10. Catriona

La jeune femme, encore secouée par les événements, s'assit sur un tabouret en bois. Elle regarda sans voir cet homme, qu'elle semblait avoir déjà croisé, qui venait de la sauver : ses cheveux mi-longs châtains étaient détachés et une mèche sauvage se faufilait sur sa paupière, le faisant cligner sans cesse.

Alors que son visage était livide, sa bouche entrouverte et son corps figé, son esprit était ailleurs, comme s'il y avait eu une rupture de temps ou comme si le monde s'était arrêté. Les gens autour d'elles étaient devenus transparents, parlaient au ralenti. Catriona ferma les yeux un instant pour tenter de se recentrer sur elle-même et comme par miracle, le bruit ambiant disparut. Un frisson se propagea dans tout son corps et soudain, un claquement de doigts devant ses iris bruns la fit sursauter. Son sauveur la regardait d'un air bizarre, rempli de questions.

— Comment vous sentez-vous Damoiselle ?

L'envie de vomir était palpable, mais elle se retenait de toutes ses forces. Quand une fillette aux cheveux blonds comme le blé lui apporta une pinte d'un liquide presque noir, Catriona la regarda en arquant un sourcil interrogateur. Sa curiosité prit le dessus sur ses maux.

— Qu'est-ce donc ?

La fille lâcha un petit gloussement incontrôlable face à la brune qui gardait son sérieux, attendant une réponse. Voyant le front de la noble se plisser, la serveuse comprit que sa question n'était pas ironique et se reprit.

— Vous ne savez vraiment pas ce que c'est ?

Catriona secoua la tête, sincère.

— C'est de la bière, goûtez.

Elle trempa prudemment ses lèvres dedans et manqua de s'étouffer avec.

— Quel goût surprenant, je ne m'y attendais pas, remarqua-t-elle en grimaçant et en toussant.

La serveuse ria et s'assit sur le tabouret qui lui faisait face.

— Vous venez du château ? demanda-t-elle en l'observant avec avidité.

— Oui, c'est effectivement le cas.

La blonde commença à se tortiller sur son siège, comme si elle ne pouvait plus contenir son excitation.

— Comment est-ce là-bas ?

— Somptueux, répondit la noble.

— Il paraît que les jardins sont magnifiques ?

— Oui, ils le sont...

Catriona éprouvait de la peine à masquer son agacement. Elle trouvait que cette jeune fille était bien trop intrusive.

— Vous avez vu François ? Est-il beau ?

— François ? Oui, bien sûr... J'ai grandi avec lui et sa sœur, Elisabeth. Il est très bel homme, et sa future épouse l'est également.

— Vous avez grandi avec le Dauphin ? répéta-t-elle, fascinée. J'aimerais tellement avoir la chance de le voir un jour. Est-ce vrai qu'il est grand ? Qu'il sent bon et qu'il a un sourire à faire rougir toutes les damoi...

— Reprenez-vous, je vous prie, la coupa Catriona, qui commençait à trouver ses questions inopportunes.

La serveuse rentra immédiatement la tête dans les épaules.

— Excusez-moi, Madame, murmura-t-elle contrite. Mais je n'ai jamais parlé à quelqu'un comme vous.

— C'est parce que je n'ai rien à faire là, chuchota la brune.

— Pardon ?

— Je comprends votre excitation, mais sachez que ce n'est ni le lieu, ni le moment pour que je vous fasse part de ma vie au château, déclara-t-elle d'un ton agacé.

— Elle a raison, Héloïse, intervint distraitement l'homme. Ne pose pas autant de questions, laisse-la respirer.

Catriona lui adressa un sourire reconnaissant, mais il ne la regardait pas. Il était absorbé par ce qu'il se passait à l'extérieur en faisant tourner sa dague entre les doigts. Elle l'observa discrètement, intriguée par ce curieux personnage qui l'avait sauvé. Il ne lui faisait plus aucun doute que ce soit bien lui qu'elle ait croisé quelques instants avant son agression, chancelant et titubant comme un ivrogne, les cheveux détrempés après s'être plongé la tête dans un tonneau d'eau froide. Pourtant, à présent, il était concentré, appliqué, ses traits avaient même gagné en droiture. Il y avait quelque chose de fier dans ses yeux clairs.

Il se détourna de la fenêtre et s'approcha d'elle.

— Vous êtes en sécurité ici, annonça-t-il d'une voix grave et rassurante. Je vais aller chercher des gardes, ils vous aideront à regagner le cortège.

— Comment puis-je vous remercier ?

— En évitant de recommencer vos bêtises, ce serait un bon début, asséna-t-il. J'ignore comment vous avez été séparée du cortège, mais ce dont je suis sûr, c'est que vous avez fait preuve d'une incroyable stupidité pour ne pas être restée dans l'avenue principale, là où les gardes avaient bien plus de chances de vous porter secours. Votre comportement prouve que vous êtes d'une pauvreté d'esprit qui frôle l'ignorance.

Catriona rougit de honte et de colère.

— Comment osez-vous me parler sur ce ton, alors que vous n'êtes qu'un ivrogne ? Je vous ai vu avant que ces hommes ...

Sa gorge se noua, tandis qu'une larme lui montait à l'œil.

— Si je n'avais pas été là, vous seriez probablement morte ou pire, rétorqua-t-il froidement. Estimez-vous heureuse que l'ivrogne vous ait sauvé de ce mauvais pas. Mais si vous voulez vous débrouillez seule, vous pouvez partir, personne ne vous retient, ajouta-t-il en désignant la porte avec une révérence moqueuse.

La jeune femme ravala la remarque cinglante qu'elle s'apprêtait à lui lancer. Elle n'avait pas la force d'affronter les rues dangereuses de la ville. Elle hocha sèchement la tête et il quitta la taverne d'un pas irrité. La serveuse, qui avait suivi leur échange avec intérêt, intervint :

— Vous avez eu de la chance de tomber sur lui, assura-t-elle ses joues virant au pourpre. C'est un chevalier, il est noble tout comme vous. Il est droit, beau, fier, digne de confiance... soupira-t-elle amoureusement. C'est un homme extraordinaire.

— Comment s'appelle-t-il ? demanda Catriona, intriguée.

— Evrard Le Gall, répondit la fille. Il vient du nord.

La noble lui tendit un petit anneau qu'elle avait à l'un de ses doigts pour la remercier de la consommation. Au même moment, le chevalier revint avec quelques hommes dans la taverne. Elle reconnut immédiatement leurs uniformes de la garde royale. Il avait réussi. Il la rejoignit et lui annonça :

— Vous pouvez repartir en toute sécurité avec eux. La foule s'est enfin calmée et le cortège est prêt à repartir.

— Merci beaucoup, Evrard Le Gall.

Il cilla en l'entendant prononcer son nom, mais il ne répondit pas et se contenta d'un signe de tête. Elle sortit de sa petite bourse quelques pièces qu'elle lui tendit. Il ne les accepta pas. Puis, elle suivit son escorte dans les rues, regagna son carrosse et les deux femmes qui l'accompagnaient.

— Seigneur, que vous est-il arrivé ? s'exclama la plus vieille des deux.

— Avez-vous été molestée par des truands ? s'inquiéta sa fille.

— Tout va bien, ne vous souciez pas de moi, assura Catriona en reprenant sa place en face d'elles.

— Ceci est entièrement de ma faute ! se fustigea la dame. Si je n'étais pas sortie du carrosse, rien de tel ne se serait produit...

Elle se pencha et serra sa main entre les siennes dans un geste de réconfort.

— Je suis si confuse, je vous prie de me pardonner. J'ai été si sotte alors que vous, vous avez fait preuve de tant de courage pour venir me chercher.

— Ce n'est rien, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, affirma-t-elle en gardant un sourire faux.

— Tout de même...votre robe...elle était si belle, soupira la plus jeune.

— Ce n'est que du tissu. Je m'en ferai coudre une autre.

Nikkihlous & Kratzouille29

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