça Evrard.
Il le frappa au visage et sa vue se brouilla quelques instants. Il sentit une goutte de sang couler le long de son arcade sourcilière et se mélanger à sa sueur.
— Reprenons où nous nous étions arrêtés, poursuivit l'interrogateur, comme si rien ne s'était passé. Lorsque tu as agressé la noble Dame, as-tu reçu l'aide de complices ? Si oui, donne-nous leurs noms.
— Je n'ai rien à dire, grommela le Chevalier, irrité.
Il avait toujours détesté de devoir répéter plusieurs fois les mêmes phrases, et ce depuis la guerre.
— Très bien, puisque tu le prends ainsi...murmura l'interrogateur d'une voix doucereuse.
Il se leva et fit lentement le tour de son pupitre. Sans le quitter des yeux, il se dirigea vers le brasero et remua les braises incandescentes. Il empoigna plusieurs tiges pour vérifier leurs extrémités et revint vers lui. Evrard jeta un vif coup d'œil vers l'objet de torture et jura mentalement toutes les insultes de son vocabulaire.
La pointe était forgée en V.
L'interrogateur leva le tisonnier.
— Il est encore temps pour toi de racheter tes fautes aux yeux de notre Seigneur et de sauver ton âme. Avoue tes crimes, raconte-nous comment tu as déshonoré ces deux femmes, et nous ferons preuve de clémence. Persiste dans tes mensonges, et nous userons de toutes les méthodes que nous jugerons utiles pour t'arracher ces aveux.
— Et je suis sûr que vous ne manquerez pas d'imagination, commenta-t-il.
— La fille du tavernier est digne de confiance et son récit est fiable. C'est pourquoi, Evrard Le Gall, je te condamne à porter la marque des violeurs pour les sévices que tu lui as infligés.
— Ce serait en effet un juste retour des choses si j'étais coupable.
— Nul doute à cela.
Le tisonnier s'approcha dangereusement de sa peau. Evrard pouvait sentir la chaleur s'en émaner. Les poings serrés au point que ses ongles se plantent dans sa chair, son regard fixait le V menaçant jusqu'à ce qu'il se plaque brutalement contre son pectoral droit. Contrairement à ce qu'il se l'était juré, le Chevalier laissa échapper une plainte endolorie. Son sang battait contre ses tempes, ses muscles souffraient le martyr et une odeur infecte de chair brûlée lui monta au nez.
Après un temps qui lui parut une éternité, l'interrogateur relâcha la pression.
— C'était douloureux, n'est-ce pas ? susurra-t-il. Épargne-toi d'autres supplices et avoue. Soulage ta conscience.
— Va...te faire...forniquer... siffla-t-il entre ses dents.
La tige en métal le heurta et manqua de l'assommer. Un voile noir se déposa brièvement sur ses yeux et il lui fallut quelques secondes pour distinguer à nouveau ses tortionnaires. Son torse le brûlait atrocement, son cœur tambourinait dans sa poitrine comme un oiseau pris au piège. Il tenait à peine sur ses jambes et ses bras immobilisés étaient pris de tremblements incontrôlables.
— Administrez dix coups de fouet à cette merdaille, ordonna l'interrogateur.
— À vos ordres, répondit l'un des soldats qui, en se tournant vers Evrard, ajouta ; et c'est toi qui vas les compter.
— Parce que toi...tu ne sais pas compter ?
Il lui enfonça brutalement le manche du fouet dans le ventre et le contourna avec une lenteur calculée. Le Chevalier résista à l'envie de regarder par-dessus son épaule pour voir ce qu'il faisait. Il serra les dents plus fort encore.
Le fouet claqua dans l'air une fraction de seconde avant que la douleur lui foudroya le creux des reins. Il se cabra et ne put retenir un cri déchirant.
— Comptes ! ordonna le soldat.
— Jamais, chiabrena ! jura-t-il.
— Comptes, ou je te rajoute dix coups supplémentaires !
Anesthésié par la douleur, son cerveau peina à calculer ses possibilités. Hors de question d'endosser la responsabilité de ce dont on l'accusait, mais il ne souhaitait pas non plus s'éterniser dans cet endroit infâme. Se faire fouetter à vingt reprises était un prix un peu trop élevé à son goût, même s'il en fallait plus pour le faire craquer.
Mettant sa fierté de côté, il céda :
— Un.
Le deuxième coup l'atteignit à l'omoplate et cette fois, aucune plainte ne sortit de sa bouche.
— Deux...
— Plus fort, Chevalier !
— Deux ! s'époumona-t-il.
Au troisième coup, Evrard cru que sa colonne vertébrale venait de se briser en deux. La souffrance était insoutenable, le sang et la sueur brûlaient ses plaies ouvertes, ses dents serrées étaient prêtes à se broyer. La rage bouillonnait dans tous ses muscles et il compta chaque flagellation à voix haute, avec l'idée vengeresse que le soldat subirait mille fois pire si les rôles avaient été inversés.
— Dix.
Le Chevalier dû user de toute sa concentration pour prononcer ce dernier mot. Ses forces l'avaient abandonné, ses jambes peinaient à soutenir son corps meurtri et le fer de ses menottes lui cisaillait les poignets. Le rire des soldats lui parvenait en écho, comme s'ils s'éloignaient de lui.
Evrard s'écroula sur le sol lorsqu'ils le libérèrent. Sa tête heurta les dalles froides et rugueuses. Il sentit des mains l'attraper et le soulever. Ses pieds raclèrent le sol tandis qu'ils le traînaient hors de la salle. Il entraperçut à peine les contours d'une porte de cachot inhospitalière avant qu'elle ne s'ouvre et qu'on le jette violemment à l'intérieur. Un dernier coup de pied dans les côtes lui fut donné et les gardes l'abandonnèrent à son sort en ricanant.
Evrard resta prostré sur le sol glacé, tel un chien battu. Son cerveau reprenait peu à peu conscience et la douleur se propageait à présent dans tout son corps comme du poison. Chaque goutte de sueur brûlait sa peau sur son sillage, le V infamant tiraillait son torse à chaque inspiration, les scarifications déchiraient son dos et ses poignets entaillés n'avaient plus assez de force pour le relever.
— Allez foutriquet...tenta-t-il de se motiver alors que ses paupières devenaient lourdes. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer...tu as survécu à pire...
Les ténèbres l'emportèrent et il sombra dans l'inconscience.
Kratzouille29 & Nikkih
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