Chapitre 2
(Ash)
C’est toujours lointain, mais je commence à être conscient, je crois. C’est étrange de le raconter comme ça, comme si ça se racontais, comme si sortir des profondeurs de moi était une simple anecdote qu’on peut sortir à n’importe qui, étaler comme on étale ses problèmes, et surtout décrire, comment décrire ce qui m’arrive alors que je n’ai aucune idée de rien ? mais je sais, déjà, je sais : le lit, la chambre, l’hôpital, la lettre, le couteau, les bandages. Et mon dernier coup de feu, aussi. J’ai les membres engourdis, les paupières étroitement scellées, mais je sens que je vais mieux. J’ai tellement voulu disparaître, pour basculer dans un état bien pire que la mort, et pourtant si proche d’elle, que maintenant je commence à regretter et me rassurer d’y avoir enfin échappé. Je voulais juste calmer ma tête, et j’ai sauté à pieds joints dedans, au milieu de mon cerveau malade, au milieu de tout ce que j’ai voulu fuir, sans fenêtres sur l’extérieur. Je suppose que je suis dans cette chambre d’hôpital, mais en vérité je pourrais être n’importe où ailleurs, je n’en ai aucune idée. Mais le matelas, l’oreiller, les draps et surtout cette main inconnue qui me serre… je ne me pose pas vraiment la question de qui. Est-ce que je veux revenir ? … je crois que oui. Pour voir si la vie vaut encore la peine… et sinon je trouverais un autre moyen. Plus efficace. Surtout, surtout j’ai entendu Sing. J’ai entendu Sing me parler d’Eiji, il a dit son nom, j’en suis sûr. Il a dit qu’Eiji… qu’Eiji allait mourir ? Mais il n’est pas là. Mais il lui arrive quelque chose, Eiji, Eiji ? J’essaye d’ouvrir les yeux, j’essaye. C’est dur. Je respire, il faut que je respire, je n’arrive pas à respirer… Eiji ? J’ai presque l’impression qu’on m’étouffe avec un oreiller. Je me vois faire pression, essayer de me dégager. Et j’ouvre les yeux, d’un coup, et la bouche. Je respire, putain ! Eiji ??!!! J’ai envie de crier. Ça me fout comme un grand coup dans la poitrine, un deuxième coup de poignard dans le bide. Il est là, son visage à vingt centimètres du mien, il me regarde fixement. Je ne sais pas quoi penser. Je suis encore plus paralysé qu’il y a cinq secondes. Je me suis persuadé à grands coups de marteau dans le crâne qu’il était loin, il ne peut pas être là, il est au Japon, en Chine, en Nouvelle-Zélande ou sur Mars, mais pas ici.
(Eiji)
Après plusieurs secondes sans le moindre autre signe de vie d’Ash j’étais en train de me dire que j’avais sûrement rêvé. Que je devenais petit à petit fou. En fait je craignais tellement de m’être fait une fausse joie que je préférais rapidement me résigner… Alors que j’allais me rassoir, honteux d’avoir imaginé quelque chose d’aussi beau je fus secoué par un bruit… une simple respiration essoufflée venue d’outre-tombe… Mon regard se tourna vers lui. Ash… il vient de respirer par lui-même… ce n’est pas la machine qui a fait ce bruit. Une autre respiration se fit entendre … Il revient vraiment… Ce n’est pas une illusion, Ash revient réellement ? Je suis sûr de ne pas dormir… J’entends mon cœur battre dans ma poitrine… c’est de la joie…
Des larmes se formèrent au niveau de mes yeux alors que les siens s’ouvraient peu à peu. Alors que sa vision à lui doit s’éclaircir la mienne se brouille à cause des larmes de bonheur qui ne voulaient pas arrêter de couler.
-Ash…Ash… Mon dieu .
Faut que j’arrête de pleurer mais c’est presque impossible… Je me sens comme sorti d’un trou sans fond dans lequel je plongeais depuis des semaines. C’est idiot comme idée mais j’en suis même venu à me dire que sans Ash je ne parvenais pas à avoir cette impression poignante que je suis vivant, j’ai toujours eu une vie que je ne vivais qu’à moitié, où je me contentais de faire ce que j’avais à faire. Je n’ai jamais été quelqu’un d’exceptionnel mais toi Ash, avec toi je me sens unique, j’ai l’impression d’être capable de tout… pour toi… et pour moi aussi.
Je viens de retirer ta respiration artificielle pour que tu puisses reprendre ton souffle correctement. J’espère que je n’hallucine pas… dans le cas contraire ça pourrait causer des dommages à son cerveau si je le retire trop longtemps… enfin bon je ne suis pas médecin, et je n’écoutais qu’à moitié les infirmières.
-C’est moi Eiji… Est-ce que tu m’entends ?
Alors que je comprenais qu’il se réveillais, une chose à laquelle je n’avais jamais pensé me vint à l’esprit… Il ne va pas être content du tout que je sois là… Je lui avais promis de rentrer sagement au Japon et de ne plus revenir… je vais me faire disputer. Et en même temps je lui ai également promis d’être toujours à ces côtés… et puis il doit se douter en me connaissant que si je savais qu’il était blessé j’aurais tout fait pour aller le voir.
Je te regarde… je regarde tes yeux… tes yeux ouverts… ça faisait si longtemps que je n’avais pas vu tes yeux…
(Ash)
Des larmes, des larmes plein ses yeux, ses yeux flous, sombres, fous
Je n’arrive pas à les lâcher
Et en même temps je ne peux pas vraiment bouger
Je ne pourrais faire rien d’autre
Mais je suis accroché à ses deux billes noires et trempées
Je m’y agrippe tellement que je ne veux plus tomber
Je veux remonter
(Eiji)
Ma main vient se poser sur ta joue. J’espérais un mot… un simple mot… Un sourire… Il faut peut-être du temps avant de bouger. Mais je n’en peux plus d’attendre…
-Ash… Je t’en prie dit quelque chose… Dit moi que tu es là… Et que tout va bien… Je t’en prie… Ne m’abandonne pas à nouveau…
Je savais que c’était possible… Qu’il se réveille avant de retomber dans le coma… Je ne le supporterais pas… Je ne veux pas que ça arrive.
(Ash)
Je continue de fixer ces grands yeux noirs ébahis pendant ce qui me semblent de longues minutes.
…
…
J’essaye de m’éclaircir la voix, j’ai la voix plus sèche que toutes les pierres du désert de Gobi.
-E…i..ji. Eiji. J’ai soif
Ce n’est peut-être pas la réponse qu’il attendait. Je ne sais toujours pas quoi dire de plus… et c’est vrai, j’ai terriblement soif.
(Eiji)
Oh mon dieu… J’ai entendu sa voix… J’ai de nouveau entendu sa voix, j’ai eu si peur de ne plus jamais l’entendre…
Oh mince ! Eiji arrête de rêvasser ! Il a soif !
Je regardai le panier repas que Sing m’avait donné, il y avait une bouteille d’eau. Je la pris et l’ouvrit.
-Attends je vais t’aider à te redresser sinon ça va être compliqué pour boire.
Je mis la bouteille dans ta main et vint t’assoir comme je pouvais en tentant d’être… « délicat », enfin, autant que je le pouvais, il savait déjà que ce n’étais pas ma principale qualité.
(Ash)
Il tente de me redresser brusquement de façon délicate, ce qui n’est pas forcément incompatible, pas avec lui.
Bouger mon corps, à nouveau, même si c’est douloureux, me paraît être la sensation la plus étrange que je puisse éprouver, un peu comme avancer dans la mer pour la première fois.
L’eau est glacée.
Je suis vivant.
Je n’ai toujours pas quitté ses yeux, je ne peux pas. Ils me semblent être la seule chose qui me tire vers le haut, me fait bouger et surtout ne pas me réécrouler et tomber dans le gouffre.
Je ne veux pas les lâcher.
(Eiji)
Je dois faire un effort surhumain pour ne pas le prendre dans mes bras, l’embrasser où je ne sais pas quoi… Juste… Je serre encore et toujours sa main… Il boit… Il est vivant… Je pleure… Oui, encore, mais je n’arrive pas à m’arrêter… Je ne lâche pourtant pas son regard.
-Ne m’abandonne plus jamais… C’est compris ?
J’avais un sourire aux lèvres que je ne pouvais enlever, même s’il résonnait tristement.
(Ash)
Je laisse mollement tomber mon front contre le sien, je n’ai pas de forces.
-Reste.
Sa peau est chaude, et très pâle, mais je le vois à peine, et je ne sais pas à quoi je dois ressembler moi-même à cet instant, je m’en fous. Je n’ai pas besoin d’être beau, pas aujourd’hui.
Je ne veux plus jamais bouger d’ici
Je n’ai besoin d’être nulle part ailleurs
Je crois qu’il sourit
(Eiji)
-Ash… Je ne partirais plus jamais.
Je fermai les yeux pour profiter de cet instant. Je passai mes bras autour de lui en faisant attention au câbles.
-Ash, toi aussi reste.
Je le sais bien, les infirmières et médecins vont arriver dans moins d’une minute. Mais… je veux oublier tout ça… Je veux juste profiter de ce simple moment où après bien trop de temps… on se retrouve enfin… Rien que tout les deux.
(Ash)
Les miens, de yeux, sont toujours ouverts, je ne veux pas les refermer, maintenant que je suis là, vraiment là, avec lui, Eiji, tu n’as jamais été aussi réel et je crois n’avoir jamais été aussi serein,
Je crois que je suis serein,
Je garde mes yeux ouverts pour que tout ça ne disparaisse pas.
Je ne sais toujours pas quoi penser je ne sais vraiment comment je me sens, ce que je ressens ( re-sens, comme si c’était la deuxième fois, comme si j’étais vraiment mort et que j’étais enfin vivant de nouveau,
Je l’ai déjà dit, je suis vivant)
Je penserais après.
Je pourrais presque pleurer, peut-être que je devrais, même pas pour paraître, encore une fois, fort, infranchissable, impénétrable, mais je ne le suis pas, et je ne pleure pas, je ne sais pas, je ne peux pas.
Simplement, on est là, putain, c’est tout.
(Eiji)
Bien sûr, c’est à ce moment précis que les infirmières ont décidé d’entrer. Je ne voulais pas que ce moment s’arrête… je ne voulais pas le lâcher. Il y avait du mouvement autour de nous…. Je n’entendais pas ce qu’on me disait. J’étais tellement concentré sur lui… Une infirmière me demanda de partir pour t’examiner. Elle me rassurait en me disant que tout irait bien mais je ne voulais pas le lâcher…
Je finis tout de même par me reculer pour laisser la place au médecin à contre-cœur, mais je refusais de sortir de la chambre… la dernière fois qu’il était allé à l’hôpital ça s’était mal fini…
(Ash)
J’avais entendu le bruit de la porte qui s’ouvre, de l’infirmière qui entre mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’arrache Eiji. Ça se passe un peu trop vite pour moi, et brusquement je bascule en avant, je m’écroule sur le matelas. Après m’être redressé péniblement, je le suis du regard jusqu’à la porte, qui se referme sur lui.
Après une batterie de tests, d’analyses pour vérifier que tout chez moi fonctionne plus ou moins comme avant, le personnel médical me laisse seul, pour me reposer puisque « le coma est une expérience épuisante » ( on ne croirait pas, aux premiers abords, je vous le concède). Je me suis plus ou moins remis de ma blessure abdominale, même si elle reste un point sensible, mais mon corps est toujours un peu endormi et très faible, malgré les séances d’entretient musculaire qu’on m’a infligé sans que je puisse en avoir la moindre idée… et on ne m’a toujours pas dit combien de temps j’ai passé dans cet inquiétant état comateux. J’en arrive presque à craindre qu’on m’annonce la doute d’aujourd’hui, des années entières se sont peut-être écoulées et je ne les aurais même pas aperçus dans leur course folle… ou peut-être n’est-ce qu’une affaire de jours.
J’ai réussi à me lever, difficilement, et à marcher jusqu’à la salle de bain, m’asperger le visage d’eau et observer ce qui semble être mon reflet…
Mes cheveux ont poussé, ils m’arrivent aux épaules au moins, j’ai moi aussi la peau assez pâle, les traits tirés ; mes yeux sont un peu enfoncés dans leurs orbites…je dois avoir perdu pas mal de kilos. Et je reviens jusqu’au lit, lentement, aussi.
Je ne sais toujours, toujours pas quoi penser. C’est la première fois que ça m’arrive, je crois. Quand j’ai rencontré Eiji aussi, je ne savais pas trop quoi penser de lui, mais là c’est différent. Littéralement presque comme si mon cerveau était vide. Vidé, lessivé. J’attrape une télécommande, il y a une télé dans la chambre. Un temps pour tout, pour simplement profiter de ne penser à rien, remplir le vide avec n’importe quelle connerie sur l’écran plat. Je ne sais même plus si je veux mourir. Il manque Eiji, s’il revient, je reste. Je crois.
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NDA:
Chapitre légèrement plus court mais avec plus d'interaction entre Eiji et Ash. J'espère que se chapitre vous à plus. J'ai posté se chapitre un peu plutôt que d'habitude histoire d'avoir du contenu (les gens lisent rarements les histoires avec un seul chapitre XD)
Bref n'hésitez pas à voté et donner votre avis ça nous fera plaisir.
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